Colt, Whisky and Far-West dans la Cité ardente

par

La Fanciulla del West
Que n’a-t-on médit sur cet opéra, le mal aimé des grands opéras de Puccini ? Opéra-western sans nécessité intérieure, livret insignifiant, manque d’airs mémorables, scène finale édifiante : de tous temps, la critique a eu la dent dure envers cette oeuvre qui date pourtant de la pleine maturité de son auteur, ce qui en rend l’insuccès problématique. Créée en 1910 au Metropolitan Opera de New-York, avec Caruso et sous la direction de Toscanini, La Fanciulla del West put compter sur un triomphe initial, mais… ne se maintint jamais au répertoire. Puccini avait pourtant particulièrement soigné sa partition, l’une des plus riches de toutes au niveau orchestral, et les ensembles annoncent ceux de l’ultime Turandot. Grand amateur de “couleur locale”, il adapte sa muse à la mode américaine, après la japonaiserie de Madame Butterfly. Rien n’est superficiel dans cette musique, aussi pensée que celle de ses opéras précédents. Peut-être la serait-elle trop, ce qui aurait nui à la spontanéité? D’autres au contraire, comme Deborah Voigt dans un interview récent, admirent la compréhension de l’âme américaine par le compositeur, qui aurait bien saisi l’esprit d’initiative et le côté “rédempteur” de l’héroïne. Au public actuel de juger, alors que semble s’amorcer une timide résurrection : l’opéra de Vienne la programme en effet prochainement, avec Nina Stemme et Jonas Kaufmann! L’occasion vient d’en être donnée à l’Opéra Royal de Wallonie, avec cette nouvelle production mise en scène par Lorenzo Mariani, coproduite avec le Massimo de Palerme et le San Francisco Opera. Mise en scène plutôt conventionnelle peut-être, mais très linéaire et efficace, essentielle en tous cas pour un opéra moins connu du public. Tout le côté “pittoresque” requis pour le monde des mineurs, tant dans le saloon du premier acte que dans la clairière du troisième, est bien rendu, renforcé par une excellente direction des mouvements de foules, fondamentaux ici. Le premier tableau du dernier acte, menant à la condamnation à mort de Dick Johnson, est exemplaire à cet égard. Cette lisibilité profite aussi à l’acte central, plus difficile, avec son haletante partie de poker finale. La distribution choisie permet d’admirer le jeu dramatique des trois protagonistes, parfaitement en situation, mais également voix d’exception. Si Carlos Almaguer incarne un shérif d’une impressionnante intensité vocale et Carl Tanner un bandit amoureux aussi convaincant dans ses duos avec Minnie que durant son bref grand air Chella creda mi libero, c’est Deborah Voigt qui attire tous les suffrages par son interprétation idéale de Minnie. Aussi à l’aise en tenancière face à une meute d’hommes excités qu’en amoureuse d’un homme qu’elle ne connaît que petit à petit, la grande soprano dramatique a soulevé l’enthousiasme en dominant tout le spectacle par sa puissance vocale et théâtrale: une magnifique performance! A ce succès très justifié, il faut adjoindre les innombrables rôles secondaires, comme l’Ashby de Luciano Montanaro, le Sonora de Roger Joakim, la Wowkle d’Alexise Yerna ou le Billy Jackrabbit de Chris De Moor. Mais aussi les choeurs omniprésents et, peut-être surtout, le chef Gianluigi Gelmetti, grand spécialiste du répertoire italien qui a magnifié une partition éblouissante: jamais peut-être Puccini. Les applaudissements nourris du public liégeois augurent, espérons-le, d’une définitive mise au répertoire de cette Fanciulla del West qui le mérite amplement par des qualités que la présente production, tellement vivante, a soulignées on ne peut mieux.
Bruno Peeters
Liège, Opéra Royal de Wallonie, le 24 février 2013.

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