A Genève, Un chef et quel chef pour des HUGUENOTS ridiculisés !

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Depuis 1927, le Grand-Théâtre de Genève n’a jamais remis à l’affiche Les Huguenots de Meyerbeer, le prototype du grand opéra en cinq actes créé à l’Opéra de Paris de la rue Le Peletier le 28 février 1836. Une œuvre aussi monumentale que celle-ci, s’étirant sur plus de quatre heures, doit vous tenir en haleine de bout en bout. Et celui qui en a le mieux perçu la problématique, c’est Marc Minkowski qui empoigne cette partition avec l’énergie du passionné qui ferait n’importe quoi pour révéler au spectateur la véritable grandeur de cette musique. Quitte à bousculer les tempi, il la rend incandescente en extirpant de l’Orchestre de la Suisse Romande un flux bouillonnant comme la lave, tout en sachant éviter le piège de la boursouflure ; il ménage aussi des moments de sérénité lorsque, sur scène, paraissent une altiste accompagnant de sa viole d’amour la romance de Raoul « Plus blanche que la blanche hermine » ou un flûtiste ornementant de volutes virtuoses l’air d’entrée de Marguerite de Valois « Ô beau pays de la Touraine ». Et le Chœur du Grand-Théâtre à l’effectif renforcé, magnifiquement préparé par Alan Woodbridge, produit cette ampleur de son de la masse populaire déchirée entre deux factions rivales. 

Sur scène s’impose en premier lieu le remarquable ténor John Osborn qui s’empare du rôle écrasant de Raoul de Nangis, écrit pour le légendaire Adolphe Nourrit, avec une endurance hors du commun et une musicalité irréprochable qui lui permet de filer ses aigus dans les séquences intimistes. Pourquoi a-t-il accepté d’être affublé comme un péquenot au visage meurtri, au pantalon bâillant sous veston sale ? Il faut donc incriminer le goût contestable d’Anna Viebrock, costumière et décoratrice du spectacle, qui s’ingénie à le présenter en maillot de corps avant de lui faire enfiler un smoking de cérémonie qu’il mérite ô combien, après s’être coincé le buste entre les miroirs d’une console. Peut-on aussi métamorphoser Marguerite de Valois, la célèbre Reine Margot, en une Rita Hayworth pulpeuse, passant d’un tailleur violet glaçant à un fuseau bleu canard et blouse rose pétant sous zibeline que n’importe quelle midinette hésiterait à accoler ? Mais heureusement Ana Durlowski qui l’incarne sait faire valoir une technique de coloratura aguerrie, même si le timbre exhibe une aigreur repoussante. L’on en dira de même de la Valentine de Rachel Willis-Sorensen, dont le lirico spinto est entaché de stridences lacérant sa ligne de chant ; mais, au moins, elle s’investit totalement dans son personnage de mystérieuse inconnue à lunettes noires échappée d’All About Eve. Michele Pertusi campe un Marcel qui a la bonne fortune d’être vêtu comme un soudard fanatique, tentant de pallier l’usure des moyens, notamment dans le grave, par une présence théâtrale saisissante. Sous les traits du page Urbain qui devient ici une ingénue déguisée en clown comme la Gelsolmina de La Strada, Lea Desandre est encore un peu verte pour oser affronter le rondeau « Non, vous n’avez jamais, je gage » écrit pour Marietta Alboni et rendu célèbre par Marilyn Horne. Par contre, Alexandre Duhamel est un superbe Comte de Nevers au grain mordoré face au Saint-Bris racé de Laurent Alvaro ; et l’ensemble des douze seconds plans est de bonne qualité.

Comme esquissé entre les lignes, le bât blesse au niveau de la mise en scène confiée au tandem Jussi Wieler-Sergio Morabito qui nous a laissé, au cours des dernières saisons, un arrière-goût amer avec une Rusalka dans un bordel de luxe, tout de rose satiné, et une innommable Norma dans un lazaret délabré. Pour cette nouvelle production, il demande à Anna Viebrock une scénographie sobre consistant en un studio cinématographique des années trente où s’entassent les colonnes antiques, une galerie d’église tombant en ruine, deux énormes caméras sur trépied jouxtant sièges de script et table de maquillage. Durant l’ouverture, la future souveraine fait office de directrice de production, laissant émerger des bas-fonds une douzaine de parpaillots ensanglantés, à demi nus sous leurs haillons, tandis que, sur le plateau, se presse une jeunesse dorée tuant le temps à coup de raquettes de tennis. Pourquoi donc transposer à notre époque un fait historique advenu dans la nuit du 23 au 24 août 1572, le massacre de la Saint-Barthélémy ? Il est vrai qu’il est orchestré ici par une figurante représentant Catherine de Médicis, passant son temps au téléphone pour se faire narrer le déroulement des opérations ! Lorsque Marcel martèle le choral « Seigneur ! Rempart et seul soutien », pourquoi ses ennemis sont-ils atteints de déhanchements spasmodiques qui frisent le ridicule ? Faut-il attribuer leur invention à la chorégraphe Altea Garrido qui fera swinguer la chorale féminine assistant au casting de deux ‘spice girls’ dans les jardins de Chenonceaux ou qui contraindra la Reine à se livrer au french cancan à l’Hôtel de Nesle ? Au Pré-aux-Clercs, alors que le parti catholique lutte contre d’intolérables démangeaisons, le duel à l’épée qui oppose Raoul à Saint-Bris tourne à un… combat de boxe totalement saugrenu. Et il faut en arriver au dernier tableau pour que l’atroce prêt-à-porter subi pendant quatre actes cède la place à de somptueux costumes historiques pour une durée de… vingt minutes. Mais comme le dira Lescaut, un demi-siècle plus tard, « A quoi bon l’économie !... » Cependant, lorsque le rideau tombe sur ce fatras, il nous reste au moins le fait d’avoir redécouvert un ouvrage magnifique dont Marc Minkowski est le révélateur patenté !

Paul-André Demierre

Genève, Grand-Théâtre, le 4 mars 2020

Crédits photographiques : © Magali Dougados

 

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