Une soirée à nouveau sous le signe de Mozart et Schumann, sans oublier Fiorini

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Pour cette première soirée de demi-finale, quatre candidats aux profils et parcours totalement différents se sont succédés sur la scène du Studio 4 de Flagey. Le hasard fait que le public, venu nombreux pour l’occasion, a pu goûter à nouveau au langage intense et expressif de Schumann puisque les deux récitals y étaient en partie dédiés.Cho_Jun-HwiLe jeune Coréen Jun Hwi Cho entame la soirée avec une lecture du Concerto n°21 en do majeur de Mozart. A seulement 20 ans, le candidat est actuellement étudiant à la Julliard School aux côtés de Matti Raekkalis. Malgré un palmarès déjà bien rempli, il offre un Mozart peu convaincant. Trop souvent en retrait, il affiche à plusieurs reprises quelques marques de nervosité malgré un timbre délicat et un jeu par moment perlé comme on peut l’espérer chez Mozart. Le premier mouvement annonce des difficultés à maintenir des tempis, et quelques décalages avec l’orchestre se font sentir. Il est regrettable aussi que son jeu, à plusieurs reprises, ne parvienne pas à passer au-dessus de l’orchestre, rendant le tout confus. Le second mouvement démontre une volonté à dialoguer avec l’orchestre. Mais cette sensation s’efface au fil du mouvement pour ce candidat qui n’ose pas s’ouvrir. Le dernier mouvement gagne en revanche en énergie, la mise en place est meilleure, le tout beaucoup plus enjoué et plaisant voire facétieux. Attention, voilà un candidat qui dispose d’une technique pianistique redoutable et d’une facilité évidente pour ce type de répertoire. Il aurait juste fallu qu’il s’ouvre et qu’il s’amuse davantage. Notons, comme Bernadette Beyne cet après-midi, une curieuse exécution du pupitre des cors bien trop souvent au premier plan.

Pierdomenico_LeonardoLe candidat italien Leonard Pierdomenico a choisi le Concerto n°20 en ré mineur. Il a 23 ans et a notamment étudié auprès de Pietro de Maria et Benedetto Lupo, que le public belge connaît bien. Dès les premières mesures de l’ « Allegro », il installe une atmosphère d’une justesse dramatique rare, tel un seul souffle. Son exécution ne manque à aucun moment d’inspiration, expressive sans en faire trop. Un jeu brillant et d’une clarté étonnante. Sa direction, mariée à la compréhension de la structure, fait de ce premier mouvement un véritable petit bijou. Le second est tout aussi sensible, grâce à un jeu pianistique coloré et imagé. Comme pour le mouvement précédent, bon choix du tempo de la part du candidat, lui permettant une plus grande liberté dans la construction des phrases. Le dialogue avec l’orchestre est ici abouti malgré une partie centrale désordonnée par des décalages avec l’harmonie. Le dernier mouvement est nerveux, mais dans le bon sens du terme, et affiche un renouvellement permanent des idées.

Schumann, Debussy et Fiorini en deuxième partie de soirée
Ce sont sans conteste deux très beaux candidats qui se sont succédés en seconde partie de soirée. Comme pour la séance de 15h, les deux pianistes ont opté pour Schumann. C’était aussi l’occasion d’entendre ou réentendre la pièce de Fabian Fiorini. Partition à l’appui, nous pouvons dire ici qu’il s’agit d’une très belle œuvre. D’une part, elle explore tous les registres du clavier, et d’autre part elle impose au candidat une concentration sans failles tout en lui offrant malgré tout une grande marge de manœuvre.

Kim_Su-YeonLa pianiste coréenne Su Yeon Kim est âgée de 21 ans. Elle étudie actuellement auprès de Pavel Gililov au Mozarteum de Salzburg et affiche déjà un beau palmarès. Dans Fiorini, elle démontre une belle compréhension de l’œuvre qu’elle possède d’un bout à l’autre, et elle n’affiche aucune difficulté. Elle aurait pu s’ouvrir davantage et en faire plus, notamment dans les sections plus envolées. Elle se lance un défi, mené avec brio, avec l’incroyable complexité de l’architecture des redoutables Kreisleriana. Dans chacune des huit pièces, Su Yeon Kim voit clair et mène l’ensemble avec clarté et sensibilité. Elle possède une très large étendue de dynamiques et couleurs et en joue à chaque instant. Voilà aussi une pianiste qui prend le temps de faire sonner les choses, par le biais notamment de ralentis. Elle valorise très justement certains enchaînements harmoniques, offrant ainsi une longue poésie parsemée de couleurs tantôt lumineuses, tantôt assombries. Un piano intime, tout en couleurs, avec un bel usage de la pédale. Un grain de « folie » aurait fait de cette exécution une prestation exceptionnelle.

Jurinic_AljosaAprès avoir travaillé auprès d’Eliso Virsaladze, membre du jury, le candidat croate de 26 ans, Aljosa Jurinic, étudie maintenant à la Hochschule für Musik Franz Liszt à Weimar dans la classe de Grigory Gruzman. Jurinic a littéralement bluffé le public par son choix de programme. En débutant avec la Rêverie de Debussy, il emporte d’une main de maître toute l’attention de la salle. Un choix extrêmement judicieux qui démontre ici une grande maîtrise de l’instrument mais aussi une capacité à construire un programme captivant. Douceur, fluidité, timbre idéal, linéarité à aucun moment bousculée, voilà quelques mots qui résument bien la situation. Pour la pièce de Fabian Fiorini, Jurinic choisit des tempi plus allants, joue la pièce de mémoire, et offre une lecture beaucoup plus dynamique que la candidate précédente. Totalement investi et inspiré, il tire de l’œuvre tous les aspects percussifs, parfois tyranniques, tout en contrôlant les sections plus calmes et intimes. Il conclut sa prestation avec une lecture remarquable de la Première Sonate de Schumann. Dès le début de l’ « Allegro », c’est un grand son que développe le candidat. Totalement libéré d’un stress éventuel, il va très loin dans la recherche architecturale de la pièce. Une grande palette de dynamiques vient ponctuer le discours tandis qu’il communique et partage avec le public une passion évidente pour l’œuvre et le piano en général. Dans l’ « Aria », il dispose d’un timbre touchant, intime, produit de prodigieuses couleurs et s’exprime pleinement. Les deux derniers mouvements sont éclatants, ne tombent à aucun moment dans la simplicité et ne présentent aucun signe de fatigue. Son jeu est puissant, tant dans la technique que dans la dramaturgie. Doté d’une grande personnalité et quel que soit le résultat final, voilà de toute évidence un artiste à suivre.
Ayrton Desimpelaere
Flagey, le 9 mai, séance de 20h00

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