Mozart, ce chenapan !

par

Vous savez, celui qui sur quatre notes répétées fait chavirer votre univers ! Chez soi, sur le piano, on en joue les plus beaux thèmes, sur sa platine, on écoute les plus grands,... cela semble si facile. Et pourtant !

Dongkyu Kim
Dongkyu Kim
Atsushi Imada
Atsushi Imada

 

 

 

 

 

 

 

 

Dongkyu Kim propose un K. 466 gonflé de romantisme ad libitum; il éprouve des difficultés à trouver son tempo ce qui, évidemment, ne manque pas de créer des décalages avec l'orchestre, la son est mat et l'ensemble sans cohérence.
Atsushi Imada est tout autre. Un K. 537 -que l'on n'entendra plus cette semaine- organique à la sonorité cristalline, un chant naturel, des plans bien établis, une polyphonie très claire dans le passage concerné, un mouvement lent très sensible auquel l'orchestre reste malheureusement sourd, virtuosité de bon aloi dans ce concerto peut-être le plus virtuose de Mozart. Une très belle prestation.

EunAe Lee
EunAe Lee
Alexander Beyer
Alexander Beyer

 

 

 

 

 

 

 

 

En soirée, EunAe Lee propose un K. 467 très assertif et joyeux, confinant parfois à trop d'extraversion, les phrasés sont soignés, les intentions sont bonnes, mais la sauce ne prend pas. Pourquoi ? Peut-être Mozart détient-il seul la réponse.
Alexander Beyer propose un Mozart "Sturm und Drang", bien pulsé, surtout dans les parties extrêmes, très sonore -parfois trop- mais souffrant parfois d'abus de la pédale. Le visuel de ses mains sur les écrans placés de part et d'autre de la scène montre son intelligence des phrasés. Etonnant de maturité chez ce jeune homme de 21 ans.
Mais qui sont ces quatre demi-finalistes ? Dongkyu Kim est né en Corée le 7 janvier 1986 et, après des études à l'Université Nationale de Corée, il a rejoint la Hochschule für Musik de Hanovre où il travaille depuis six années avec Markus Groh. Atsushi Imada est un Japonais de 25 ans. Jusqu'en 2014, il a travaillé à la Tokyo University of Arts avant de rejoindre le Royal College of Music de Londres où il est le disciple de Dmitri Alexeiev. EunAe Lee est née en Corée le 13 février 1988 et réside à Chicago. En 2006, elle est entrée à la Juilliard School de New-York où elle étudia pendant cinq ans et elle a ensuite rejoint le Mannes College of Music et la Northwestern University (Illinois). Ses professeurs : Martin Canin, Richard Goode et James Giles. Alexander Beyer est un Américain de 21 ans et il travaille au New England Conservatory de Boston. Ses maîtres : Russell Sherman et la Coréenne Wha Kyung Byun.

Venons-en à la partie récital des demi-finales.

Huang Ruoyu
Huang Ruoyu

Ruoyu Huang est un pianiste chinois de 27 ans. A l'âge de 17 ans, il a rejoint les grandes écoles américaines : bachelier au Curtis Institute of Music de Philadelphie, master et artist diploma à la Juilliard School. Ses professeurs : Robert McDonald, Mme Yoheved Kaplinsky et Sergeï Babayan, lui-même lauréat du Concours Reine Elisabeth en 1991. Ruoyu Huang recrée l'oeuvre de Fiorini, lui donne sens, la fait narrative et lyrique. Le programme qu'il propose lui permet de valoriser les diverses facettes de son talent. Une Barcarolle de Chopin "mezzo voce" avec des pianissimi  qui sonnent; Huang est un conteur qui détient les ficelles pour rendre son propos clair et passionnant. Il ferait comprendre Spinoza à une mouche ! L'Ondine de Ravel extraite de Gaspard de la Nuit chatoie de mille feux et les crescendi sont menés dans la tension. Suivait la 2e Sonate de Rachmaninov dans laquelle on peut savourer le bonheur de la sonorité dans tous les registres, l'usage de la pédale est judicieusement réalisé, le pianiste joue de tout son corps. Un virtuose complet.

Lukas Vondracek
Lukas Vondracek

Lukas Vondracek est né en Tchéquie et réside aux Etats-Unis où il a obtenu, en 2010, un "Artist Diploma" au New England Conservatory (Boston) où il a travaillé avec Hung-Kuan Chen. Des Tears of Lights de Fabian Fiorini il donne une vision expressionniste, très concentrée dans le fortissimo et les clusters. Ensuite lui revient la tâche de défendre l'immense Sonate op. 5 de Brahms, la dernière sonate d'un compositeur d'à peine 20 ans, étonnante d'achèvement et de maturité, une pièce de plus de 40 minutes en cinq mouvements. Une sonate qui fourmille de détails d'écriture tout à fait passionnants mais dont l'expression ne doit pas altérer le souffle de grande arche où ils sont enfouis. Totalement investi dans la musique, Lukas Vondracek relève la gageure avec puissance et maturité, même si on peut lui reprocher une approche trop abstraite de l'ensemble. Une oeuvre vraiment très ingrate et d'ailleurs peu jouée car redoutée des pianistes.

 

Dinara Klinton
Dinara Klinton

Le récital de la soirée débutait avec Dinana Klinton, Ukrainienne résidant à Londres où elle travaille au Royal College of Music de Londres avec Dina Parakhina après cinq années d'étude au Conservatoire de Moscou avec Eliso Virsaladze présente dans le jury, et six années à l'Ecole Centrale de Musique de Moscou avec Valery Pyazetsky. Un parcours totalement russe. Elle a judicieusement choisi son programme : pas d'oeuvre éléphantesque mais des courtes pièces qu'elle peut maîtriser. Une vision très claire de la partition imposée mais dont elle gomme les échelles de nuances; une très belle sonorité perlée, une grande précision de jeu et une belle concentration dans les deux sonates de Scarlatti -étonnant de retrouver ce compositeur en demi-finales- magnifiquement données. Une classique Sonate op. 78 de Beethoven suivie d'un Nocturne (op. 48 n°2) et le 3e Scherzo de Chopin dont elle établit bien les plans sonores. Une ombre au tableau toutefois : cette belle sonorité, on la retrouve déclinée partout, quel que soit le répertoire.

Larry Weng
Larry Weng

Et la journée de mardi se clôturait avec la prestation de Larry Weng, un pianiste chinois de 28 ans qui a travaillé pendant cinq ans avec Jerome Lowenthal et, depuis 2010, travaille avec Boris Berman. Sous ses allures de grand Bouddha, Larry Weng est un poète, créateur d'atmosphère, un contemplatif doté d'une main virtuose. De Tears of Light, il donne une vision tragique, dantesque, tel un un péril nucléaire. Une oeuvre redoutable l'attendait aussi : Miroirs de Ravel dans l'intégralité de ses cinq pièces truffées d'harmonies nouvelles et évocatrices qui collent à la peau du musicien. Une magnifique prestation, même si on avait souhaité pour le compositeur français une sonorité plus affinée, plus incisive.

Bernadette Beyne
Flagey, mardi 10 mai 2016

Les commentaires sont clos.