Don Pasquale à l’Opéra Garnier, une réussite au goût doux amer

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Bien accueillie en 2018, cette mise en scène dans le style bande dessinée des années 50, réglée au cordeau par Damiano Michieletto, conserve aujourd’hui son efficacité. Coproduite avec le Royal Opera House Covent Garden de Londres et le Teatro Massimo de Palerme, elle se révèle encore plus coruscante.

En effet, ce drama buffo en trois actes destiné au Théâtre Italien de Paris fut créé le 3 janvier 1843, soit cinq ans avant la mort du compositeur. S’il emprunte le canevas de la commedia dell’ arte qui prospère depuis plus de deux siècles, il s’en écarte par sa structure très schématique, par le double sens permanent et un ton de parodie voire de désespoir masqué.

Comme chez Molière, Goldoni ou Shakespeare -on pense naturellement à Falstaff- un vieux célibataire riche décide soudainement de prendre femme. Son ami, le Docteur Malatesta, faute de l’en dissuader, ourdit une farce pour le guérir de sa lubie. Norina et son amoureux, l’ingrat neveu Ernesto, ainsi qu’ un notaire de complaisance en seront les acteurs. 

Mais la manipulation s’avère si cruelle que l’auteur lui-même comme les protagonistes s’en émeuvent... ce qui est tout à fait inhabituel !

Certes, la partition regorge de pages ravissantes, pleines de verve et de virtuosité qui en ont fait le succès. Et pourtant, elles participent  également de l’amertume. Pourquoi ? Parce qu’elles se placent en porte à faux avec des situations qui n’en demandent pas tant. Ainsi la vocalité belcantiste confiée à Ernesto suscite l’admiration mais aussi le malaise, à l’instar de l’éclat de Norina/Sofronia. Comme si les codes belcantistes s’étaient vidés de leur substance.

Constat que la mise en scène exacerbe ajoutant de la dérision à la parodie. L’ami docteur devient bellâtre équivoque, la coquette une impitoyable furie et le héros finit en chaise roulante (évoquant la terrifiante photo du compositeur à la fin de sa vie).

Le décor minimaliste laisse passer les courants d’air tandis que les petits accessoires comme les marionnettes finales restent inopérants au-delà du dixième rang (tendance à la parcellisation, malheureusement partagée avec d’autres metteurs en scène).

Une distribution renouvelée -à l’exception de Florian Sempey (Dottor Malatesta) toujours plein de fougue, d’aisance vocale et scénique- fait également l’intérêt de cette reprise placée sous la direction avisée de Speranza Scappucci.

Norina (Julie Fuchs) occupe la scène avec un abattage réjouissant, son jeu de mimiques rendu encore plus expressif par une vidéo utilisée ingénieusement. L’incarnation vocale est à son image : séduisante, cohérente, habilement conduite sans recherche d’acrobaties vocales, sans ingénuité non plus. 

Son soupirant Ernesto (René Barbera) charme dès son air d’entrée « Povero Ernesto » mais doit surmonter l’obstacle d’un costume peu seyant.

Laurent Naouri incarne un célibataire endurci saisi par le démon de midi avec autant d’autorité, de présence que de vulnérabilité.

Autour de ces grands artistes, seconds rôles et chœurs/ figurants se montrent tous à la hauteur.

A l’heure de la course à l’éternelle jeunesse, une soirée au goût doux amer.

Opéra de Paris, 20 septembre 2023

Bénédicte Palaux Simonnet

Crédit photographique : © Vincent Pontet

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