Retour dans le passé avec Gendron, Navarra et Ashkenazy
Entre souvenirs et émotions, certains labels se plaisent à rééditer coffrets et/ou compilations d’artistes qui ont marqué leur temps, quitte à bâcler les repères historiques et biographiques qui leurs sont dédiés. Cet héritage qu’il faut chérir doit son excellence à des artistes qui, leur vie durant, ont contribué à faire rayonner divers compositeurs par la qualité de leurs instruments. Bien sûr, ces restitutions souffrent naturellement de prises de son moins précises que celles d’aujourd’hui. Pour autant, cette authenticité où la triche n’existe pas encore a de quoi nous exalter en nous emmenant au cœur même d’une pensée musicale.
Maurice Gendron, le charme du violoncelle
Œuvres de Schumann, Schubert, Beethoven, Brahms, Dvorák, Tchaikovsky, Boccherini et Haydn. Wiener Symphoniker, Christoph von Dohnányi, direction – Orchestre des Concerts Lamoureux, Pablo Casals, direction – London Philharmonic Orchestra, Karl Rankl, direction – Jean Français, piano. 2019-DDD-CD1 45’24 CD2 60’48 CD3 55’16 CD4 48’37-Textes de présentation en anglais et allemand-Hänssler-PH18091
Le premier coffret est dédié au violoncelle du génialissime Maurice Gendron. Quatre CD qui parcourent un voyage musical de 1946 à 1962 en compagnie d’illustres artistes et formations tels que Pablo Casals, Christoph von Dohnáyi ou encore le London Philharmonic Orchestra. Comment ne pas être sous le charme de la Sonate en mi mineur de Brahms ? Même question pour l’impétuosité du Concerto de Dvorak ou la finesse de Haydn et Boccherini. Maurice Gendron est né en 1920. Jouant un Stradivari de 1693, il parcourt la scène mondiale et assure la création européenne du Concerto op. 58 de Prokofiev avec le Philharmonic Orchestra sous la direction de Walter Süsskind.
Son 8 – Livret 5 – Répertoire 10 – Interprétation 10
André Navarra, un héritage avec des hauts et des bas.
Œuvres de Haydn, Boccherini, Schumann, Dvorak, Elgar, Bruch, Beethoven, Schubert, Chopin, Strauss, Khachaturian, Lalo, Granados, De Falla, Locatelli. André Navarra, violoncelle – Erika Kilcher, Jean Hubeau, Artur Balsam, pianos – Camerata Academica, Orchestre Colonne, Hallé Orchestre, Chamber Orchestra, National Orchestra – Sir John Barbirolli, Tibor Varga, Bernhard Paumgartner, Rudolf Schwarz, André Cluytens, Pierre Dervaux, direction. 2018-DDD-10 CD-Textes de présentation en anglais et allemand-Hänssler-PH18017
Violoncelle toujours, mais cette fois avec André Navarra. Le coffret est plus complet. Dix CD avec pas moins de quinze compositeurs représentés. La somme, importante, retrace le parcours de l’artiste de 1942 à 1962. Avec Pierre Fournier et Maurice Gendron, Navarra (1911-1988) fait partie de cette génération de violoncellistes français qui a marqué l’histoire. Né à Biarritz, Navarra remporte de nombreux prix lui permettant de faire ses débuts en 1931 (il a 20 ans) avec l’Orchestre Colonne. Professeur à Paris mais aussi à Vienne ou à Sienne, il laisse un héritage impressionnant et conséquent que tente de restituer ici le label Hänssler. Quelques pièces courtes surprennent et ponctuent ce coffret : les Danses énergiques de Granados avec le piano de Jean Hubeau, la Danse du diable vert, virevoltante à souhait, de Cassado, des arrangements d’une rare expression de Nocturnes de Chopin… Du côté concertant, ce qui intéresse davantage, le charme de Kol Nidreï opère dès les premières notes, proches du cœur où tout respire. Tandis que de Khatchaturian, un caractère plus mordant se dégage. Moins connues peut-être, ne sont pas à négliger les sonates de Chopin et Strauss qui bénéficient ici d’une ligne soliste particulièrement chantante et du piano attentif et envoûtant d’Erika Kilcher. Toutefois, face à un tel hommage, on s’interroge sur un texte de présentation bâclé et franchement inutile. Clairement en dessous d’attentes légitimes dans un tel contexte, cet oubli éditorial n’ impacte pas la qualité du travail musical. Mais force est de constater qu’avec des repères plus précis, le choix de certains enregistrements et le retrait d’autres auraient été plus clairs. Un coffret intéressant mais qui finit par survoler l’héritage de l’artiste.
Son 9 – Livret 5 – Répertoire 10 – Interprétation 10
Vladimir Ashkenazy, les premiers enregistrements
Œuvres de Chopin, Liszt, Rachmaninov, Prokofiev et Beethoven. Vladimir Ashkenazy, piano. 2019-DDD-CD1 53’18 CD2 61’41 CD3 71’53 CD4 60’50-Hänssler-PH19030
Même remarque pour le coffret dédié aux premiers enregistrements de Vladimir Ashkenazy : brochure inexistante… Heureusement, le talent et la palette expressive très personnelle de l’artiste rattrapent cette erreur même si des repères biographiques mériteraient quelques pages. Avec Ashkenazy, ce sont le charme, l’authenticité et le souci du détail qui priment. Quatre CD essentiellement consacrés à Chopin font aussi la part belle à Liszt, Rachmaninov, Prokofiev et Beethoven. Le côté endiablé de la Ballade n°2 de Chopin, précédée d’une longue litanie d’une justesse irréprochable, fait place à des pièces plus dansantes telles que Mazurkas et Polonaises. Enregistrées dans les années 50, chacune des pièces bénéficie d’une lecture au plus proche du texte. D’une grande inventivité mais aussi d’un grand respect, Chopin se voit ici interprété sous ses plus belles couleurs. Autre fait intéressant, celui de juxtaposer deux versions de plusieurs études. L’évolution du langage du pianiste ainsi que son acuité à se remettre en question se remarquent déjà en l’espace de quatre années. Les unes sont plus rapides, les autres plus posées. Et puis, le premier CD permet aussi de replonger dans le célèbre Concours Chopin de 55 où le pianiste remporta le Second Prix avant d’obtenir les Premiers Prix des Concours Reine Elisabeth et Tchaïkovsky.
Pas de concours pour les autres disques, seulement des enregistrements à Berlin et Moscou. Liszt nous saisit par son caractère urgent, ardent et particulièrement narratif dans cette valse de Méphisto. Les redoutables Variations sur un thème de Corelli de Rachmaninov s’illustrent par un langage très poétique et dosé. Subtilité que l’on retrouve chez Prokofiev avec une Septième Sonate millimétrée. Le toucher est percutant mais aussi limpide et aussi clair que du cristal. A l’inverse, Beethoven (Sonates N°21 et 32) est plus rond et se distingue par une souplesse de dynamiques bluffante. A côté du monument qu’est la Sonate en si mineur de Chopin, Vladimir Ashkenazy, à travers ses premiers enregistrements, nous offre un visage très complet de son idéal musical.
Son 9 – Livret 5 – Répertoire 10 – Interprétation 10
Ayrton Desimpelaere