Vous avez dit bizarre ?

par https://www.crescendo-magazine.be/dating-kissing-rules/

L’histoire de la musique est truffée de mystères ou d’événements survenus dans des circonstances pour le moins inhabituelles. Certains ont été résolus ou expliqués, d’autres seraient aujourd’hui qualifiés de fake news, et une troisième catégorie baigne toujours dans une brume mystérieuse.

La mort des musiciens, d’abord. Oublions la légende de la mort de Mozart qui aurait été tué par Salieri, dans un acte de jalousie. Mais qui a assassiné Jean-Marie Leclair en 1764 ? Son jardinier ? Sa femme ? Son neveu ? Ou s’agit-il d’un crime crapuleux : il venait de s’installer dans une banlieue peu recommandable, au-delà de la Porte du Temple. Des preuves accusaient le neveu, mais il ne fut jamais inquiété. 

Stradella. Encore une mort violente, à Gênes en 1682. Le personnage n’était pas très recommandable, auteur notamment de détournement de fonds, des fonds de l’Église qui mieux est. Grand séducteur, il avait dû fuir de ville en ville pour échapper aux maris trompés. Était-ce le même commanditaire qui avait déjà cherché à lui régler son compte peu auparavant à Venise ? Un noble dont il avait enlevé la maîtresse. Selon une autre hypothèse, il aurait séduit à Gênes la sœur de notables locaux qui auraient commandité sa mort pour sauver l’honneur de la famille. La vie de Stradella est si riche qu’elle a donné lieu à plusieurs opéras, notamment celui de Flotow (encore représenté de nos jours) et celui de Niedermeyer (totalement oublié).

Autre compositeur dont la mort a été à l’origine d’une fake news plus politique que musicale : Domenico Cimarosa. Venise, 1801, une mort subite que la rumeur publique attribua à la reine Marie-Caroline de Naples (sœur de Marie-Antoinette) : elle aurait voulu faire taire ce musicien très populaire dont les prises de position pro-républicaines trouvaient un écho un peu trop favorable dans la population. Rumeur colportée, entre autres, par Stendhal dans sa Vie de Rossini. Pour y mettre fin, on fit appel à une autorité médicale, un certain Piccioli, médecin personnel du pape, qui conclut (sous serment) à une tumeur abdominale gangréneuse. Affaire classée.

En ce qui concerne Tchaïkovski, l’affaire n’est toujours pas classée. Choléra ou suicide imposé par un tribunal d’honneur après la découverte d’une relation homosexuelle avec le neveu d’un aristocrate russe ? Les partisans de chaque hypothèse avancent preuves et arguments depuis plus d’un siècle sans être vraiment convaincants. 

Un doute plane également sur la mort de Chausson, la version officielle de l’accident de bicyclette étant contestée par les tenants d’un suicide en pleine dépression nerveuse, suicide qu’aurait caché la famille pour respecter les convenances. Là encore, faute de preuve…

En revanche, pas de mystère pour Alkan, une mort insolite : il avait reçu sur la tête sa bibliothèque qu’il avait fait basculer en cherchant à attraper un exemplaire du Talmud sur la planche supérieure. Mort d’une overdose de lecture !

Pas de mystère non plus pour Granados… qui n’aurait pas dû mourir dans le naufrage du Sussex torpillé en 1916 par un sous-marin allemand, car il aurait dû voyager sur un autre bateau. Malheureusement, ayant raté l’embarquement, il s’était retrouvé sur le Sussex. Pourtant, il aurait pu survivre car les sauveteurs étaient parvenus à le hisser à bord d’une chaloupe. Mais voyant sa femme lutter contre les éléments déchaînés, il avait plongé pour la sauver. En vain.

On n’insistera jamais assez sur le respect des conditions sanitaires. Si Lully avait accepté l’amputation après s’être administré un coup de canne (ancêtre de la baguette du chef d’orchestre) sur le pied, il aurait évité la gangrène fatale. Et si la femme d’Alban Berg avait désinfecté le couteau qu’elle utilisa pour extraire un dard du dos de son mari victime d’une piqûre d’insecte, elle lui aurait évité une septicémie, fatale elle aussi. 

Quant au respect des lois… ce pauvre Webern bravant le couvre-feu (Vienne, 1945) pour fumer une cigarette dehors. Le rougeoiement était une belle cible pour la patrouille américaine de garde. 

Ceci dit, laissons là nos chers défunts. D’autres mystères jalonnent l’histoire de la musique qui ne sont pas prêts d’être élucidés. Saura-t-on un jour qui était l’immortelle bien-aimée de Beethoven ? Ou si Brahms et Clara Schumann ont entretenu une liaison ? Ravel a-t-il effectivement dirigé l’enregistrement du Concerto en sol comme son nom apparaît sur l’étiquette des 78 tours, ou a-t-il cédé la baguette au jeune chef portugais Pedro de Freitas Branco ? Ravel était malhabile au pupitre ce qui rend l’hypothèse plus que plausible, malgré l’avis de certains spécialistes qui font fi des témoignages authentifiés. Ravel était d’ailleurs coutumier du fait : ce n’était pas un pianiste de haute volée et, pour la quasi totalité des enregistrements de sa musique pour piano réalisés à Londres dix ans plus tôt, il s’était fait remplacer par Robert Casadesus, dont le nom n’a jamais figuré sur les étiquettes. Une dernière anecdote, racontée par Chostakovitch dans ses mémoires : à la mort de Staline, on retrouva sur sa table de chevet un microsillon 33 tours qui a une histoire. Une dizaine d’années auparavant, pendant la guerre, le petit père des peuples entendit à la radio le Concerto pour piano n° 23 de Mozart. Retransmission en direct d’un concert dont la soliste était Maria Yudina. Il voulut absolument qu’on lui apporte le disque pour le réécouter le lendemain matin. Mais à l’époque, les concerts diffusés en direct n’étaient pas enregistrés. Pas question de contrarier Staline, bien entendu. La soliste, le chef et l’orchestre furent donc convoqués en pleine nuit pour graver le concerto. Mais le chef était tellement traumatisé par le contexte qu’il accumula les faux départs. Un second chef arriva en renfort, à moitié ivre. Après quelques tentatives infructueuses, les musiciens refusèrent de continuer avec lui. C’est seulement le troisième chef qui fit l’affaire. Il n’existe qu’un seul exemplaire de ce disque, celui de la table de chevet de Staline. Par la suite, Maria Yudina réenregistra ce concerto et certains éditeurs cherchèrent à créer la confusion en laissant croire qu’il s’agissait de la version spécialement gravée pour Staline. Quelle est la part de vérité dans cette anecdote ? Il en existe plusieurs variantes. Mais la seule chose certaine, c’est que jusqu’à la mort de Staline, Maria Yudina bénéficia d’une liberté de parole qui lui aurait valu bien des ennuis en d’autres circonstances. Ce qui prouve que la musique adoucit les mœurs.

Crédits photographiques : Maria Yudina

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.