Rencontre avec François-Frédéric Guy

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François-Frédéric Guy est l’un des membres du Jury du Concours international de piano « Classic Piano ». A cette occasion, ce merveilleux artiste  prend le temps de répondre à nos questions sur ce concours et son actualité toujours foisonnante et passionnante.  

François-Frédéric Guy, vous êtes l’un des 15 membres du jury de la troisième édition du Concours international de piano « Classic Piano ». Comment vivez-vous cette aventure ici à Dubaï ? 

Tout d’abord, c’est une belle opportunité de venir participer à un concours de musique classique dans un endroit qui n'est, à priori, pas un endroit auquel on penserait immédiatement pour ce genre d'événement. Je trouve d’ailleurs que c'est tout à fait remarquable d'avoir pu organiser ce concours au plus haut niveau. Il faut rappeler qu'il y avait déjà eu des concours de sélections en amont sur les cinq continents. Nous sommes donc à la fin du processus avec les meilleurs éléments venant des quatre coins du monde. Le but qui anime tous ces jeunes artistes réunis ici est d’essayer de nous convaincre afin de les aider à démarrer une carrière grâce à l'obtention d'un prix.

La compétition a commencé le 4 février et, depuis, vous avez eu l’occasion d’entendre un grand nombre de candidats. Êtes-vous satisfait du niveau des prestations proposées ?

Oui nous sommes très satisfaits. Sur les 70 candidats initiaux, 43 se sont présentés et ce pour des raisons indépendantes de la volonté du concours. Parmi les 43 candidats qui sont venus, nous en avons maintenant sélectionné 9 pour la finale, il y a donc eu ce qu’on appelle un “écrémage". Soulignons cependant le niveau élevé dès le début de la compétition. Le répertoire est exigeant et varié allant de pièces classiques à des études de virtuosité, en passant par un récital. Ensuite, ils ont la possibilité de s'exprimer lors du troisième tour dans une prestation avec orchestre contenant un concerto de Mozart (Concerto N°20, KV.466) et une œuvre imposée d'Alexey Shor, le compositeur en résidence de la compétition.

Pour la finale, il ne reste plus que neuf candidats parmi ceux présents au début du concours. À quoi ressemble la finale ?

Cette finale s'annonce très ouverte. Il y a une grande variété de concertos proposés aux candidats. Nous avons plusieurs fois les troisièmes concertos de Rachmaninov et Prokofiev mais aussi les premiers concertos de Tchaïkovski et Chopin et, pour finir, deux fois le  Concerto n°4 de Beethoven. C’est assez rare que pour être souligné mais cela me fait immédiatement penser à mon ami Frank Braley qui avait gagné le Concours Reine Élisabeth en 1991 avec cette pièce. C'est un concerto qui peut permettre de découvrir d'autres qualités, peut-être plus musicales, que celles qu’on attend des grosses pièces du répertoire russe par exemple.

Vous avez déjà été juré lors de compétitions prestigieuses comme le Concours Reine Elisabeth ou encore le Concours International de Piano Busoni. Est-ce que cela vous tient à cœur de découvrir la nouvelle génération de pianistes et de les soutenir par le biais de compétitions mais aussi des masterclass que vous donnez?

Pour moi c'est extrêmement important parce que je n'enseigne pas régulièrement en tant que professeur dans une haute école de musique ou un conservatoire. Ma manière de transmettre et d'aider la jeune génération à émerger se fait d'une part par des masterclasses, que j'ai la chance de faire dans le monde entier, et puis bien sûr d’être juré lors de concours internationaux. Cela me permet de contribuer, à mon échelle, à l'émergence de la nouvelle génération. D’ailleurs, nous avons récemment eu l'exemple du merveilleux premier prix du Concours Busoni, Arsenii Moon. Il a obtenu le 1er Prix à l'unanimité du jury et le Prix spécial Michelangeli. Ce prix n’est que très rarement décerné puisqu'il faut justement cette unanimité du jury pour ce prix spécial, en plus du 1er Prix. Cette compétition a contribué à lancer sa carrière. Il est maintenant invité dans divers festivals comme à la Roque d’Anthéron alors qu’il n’était que très peu connu en France. Je suis donc content d’avoir pu participé à ce processus qui aura permis de découvrir un talent exceptionnel. 

Dans les prochains mois, vous serez amené à diriger du piano l’intégrale des concertos pour piano de Beethoven. Que pouvez-vous nous dire sur ce projet qui se réalisera notamment avec le Lisbon Metropolitan Orchestra?

