Une Tosca de référence

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Martina Serafin (Tosca), Marcelo Alvarez (Mario Cavaradossi) et Ludovic Tézier (Scarpia) © Charles Duprat / Opéra national de Paris

Un envol de femmes nues (Bouguereau), une citation de Freud (le programme) un dramaturge  (pour épauler le metteur en scène ?) quelques allusions visuelles surgies du cinéma italien (Fellini, Pasolini ou Rosselini) et voilà Tosca telle qu'en elle-même l'a conçue Puccini !

Dans un contexte historique extrêmement confus et dramatique (bataille de Marengo, occupation de Rome) que les librettistes Giocosa et Illica ont conservé - un concentré de cruauté à lui tout seul- la cantatrice Floria Tosca amoureuse du peintre Mario Cavaradossi est manipulée par le baron Scarpia pour détruire la faction indépendantiste (Cesare Angelotti). Le choc frontal de l'Eglise, de la Guerre, de la Basse Police et ses méthodes de tortures physiques et morales, de la Lutte des Classes, de l'Art, du Sexe, du Destin et de l'Amour avec ses retournements et sa poésie quasi shakespeariennes sature en soi l'imagination. Au point que tout ajout, toute transposition s'avère superfétatoire. Frôlerait même le Grand guignol. Ainsi, en dépit des quelques touches légères citées plus haut, les didascalies comme les textes sont ici miraculeusement et exactement respectés. Et ça « fonctionne » ! Le metteur en scène Pierre Audi aime bien les découpages horizontaux comme on l'avait déjà vu avec « La Juive » d'Halevy sur cette même scène. Cette fois, c'est un bloc gigantesque en forme de croix qui se désosse pour créer les espaces chapelle- fresque de Marie Madeleine- estrade où surgit Scarpia. Puis s'élève d'un niveau pour surplomber le rouge salon du Palais Farnèse, meublé de chandeliers Renaissance, globes terrestres, bustes antiques et crucifix derrière lequel s'ouvre le boyau de la salle de torture. Et au troisième acte, laisse l'espace vide du toit du château Saint Ange où des squelettes d'arbre font office de poteau d'exécution. Le dernier mot est laissé à la lumière dans laquelle Tosca disparaît. Lumières traitées tout au long de l'ouvrage avec beaucoup d'habileté et de soin (Jean Kalman). Dans les costumes « Empire » (Robby Duiveman) fort seyants, la soprano autrichienne Martina Serafin s’épanouit au fur et à mesure de la représentation. Peut-être plus amoureuse que tigresse, elle sait se montrer touchante (« Vissi d'arte ») et s'impose sans démonstration outrancière avec un chant ample pas toujours homogène aux aigus dorés qui se marie fort bien avec la fougue de son Mario, Marcelo Alvarez. Le ténor argentin compense un manque d'agilité scénique par un art du chant nuancé, au galbe souple, aux contrastes dynamiques, d'un caractère formidablement passionné, apollinien et investi (« Recondita armonia », « E lucevan le stelle ». Très attendu pour sa prise de rôle, le Scarpia de Ludovic Tézier annoncé souffrant, domine d'une autorité sobre l'action scénique et chante superbement. Il a d'autant plus de mérite qu'il tombe à côté de son fauteuil juste au début de la grande scène de confrontation avec Tosca. Mais la violence est bien là : dans la musique de Puccini- qui empoigne implacablement l'auditeur grâce à l'impulsion du chef Daniel Oren. Veillant à l'équilibre général, parfois prudent lors de cette Première, il sert la complexe modernité de l'écriture puccinienne dans l'épure plutôt que dans l'avachissement ou la complaisance sentimentale qu'on associe au Vérisme, tout en mettant en valeur les pupitres et les solistes de son orchestre (violoncelles et cordes en particuliers).
Longs, très longs applaudissements, o combien, mérités !
Bénédicte Palaux-Simonnet
Opéra National de Paris, le 10 octobre 2014

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