Une réédition indispensable mais assez peu soignée

par

RICHARD STRAUSS CHEF D'ORCHESTRE
Oeuvres de Richard Strauss, Wolfgang Amadeus Mozart, Ludwig van Beethoven, Christoph Willibald Gluck, Carl Maria von Weber, Richard Wagner et Peter Cornelius
Enrico MAINARDI (violoncelle), Heinrich SCHLUSNUS (baryton), Orchestre de la Staatskapelle de Berlin, Orchestre Philharmonique de Berlin, Richard STRAUSS (direction et piano)
1926-1941-ADD-7h12'-Textes de présentation en anglais, allemand et français-DG 479 2703 (7 cd)

Grâce soit rendue à DG de nous restituer tout ce que Richard Strauss a engrangé pour le défunt label Polydor de 1926 à 1941 en tant que chef d'orchestre. Tout? Non car l'éditeur a cru pouvoir s'abstenir d'y inclure les premières versions de la 40ème symphonie de Mozart (1926) et de Don Juan (1917). Par contre, les deux Don Quichotte, en 1933 et 1941, ont été gardés. Cette réserve mise à part, nous sommes très heureux de voir publiées en un tout cohérent des gravures qui, jusqu'ici, n'avaient revu le jour en cd que de manière anarchique et éphémère, dans des conditions techniques rarement optimales. Sur ce plan, d'ailleurs, notre plaisir est gâché par une certaine désinvolture. Les reports, en particulier dans les oeuvres de Strauss, sont très perfectibles: saturations qu'il aurait été facile d'éliminer, changements de perspective sonore, notamment au moment du passage d'une face de 78 tours à l'autre, espace sonore allant de la mono à une sorte de stéréo artificielle dans un même morceau, etc. On a souvent l'impression qu'ils ont été faits à partir des rééditions 33 tours et non des matrices originales. Les compositeurs autres que Richard Strauss lui-même sont mieux traités. Cela étant dit, on ne peut que rester admiratif devant un art de la direction à la fois si accompli et original. La 5ème de Beethoven, publiée en 1928, est à ce titre emblématique de ce type de direction: articulation serrée, respiration réduite au minimum, tempos extrêmement rapides qui laisseraient sur place tous les baroqueux. Pas étonnant dès lors que cette version conserve toujours la durée la plus courte de toute la discographie (sans reprises, il est vrai): à peine plus de 27 minutes, lorsque les plus rapides se situent toutes largement au-dessus de 30 minutes. La 7ème, qui fut enregistrée à la même époque (1926), amène les mêmes commentaires. Ce traitement marque aussi Mozart: symphonies n° 39 à 41 et ouverture de La flûte enchantée, et ne manque pas de nous interpeller. Combien, en effet, ce langage nous apparaît moderne, vert, nerveux, comme si le compositeur voulait se démarquer de la manière la plus visible possible de la tradition wagnérienne! Ce que les tenants d'un retour aux sources se sont efforcés d'atteindre en 40 ans d'effort, Strauss y était déjà parvenu, il y a presque 90 ans de cela! Mais c'est bien sûr dans ses propres oeuvres qu'on était le plus impatient de l'entendre ou de le ré-entendre. Un Don Juan dégraissé et dépourvu de tout spectaculaire, un Till Eulenspiegel tout en arêtes vives, un Mort et Transfiguration lugubre et grinçant, une danse de Salomé haletante... Et pourtant, de quelle lumière intérieure il illustre tout cela! Malgré l'excellence des Kempe, Böhm ou Reiner, ces gravures sont infiniment précieuses car elles révèlent ce quelque chose que seul le compositeur pouvait donner: une évidence, une authenticité, un décryptage si intime des partitions, de leur pulsation, de leur vie interne. Cette approche est la plus réussie dans les deux Don Quichotte – celui de 1933 est encore magnifié par le violoncelle si lyrique de Enrico Mainardi – et dans un Heldenleben que toutes les nouveautés technologiques ne parviendront pas à décrocher de la plus haute marche du podium. On remarquera aussi la présence de pages plus rares telles que la suite du Bourgeois Gentilhomme, la Musique de fête japonaise ou l'interlude symphonique de l'opéra Intermezzo. La plupart des enregistrements ont été réalisés avec l'orchestre de la Staatskapelle de Berlin, un ensemble solide qui ne peut cependant pas rivaliser avec les Philharmoniker avec lesquels sont réalisés certains enregistrements du coffret et qui offrent un lustre et un confort plus marqués. Passionnant! Seule la relative nonchalance de certains des reports prive ce coffret du Joker.
Bernard Postiau

Son 5 - Livret 7 - Répertoire 10 - Interprétation 10

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