Vitali : de l’église à la salle de bal, différents visages de la sonate à la fin du Seicento

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Giovanni Battista VITALI (1632-1692) : Suonate a due violoni, Op. 2. Claudio Andriani, violon ; Micol Vitali, violon ; Ensemble Italico Splendore. Octobre 2015. Livret en anglais, italien. TT 63’23. Tactus TC632203. Sonate da camera, Op. 14. Claudio Andriani, Naoko Ogura, premiers violons. Ensemble Italico Splendore. Juillet 2016. Livret en anglais, italien. TT 64’43. Tactus TC632202

Ces albums relèvent d’une ambition de la troupe Italico Splendore, non seulement musiciens mais aussi défricheurs et éditeurs : révéler les trésors de la Biblioteca Estense de Modène, notamment les compositeurs actifs pour la Maison d’Este. Giovanni Battista Vitali fait partie du projet. Il naquit à Bologne et s’éteignit à Modène dont il avait rejoint la Cour en 1674. Kapellmeister à Bologne et auprès de Francesco II, virtuose du violone da braccio et des cordes graves, il contribua à la transition entre sonata da chiesa et sonate de chambre, participant ainsi à l’émancipation mélodique qui sera poursuivie par Arcangelo Corelli et Giuseppe Torelli au crépuscule du Seicento. En 1963, le musicologue John Suess (Université de Yale) s’était penché sur les spécificités de ce corpus. Vitali se situe toutefois encore à la charnière de la musique fonctionnelle et d’un genre plus purement instrumental affranchi de la danse, ainsi son ambivalent opus 3 qui en titre contient pièces « per ballare » et sinfonie da camera.

Ces deux disques (d’autres œuvres de Vitali par la même troupe viennent aussi de paraître chez Tactus) illustrent ces diverses guises. L’opus 2 (1682) regroupe douze sonates destinées à s’intercaler dans le rite liturgique, suffisamment austères pour ne pas divertir l’office (on en douterait), et cependant suffisamment brillantes pour être accueillies dans les salons de l’aristocratie. Les deux solistes dialoguent ou se toisent en homophonie dans des Grave riches d’affetti. La polyphonie fuguée se nourrit de contresujets, les rythmes ternaires empruntent à la danse. Bref le moule de la sonate d’église expérimente certaines audaces qui ouvrent la voie au baroque flamboyant. D’autant que le continuo déroge parfois au protocole et ose quelques délicieuses inventions. Ainsi la Nona : son délicieux interlude arpégé (1’24), son épanouissement en pizzicato (3’32). Ou la Undecima, où claquette la chitarra (2’36).

L’équipage italien se montre aux petits soins pour ce catalogue qu’il défend avec toute la conviction requise, sur des instruments authentiques ou copies fidèles. Comparé au disque du Semperconsort (Brilliant, août 2009), aux textures plus granitées, aux atmosphères à la fois prégnantes et intimistes, on notera que le continuo s’étoffe ici d’un violoncelle et d’un violone. Même si un surcroît de précision et de fièvre n’aurait pas nui aux allegros, même si les deux solistes manquent parfois d’ardeur ou d’autorité, la finition demeure fort adroite, guidée par une harmonieuse respiration d’ensemble, dans l’agréable acoustique de l’auditorium San Rocco de Carpi.

Quelques mois après, en octobre 2016 (au fait, on se demande pourquoi ces enregistrements ont attendu 2020 pour être publiés), dans la même salle, voici un autre décor qui s’ouvre à nous. Un orchestre, un bal ! Invitant flûtes à bec, hautbois, basson. Et percussion. Tel n’est pas l’état initial de cet opus 14 publié par le fils à titre posthume et dédié à la Duchesse Margherita Maria Farnese. La mouture pour deux violons et basse continue a été extrapolée par Italico Splendore, afin d’enjoliver ces danses (menuets, gavottes, gigues…) in stile francese, ou dégingandées (zoppa), assemblées en suite. On imagine ce que la parure gagne en chatoiement, en diversité de timbres, d’autant que Matteo Rabolini s’ingénie à décliner son éventail de percussion : au sommet, l’irrésistible Borea de la Suite no 6 (6’18). Au demeurant, on s’avère un peu déçu par l’interprétation, certes impeccable et raffinée, mais trop timide, comme n’osant offrir toute la réjouissance et le théâtre à ces pages ainsi orchestrées. Doit-on suspecter la perspective globalisante de la captation, qui aurait mérité un relief plus spectaculaire ? Voici en tout cas un valeureux éclairage qui sonne la cloche pour d’autres ensembles qui voudraient s’emparer de ces gourmandises. Pour autant, on ne boudera pas ce CD qui en soi, à défaut d’un complet enthousiasme, convie à bien des plaisirs.

Son : 9 (op 2) et 8 (op 14) – Livret : 9 – Répertoire : 9 – Interprétation : 8 

Christophe Steyne

 

 

 

 

 

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