Nicholas Collon exalte la somptueuse musique orchestrale de Lutoslawski

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Witold Lutoslawski (1913-1994) : Concerto pour orchestre ; Partita pour violon et orchestre ; Novelette. Christian Tetzlaff, violon ; Orchestre symphonique de la Radio finlandaise, direction Nicholas Collon. 2022. Notice en anglais et en finnois. 60’ 17’’. Ondine ODE 1444-2.

Le Londonien Nicholas Collon (°1983), qui est aussi altiste, organiste et pianiste et co-fondateur en 2004 de l’Aurora Orchestra avec Robin Ticciati, a été chef invité de l’Orchestre symphonique de la Radio finlandaise dès 2017, avant d’en devenir le chef principal pour la saison 2021-22, contrat prolongé déjà jusqu’en 2028. Collon compte à son actif des albums consacrés à Haydn, Sibelius ou Thomas Adès, mais aussi à Bacewicz, Finzi, Britten ou Ligeti. Il propose chez Ondine, avec ses excellents musiciens finlandais, une version brillante et virtuose, gravée à Helsinki en avril 2022, du Concerto pour orchestre (1950-54) de Lutoslawski, qui a assuré à ce dernier la notoriété internationale. 

La discographie est riche en interprétations de valeur. On n’oublie pas la gravure véhémente de 1964 de la Philharmonie de Varsovie, menée par Witold Rowicki (Philips), qui a dirigé la création de l’œuvre le 26 novembre 1954 et en a été le dédicataire, ou la violence de Václav Smetáček avec la Philharmonie tchèque (Praga, 1992). Ni bien sûr, celle du compositeur lui-même, chez EMI en 1976, avec la Radio polonaise, dans un couplage avec ses Jeux vénitiens. Au fil du temps, la liste s’est allongée avantageusement. On y relève les noms de Barenboim à Chicago, Jansons à Munich, Antoni Wit avec la Radio Polonaise, Seiji Ozawa à Chicago, Paavo Järvi à Cincinnati, Christoph von Dohnányi à Cleveland, Salonen à Los Angeles, Edward Gardner avec la BBC, ou, plus récemment, Krzysztof Urbański avec l’Orchestre de la NDR.   

Nicholas Collon rejoint les meilleurs dans cette partition spectaculaire, qui est aussi un hommage au Concerto pour orchestre de Bartók, ce que Lutoslawski reconnaîtra lui-même. Son inspiration se nourrit de mélodies folkloriques stylisées, notamment issues du centre-est polonais et de la voïvodie de Mazovie, dont le chef-lieu est la capitale. Collon fait de l’Intrada une ouverture cinglante et percutante, dont l’urgence et l’âpreté sont définies par une intense dynamique ; le début et la fin bouillonnent, entourant la finesse des thèmes populaires de la section centrale. Le Capriccio notturno apporte sa part d’apaisement, l’Arioso étant arrimé dans une expressivité et une vivacité de timbres qui emportent l’adhésion. Le final (Passacaille, Toccata e Corale, Allegro giusto), solennel et plus long à lui seul que les deux premiers mouvements, renoue avec l’esprit de la tradition baroque dans sa suite de variations articulées avec soin, dans un contexte de couleurs séduisantes et de rythmes francs. Cette version vivifiante, qui risque le geste brillant, est une vraie réussite, à placer sur le premier rayon de la discographie.

La Partita pour violon et orchestre est présentée ici dans une version en public de septembre 2022. Composée d’abord en 1984 pour violon et piano pour Pinchas Zukerman, elle a fait l’objet, quatre ans plus tard, d’une adaptation orchestrale pour Anne-Sophie Mutter, qui l’a enregistrée avec le BBC Symphony Orchestra sous la direction du compositeur (DG). C’est une version engagée, dramatiquement mystérieuse, et chargée d’émotion. Elle conservera la préférence, car la présente interprétation de Christian Tetzlaff (°1966) n’atteint pas tout à fait le même niveau d’intensité. Le violoniste allemand, insuffle à cette partition en cinq mouvements, joués sans interruption, ardeur et énergie, que l’orchestre finlandais souligne avec autant de vitalité. Mais le Largo central, si bien développé par Mutter en termes d’introversion, demeure quelque peu en retrait chez Tetzlaff. Ce concerto qui ne dit pas son nom est une page labyrinthique ; il faut accepter de se perdre dans ses méandres. C’est affaire de détails sans doute, mais sur ce terrain-là, Mutter assume une part plus ésotérique.   

Retour en studio, en décembre 2022, pour la conclusion du programme : la Novelette est une œuvre créée à New York le 29 janvier 1980 par Mstislav Rostropovitch, son commanditaire et dédicataire, à la tête de l’Orchestre symphonique national de Washington. Le titre rappelle celui, quelque peu littéraire, de Robert Schumann pour une pièce destinée au piano, que Poulenc reprendra à son compte dans la seconde moitié des années 1920. Dans le cas présent, il concerne une pièce musicale de plus courte durée (près de seize minutes quand même) qu’une symphonie, la concision de la forme évoquant parfois la musique de chambre. Ce qui n’empêche pas une orchestration fournie : flûtes, hautbois, clarinettes, bassons, trompettes et trombones par trois, quatre cors, deux harpes, un tuba, des timbales, un célesta, un piano et les cordes. Quatre mouvements assez brefs précèdent la conclusion, qui dépasse les six minutes, d’une partition divertissante, aux climats variés et aux rythmes alternant éclats sonores et clins d’œil solistes. En quelque sorte, pour reprendre le mot de Kimmo Korhonen dans la notice, on est en présence d’un kaléidoscope qui met en valeur une instrumentation richement diversifiée, ici allègrement jouée par la phalange de la Radio finlandaise et son chef, décidément très à l’aise dans ce répertoire inventif. 

Son : 10  Notice : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix

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