Une monographie de Jacqueline Fontyn

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Jacqueline, baronne Fontyn (depuis 1993) est non seulement une des personnalités les plus représentatives de la musique belge de la seconde moitié du XXe siècle, elle est aussi l’une des plus singulières par son parcours atypique, sans diplôme au départ, qui la mènera à être reconnue, invitée et honorée dans maints pays étrangers, jusqu’en Corée ou Nouvelle-Zélande, mais aussi par une attitude éthique que l’on rencontre rarement chez des musiciens et que résume bien, en fin d’un interview, une citation de Chamfort  (« la plus perdue de toutes les journées est celle où l’on n’a pas ri ») à laquelle elle associe le titre même du livre : pas de journée sans écrire de la musique. Composer dans la joie et le rire, voilà qui nous éloigne fort du goût de tant de compositeurs pour la mélancolie et ses tourments. Il n’est donc pas étonnant que pour Jacqueline Fontyn, Bach reste la référence absolue avec sa joie inlassable de construire dans l’espace des sons. Mais des liens étroits l’unissent aussi à la littérature et son foisonnement expressif des sentiments, de Charles d’Orléans et William Blake à Christian Morgenstern et Lorca. C’est donc à un vaste parcours qu’invitent cette monographie et ses trois parties. Alors que l’autobiographie est largement consacrée à l’enfance anversoise et ses talents précoces, à la guerre et ses épreuves, à la femme, épouse du compositeur Camille Schmit et mère de deux enfants, les entretiens qui suivent s’attachent surtout au destin de la compositrice de plus de cent-vingt œuvres qui a abordé tous les genres même s’ils se trouvent souvent cachés sous des titres plus littéraires que musicaux. Ces partitions sont reprises à la fin du livre dans un répertoire par genre, selon l’ordre chronologique et avec indication des créations. La musique vocale y occupe une place importante reflétant la prédilection de Jacqueline Fontyn pour des textes poétiques d’origines les plus diverses. Cet éclectisme se retrouve dans les innombrables contacts personnels noués tout au long de sa carrière, avec notamment des figures majeures comme Max Deutsch, Lutoslawski, Dutilleux, Petrassi ou, durant plus d’un demi-siècle, Denijs Dille, l’infatigable spécialiste de Bartok. D’autres rencontres sont plus anecdotiques comme celles de Nadia Boulanger ou Kabalevski, ou plus tendues comme avec Léon Jongen ou Paul Collaer. Un index de plus de 500 noms confirment l’ampleur de ce panorama vécu de la vie musicale européenne, voire américaine ou chinoise !
Consacrée aux œuvres, la troisième partie comporte cinq études axées sur différentes partitions et s’adresse donc davantage aux musiciens et musicologues en analysant l’univers sonore si particulier de la compositrice et les moyens d’expression extrêmement variés qu’elle met en œuvre (on y trouve notamment un concerto pour accordéon, des combinaisons instrumentales voire vocales insolites ou audacieuses). Ces pages dues à des spécialistes belges et étrangers sont souvent accompagnées d’exemples musicaux soigneusement édités.
Cette carrière exemplaire qui fut aussi celle d’une pédagogue enthousiaste dans nos conservatoires et à l’étranger, se trouve ainsi reconnue par un ensemble exhaustif de souvenirs, de témoignages et d’analyses approfondies que complète la nécessaire partie documentaire. On doit souhaiter qu’un tel travail trouvera un éditeur qui, en le mettant à la disposition du public francophone, permettra de mieux connaître une personnalité attachante et une œuvre aux richesses variées que l’on aimerait réentendre plus souvent.
Frans Lemaire
2013, Institut für Musikästhetik, Universal Edition, Wien-London-New York, 296 pages

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