Vivaldi, une première au disque

par

JOKERAntonio VIVALDI (1678-1741)
L'Incoronazione di Dario
Livret de Adriano Morselli
Anders DAHLIN (Dario), Sara MINGARDO (Statira), Delphine GALOU (Argene), Riccardo NOVARO (Niceno), Roberta MALELI (Alinda), Lucia CIRILLO (Oronte), Sofia SOLOVIY (Arpago), Giuseppina BRIDELLI (Flora), ACCADEMIA BIZANTINA, dir. : Ottavio DANTONE 2014-Digital Audio-live recording- 3 CD- CD 1 64'32- CD2 68'55- CD3 43'50-Textes de  présentation en français, anglais et allemand-Textes en français, anglais et italien-Chanté en italien- Naïve OP 30553
Dix-huitième volume des «opere teatrali» de Vivaldi (58ème des Tesori del Piemonte) cette «Incoronazione di Dario» se révèle encore plus enthousiasmante. Au moins pour quatre raisons: D'abord, c'est une première au disque. Et de haut vol! Ensuite, parce que cet opéra magistral a été composé aux tout débuts de la carrière dramatique du «Prêtre roux» ce qui lui donne un surcroit d'importance. En effet, jusqu'en 1713, Vivaldi n'a écrit qu’essentiellement pour l'orchestre (sinfonies, concertos): ce sont en 1705, les 12 sonates à 3 da camera, suivies de l'opus 2 (1709:12 sonates) et en 1712/13 «La Stravaganza». Les opus 5, 6 et 7 étant publiés en 1716/17 à Amsterdam se trouvent dès lors être les exacts contemporains de notre «Incoronazione», précédée de seulement trois opéras «Ottone in Villa»(1713), «Orlando finto pazzo» (1714) et «Arsilda, regina di Ponto» (1716). On se trouve donc à un tournant dans la création musicale de Vivaldi. Et il s'y montre génial. En effet, il ose, oui, ose! Reprendre un ancien livret d'Adriano Morselli aux situations humaines quasiment inextricables, à la philosophie inclinant tantôt vers le sérieux, tantôt vers le comique mais où Vivaldi trouve le matériau parfait pour réaliser une prodigieuse synthèse. Tout se «tient», charme et conduit infailliblement du chaos des passions, de l'ignorance, de la violence et à travers maintes épreuves, travestissements ou retournements de situation, jusqu'à la révélation de soi et l'amour parfait. Trame typiquement belcantiste qui repose nécessairement sur le travestissement, le jeu des apparences et le dévoilement. Et qui peut donc confier à un personnage masculin un timbre féminin et vice versa. Ce qui avait tant choqué les Français quand, en 1645, Mazarin avait fait jouer au Petit Bourbon, la «Finta Pazza» de Sacrati, puis deux ans plus tard «l'Egisto» de Cavalli. Certes, cette tradition qui va de Monterverdi à l'Octavian de Richard Strauss, n'est pas toujours perçue dans sa dimension métaphysique ni même son intérêt esthétique. Disons simplement qu'ici, Vivaldi nous captive avec panache et qu'il apparaît de plus en plus clairement que, chez lui, le dramaturge égale le musicien. Pour s'en convaincre, il suffit d'écouter attentivement les mesures introductives des arie (leur rythme, surtout leur instrumentation typique et hautement suggestive). On est en présence d'un «homme de théâtre». Enfin, dernière raison d'écouter, d'analyser ce superbe opéra: la beauté même de l'ensemble texte/musique. On y retrouve naturellement ça et là quelques reviviscences des œuvres orchestrales antérieures ce qui donne une qualité supplémentaire. Vivaldi ne change ni de plume, ni d'encre en passant du symphonique à l'opéra. Certes, plus encore, les arie qu'il articule avec la plus totale liberté apparaissent d'une vérité musicale, psychologique, théâtrale la plus évidente. La vie pétille, explose, rebondit et innerve chaque mesure d'autant que les interprètes – instrumentistes et chanteurs – sont tous excellents et même superlatifs (Anders Dahlin et Lucia Cirillo). Il convient tout autant de louer Frédéric Delaméa qui signe une présentation savante, sans pédanterie faite de sérieux, de finesse et fort bien écrite.
Bénédicte Palaux Simonnet

Son 10 - Livret 10 - Répertoire 10 - Interprétation 10

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