A Genève, une Elektra en équilibre… instable   

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Depuis les représentations de novembre 2010 avec Jeanne-Michèle Charbonnet et Eva Marton dirigées par Stefan Soltesz qui n’ont pas laissé de souvenir mémorable, le Grand-Théâtre de Genève n’a pas remis à l’affiche l’Elektra de Richard Strauss. Onze ans plus tard, son directeur, Aviel Cahn, fait appel au régisseur allemand Ulrich Rasche qui vient de réaliser à Munich la production de la tragédie éponyme de Hugo von Hofmannsthal. Pour la mise en musique de Richard Strauss, le scénographe conçoit une structure métallique pesant plus de onze tonnes surmontée d’une cage de près de deux tonnes constituant une tour écrasante, entourée de deux disques rotatifs lumineux qu’arpentent inlassablement les cinq servantes et leur surveillante selon une dynamique dictée par le rythme musical. Sous de  fascinants éclairages élaborés par Michael Bauer accentuant la sensation de froideur claustrale du royaume des Atrides, le pivot central se fractionne afin de livrer un espace de jeu en déclivité, ce qui oblige les protagonistes à s’arrimer par une corde à un noyau central. Pour cette raison, les costumes de Sara Schwartz et de Romy Springsguth ne sont donc que des justaucorps gris noirs équipés d’une ceinture de varappeur qui permettent  aux quinze solistes ce perpétuel va-et-vient sans la moindre direction d’acteur. Il faut donc relever le mérite de chacun de tenter de chanter sa partition, même si, pour la plus grande part d’entre eux, il est presque impossible de rendre le texte intelligible. Mais cette sempiternelle mise en mouvement finit par lasser en générant un ennui que ne pourront dissiper les éclatantes lumières de la péroraison. 

Quant à la composante musicale, le bât blesse au niveau de la direction de Jonathan Nott. Un Barbiere di Siviglia de septembre 2017 à l’Opéra des Nations nous avait déjà démontré que le théâtre lyrique n’est pas son terrain d’élection. Quelle platitude enrobe le motif de quatre notes évoquant le souvenir d’Agamemnon ou l’envolée lyrique en ut mineur dépeignant la blessure inguérissable laissée par sa disparition ! Faut-il en arriver aux ‘keine guten Nächte’ de Klytemnestra pour que le canevas orchestral révèle des inflexions plus expressives, sans parvenir toutefois à se transformer en cette lave incandescente qui devrait nous emporter !

L’on en dira de même de l’Elektra d’Ingela Brimberg à l’aigu chancelant et à l’intonation douteuse dans le redoutable monologue initial « Allein ! Weh, ganz allein ». Néanmoins, dès la confrontation avec sa mère, la soprano reprend confiance en ses moyens pour livrer une prestation décente sans être notoire. Bien plus convaincante s’avère la Chrysothemis de Sara Jakubiak, se jetant à corps perdu dans son incarnation de femme loyale mais timorée, tentant de renforcer le bas medium pour assurer le haut de la tessiture. Tanja Ariane Baumgartner livre une composition trop monochrome d’une Klytemnestra dont il est difficile d’avaliser les délirantes névroses. L’Ägisth du ténor Michael Laurenz fait montre d’un aigu insolent qui relègue au placard les collègues en fin de carrière que l’on entend d’habitude dans ce rôle bref. Le baryton-basse Karoly Szemeredy est un Orest taillé à coups de serpe qui se contente de mettre en valeur la patine cuivrée du timbre sans laisser affleurer l’émotion des retrouvailles. Par contre, la surveillante (Marion Ammann) et le quintette des servantes (Marta Fontanals-Simmons, Ahlima Mhamdi, Céline Knot, Julia Elena Surdu, Gwendoline Blondeel) parviennent à faire comprendre leur texte, ce qui est chose rare ! Et les seconds plans sont parfaitement caractérisés.


Paul-André Demierre

Genève, Grand Théâtre, le 25 janvier 2022

Crédits photographiques : Carole Parodi

 

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