Rien à voir : quand la musique va au coeur des choses

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Une fois les 24 chanteurs du Vlaams Radio Koor (Choeur de la Radio flamande, ci-après VRK) et leur chef Bart Van Reyn installés sur la scène de Flagey en compagnie d’un pianiste (qui restera malheureusement anonyme) et d’un quatuor à cordes composés de musiciens (pas davantage identifiés) issus des rangs du Brussels Philharmonic (dont dépend également le VRK), une voix se fait entendre dans les haut-parleurs, celle d’un homme qui nous racontera comment il a fini par perdre la vue à la suite d’une affection génétique et qui commence par nous dire cette simple phrase : « Je ne vous vois pas, mais vous ne pouvez pas me voir non plus ». Ce sera le début de l’histoire du jeune Bruxellois et parfait bilingue Karl Meesters -fondateur de Rien à voir, une association qui cherche à rapprocher les aveugles et malvoyants de toutes les formes de musique- et dont l’histoire personnelle sera le fil conducteur d’un concert remarquablement conçu (et ici, coup de chapeau bien mérité à Alain De Ley, responsable artistique de ce spectacle d’une intelligence inhabituelle) qui nous conduira dans un répertoire de musique chorale moderne et contemporaine axé sur le passage de la lumière aux ténèbres, saisissant parallèle du destin vécu par le jeune homme.

Tout comme Karl Meesters qui nous raconte son histoire avec intelligence et lucidité, sensibilité et humour, le répertoire que nous entendrons n’a rien de triste ou de larmoyant. Souvent, le narrateur conte son histoire sur fond musical d’oeuvres pour piano, superficielles mais joliment consonantes, du compositeur touche-à-tout islandais Ólafur Arnalds. 

Dans les oeuvres pour choeur, les chanteurs du VRK firent preuve à tout moment d’une maîtrise confondante : égalité des voix, parfaite maîtrise de la dynamique et du vibrato, justesse parfaite, implication sans réserves.

Quant au répertoire choisi, il réservait quelques perles, à commencer par le splendide Tenebrae Factae Sunt (extrait des Quatre Motets pour un temps de pénitence) de Poulenc. Musique sublime, bénéficiant ici d’une interprétation de toute première qualité. L’autre sommet de ce concert fut le surprenant et ingénieux arrangement fait par le chef et compositeur allemand Clytus Gottwald du célébrissime Adagietto de la 5e Symphonie de Mahler, déposant sur les notes de Mahler les paroles du merveilleux poème Im Abendrot d’Eichendorff (déjà utilisé par Richard Strauss dans ses Vier letzte Lieder). On félicitera Bart Van Reyn pour son tempo allant et son refus de tout sentimentalisme. Il vaut d’ailleurs la peine de souligner que chef et choristes étaient aussi peu avares de leurs efforts dans des oeuvres de réelle qualité -telles le Ein Wallfahrtslied  d’Arvo Pärt ou le remarquable O  Magnum Mysterium  de Morton Lauridsen- que dans d’autres nettement moins intéressantes, comme l’assez sucré et New Age Luminous Light of the Soul d’Ola Gjello (mais qui plaira certainement aux fans du Philip Glass de Koyaanisqatsi) ou de l’assez conventionnel Only in Sleep du compositeur letton Eriks Esenvalds, pour soprano (très bonne soliste, anonyme elle aussi) choeur et cymbale (jouée avec des maillets), oeuvre bien écrite dans le style choral anglo-américain. C’est d’ailleurs sur une oeuvre américaine contemporaine que se termina ce concert alors que les chanteurs, pendant que les lumières de la salle s’éteignaient progressivement, formaient un cercle autour de leur chef pour interpréter Sleep d’Eric Whitacre (star incontestée de la musique chorale outre-Atlantique), musique de facture romantique traditionnelle, mais très bien écrite pour les voix et terriblement efficace.

Triomphe mérité pour tous les interprètes, ainsi que pour Karl Meesters qui vint saluer -lunettes noires et canne blanche, sourire rayonnant- un public enthousiaste.

Bruxelles, Flagey, 26 septembre 2019.

Ce programme sera encore donné le 26 octobre à Bruges, le 9 novembre à Lierre et le 17 novembre à Anvers.

Crédits photographiques : Saskia Vanderstichele

Patrice Lieberman

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