Des Puritains entre fer et chair

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Tout respire la grâce chez Bellini. Des orbes pures, un legato qui chavire, des modulations moirées…une seule dynamique : celle de la courbe. Pourtant, c’est à travers une carcasse anguleuse pivotant sur tournette que l’on assistera à l’affrontement entre partisans de Cromwell et royalistes Stuarts d’un côté et aux déchirements amoureux entre Elvira et Arturo de l’autre. Ce procédé informatique appelé « rendu fil de fer » en trois dimensions date des années soixante. Il consiste à ne représenter que les seuls vecteurs d’une structure. On pense à des arêtes de poisson ou des squelettes. Or cette modélisation (reprise d’une précédente production) entre en conflit avec le galbe, le charnu, l’émotion de la substance musicale ; pire, elle ne présente -par définition- pas de surface et n’implique donc aucune dimension intérieure. C’est doublement fâcheux : l’expression des sentiments constitue en effet le socle même du belcanto ; le contraste entre le fracas des armes et le chant des déchirements intimes recèle par ailleurs l’un des plus puissants ressort d’I Puritani.  

Ricardo Frizza, à la tête de L’Orchestre de l’Opéra de Paris, après une « Introduzione » flottante, prodigue une remarquable attention aux solistes instrumentaux et aux chanteurs. Elvira (Elsa Dreisig) se distingue par ses performances athlétiques (courses sur toute la longueur de la scène -30 mètres de long !- contorsions, reptations diverses). Douée de présence, d’une voix solide, d’un timbre ravissant, d’ aigus rayonnants, le bas medium est souvent parlé, les suraigus criés et la ligne de chant ponctuée d’accents juvéniles mais aussi parfois presque réalistes. L’homogénéité comme le legato souple, lunaire et virginal que le personnage d’Elvira suggère, restent à conquérir. A ses côtés, Javier Camarena met ses moyens vocaux au service de l’expressivité belcantiste : entrées douces et voluptueuses, messa di voce d’une élégance admirable, couleurs charnues, musicalité de chaque instant. Qu’importe la dérobade d’un contre-fa, le public est en lévitation dès son « A te, o cara » du premier acte jusqu’à l’un de ces moments suspendus « où les voix solistes se détachent, comme des efflorescences, au-dessus du chœur » (C Goubault) tel ce « credeasi misera » final. Chœurs cette fois nuancés, en camaïeu de gris violacé inspiré de tableaux flamands malheureusement empêtrés par une gestuelle mécanique. Les autres rôles masculins sont vaillamment campés par Luc Bertin-Hugault, Nicolas Testé et Igor Golovatenko Le fameux duel « Suoni la tromba », quoique pris lentement, produit beaucoup d’effet (emprunté plus tard par « L’artilleur de Metz »). Enrichetta di Francia (Gemma Ni Bhriain) reste effacée. D’une manière générale, les coupures et absences de reprises donnent une impression décantée du génie bellinien. Finalement, c’est bien le ténor mexicain Javier Camarena, qui rend le plus bel hommage au compositeur et sauve ces « Puritains » de l’abstraction vectorielle.

Bénédicte Palaux Simonnet

Opéra National de Paris, Bastille, le 7 septembre 2019

Crédits photographiques : Colette Masson

 

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