Dernière étape de la réédition de l’historique marathon widorien de Pierre Labric à Rouen

par

Charles-Marie Widor (1844-1937) : Septième Symphonie, en la mineur, Op. 42/3 ; Huitième Symphonie, en si majeur, Op. 42/4. Pierre Labric, orgue Cavaillé-Coll de l’abbatiale Saint Ouen de Rouen. Octobre et décembre 1971, rééd. 2023. Livret en français et anglais. TT 45’55 + 57’06. Deux CD FY Solstice SOCD 407/8

Après un premier volume consacré aux deux symphonies médianes, un autre consacré aux deux dernières, puis deux volumes consacrés aux quatre premières, le présent double CD achève la réédition de ce parcours widorien réalisé au début des années 1970 et capté par les micros d’une entreprise locale, Téléson. En exergue du livret figure une dédicace à François et Yvette Carbou, « en gage de soixante-quinze années de mutuelle affection », signée le 23 avril dernier par Pierre Labric lui-même. Voilà quelques semaines, les deux cofondateurs du label FY/Solstice dressaient en nos colonnes une rétrospective de leur entreprise, et partageaient de précieux souvenirs associés au doyen des grands organistes français.

Après nos trois élogieux articles, nous ne redirons pas la valeur patrimoniale de cet enregistrement intégral des dix symphonies, que complètent ici les vastes septième et huitième, où le compositeur raffine son laboratoire harmonique et rythmique. La notice de François Sabatier en détaille l’esthétique et analyse la structure, avec la culture et l’intelligence habituelles de l’auteur. Mentionnons que l’opus 42/4 est ici joué sans le Prélude retranché des éditions successives dès la publication de 1901.

Restituée par les bons soins du Studio Art et Son d’Annecy, la perspective sonore de proximité garantit un relief particulièrement réaliste, bien moins affecté par les passagères saturations qui salissaient les tutti et grands chœurs d’anches dans les précédents albums. Aérée, profonde et consistante, l’image donne l’impression d’assister à l’instant interprétatif. Un sentiment d’immédiateté que renforce la spontanéité de l’organiste, jouant de mémoire et sans repentir, lors de sessions qui ne requirent presqu’aucun montage. On appréciera l’éloquence de ce brillant élève de Marcel Dupré (1886-1971) et Jeanne Demessieux (1921-1968), son sens aigu de la caractérisation, de la tension narrative qui intensifie les partitions. Au-delà de la virtuosité (le pédalier dans le Choral de la Septième !), on admirera comment Pierre Labric clarifie l’architecture de l’Allegro risoluto et du cortège de variations de la Huitième. Il rend tout si simple, lumineux, évident. Le Finale de l’opus 42/3 prend valeur de modèle.

Comme nous l’avions déjà écrit, les œuvres semblent repeintes à fresque, s’incarnent dans un verbe sans détour ni pathos. Au sommet de son art, sur la prestigieuse console rouennaise qu’il fréquenta dès l’adolescence et qui ne lui oppose aucune rigidité de mécanique, aucun secret de registration, Pierre Labric reste inimitable pour sa contention raffinée, sa fermeté de conception et la vitalité de ses phrasés. Le vétéran peut s’enorgueillir de ses témoignages désormais demi-séculaires, qui méritaient de sortir des archives et offrent à la postérité un portrait tellement vivant de son art ! Tous réalisés sur le fameux Cavaillé-Coll de l’abbatiale Saint Ouen de Rouen, et en quelques mois, ils permettent en outre de disposer d’un regard aussi cohérent que stimulant sur un cycle majeur de l’école symphonique. Pour les mélomanes qui n’ont pas acquis ces trésors lors des récentes parutions successives, oserait-on espérer qu’ils soient bientôt compilés en coffret ?

Son : 8,5 – Livret : 9,5 – Répertoire : 8,5 – Interprétation : 10

Christophe Steyne

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