Ceux qui me suivent régulièrement depuis une trentaine d'années savent que Beethoven est mon compositeur de prédilection. J’ai enregistré deux fois l’intégrale de ses concertos : une fois les jouer-diriger avec le Sinfonia Varsovia Orchestra et l'autre fois avec l’Orchestre Philharmonique de Radio France et Philippe Jordan. Chaque année, il me tient à cœur d’avoir une ou deux fois l'opportunité de réaliser l'intégrale dans une forme ramassée. C'est-à-dire consacrer deux soirées aux concertos deux, trois et quatre le premier soir et le deuxième soir avec les concertos un et cinq. Il s’agit évidemment d’un très gros challenge mais en même temps le jouer-diriger apporte quelque chose d'un petit peu différent. Lorsque je le fais avec un chef comme Philippe Jordan par exemple, cela me permet d'aller très loin dans l'exploration des œuvres. Cependant, le jouer-diriger a aussi ses avantages. À titre personnel, cela a toujours été comme une sorte de complémentarité et ce dans l'esprit de la musique de chambre. De plus, le piano siège au milieu de l'orchestre, donnant une collégialité plus marquée que lorsque le piano est tout seul devant la scène avec l’orchestre et le chef derrière, bien que nous soyons unis par la même musique. Ensuite, il y a cette autonomie que les musiciens doivent acquérir car le soliste-chef ne peut pas toujours diriger. Je peux diriger certains passages et donner des impulsions mais je peux surtout regarder l’orchestre. Il ne faut pas négliger l’importance du regard lors de telles prestations. Les musiciens doivent aussi avoir les oreilles bien ouvertes, comme en musique de chambre, pour pouvoir se capter sans avoir toujours besoin d'un signe. Lorsqu’on s’écoute, on épouse le phrasé du soliste-chef et, par l’intermédiaire du premier violon dont le rôle est prépondérant, on forme comme une sorte de famille unie par la musique. Je précise aussi que ces concertos de Beethoven ont été composés pour être interprétés en jouant - dirigeant. La seule exception concerne le Concerto n°5. Beethoven ayant des problèmes de surdité, le concerto est créé avec un chef et non pas parce qu’il serait particulièrement plus difficile. D’ailleurs je trouve que le 4e Concerto est plus difficile que le cinquième au niveau du jouer-diriger.

Ce concours propose un répertoire très large, qui va jusqu'à l'époque contemporaine avec la pièce du compositeur en résidence. Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez de ce répertoire, et en particulier du programme de la troisième épreuve avec les deux pièces imposées ?

Ce qui est formidable dans ce concours, c'est que l’éventail du répertoire demandé est très important. Il y a un mélange de pièces imposées avec des études mais, après, il y a ce choix des œuvres notamment au deuxième tour avec des œuvres libres. Ce récital permet aux candidats de s’exprimer dans le répertoire qui leur convient le mieux et de se montrer là où ils pensent être les plus convaincants non seulement pour le jury mais aussi dans leur future carrière. Concernant le troisième tour, c'était une épreuve difficile pour les candidats car il devait tous jouer les mêmes œuvres à savoir le 20e Concerto de Mozart, peut-être un des plus grands et un des plus prè-beethovenien que Mozart ait composé. D’ailleurs je l'appelle souvent le Concerto 0 de Beethoven. Ensuite, ils devaient interpréter l’œuvre d'Alexey Shor. Ce n'est pas une musique révolutionnaire mais c'est une musique qui vient du cœur. À l’origine, la pièce dure 55 minutes mais suite à une collaboration avec le grand pianiste Mikhaïl Pletnev, une réduction a été réalisée afin d’obtenir une suite. Cette pièce a d’ailleurs joué un grand rôle dans la sélection des neuf finalistes. 

En plus de votre carrière internationale de pianiste, vous vous consacrez à la direction d’orchestre depuis votre piano mais également sans. En effet, vous êtes le directeur musical de l’Ensemble Microcosme depuis l’automne 2022. Que pouvez-vous nous dire à propos de cette collaboration ?

Cela rejoint une des questions précédentes puisque c'est aussi pour moi une manière de transmettre mon expérience à de jeunes musiciens. En effet, cet ensemble de chambre basé à Genève réunit des jeunes musiciens venant de la Haute école de Genève ou des Conservatoires français alentour comme Chambéry ou Annemasse par exemple. C'est un tout petit ensemble avec une particularité étonnante : nous pouvons jouer le grand répertoire grâce aux transcriptions lumineuses du hautboïste français David Walter. Il a transcrit la plupart des grandes œuvres du répertoire classique et romantiques pour cette formation, c'est-à-dire un double quintette à cordes et à vent avec des timbales. Les cordes sont augmentées afin d'obtenir un peu plus de son. Nous avons déjà eu l’occasion de jouer des œuvres ambitieuses comme la Symphonie n°9 de Schubert ou des symphonies de Beethoven mais aussi un grand nombre de concertos comme le deuxième de Chopin. D’ailleurs l’année prochaine, nous ferons une intégrale des concertos de Beethoven avec cette formation au festival de Gstaad. Je suis heureux que ce projet puisse projeter l’ensemble Microcosme avec un parfum d’originalité dans un répertoire très couru. Il est également utile d’apprendre à ces jeunes musiciens à jouer avec un soliste remplissant aussi le rôle de chef et d’écouter ce qu’il se passe autour de soi. Je pense que ce type de formule sera amenée à devenir plus fréquente. J’ai remarqué que les chefs d’orchestre délaissent quelque peu le répertoire concertant au profit de symphonies ou autres grandes pièces symphoniques. Il y a donc un espace qui se libère pour le jouer-diriger. Daniel Barenboim est un des premiers à avoir remis le jouer-diriger au goût du jour. Le concerto peut gagner en cohésion grâce à cette formule du soliste-chef. La formule traditionnelle « ouverture, concerto, symphonie » vit peut-être ces derniers moments et peut-être que, dans le futur, ce sera différent. On pourrait très bien imaginer des concerts symphoniques d’un côté et des concerts avec des pièces concertantes de l’autre. Cela pourrait aussi permettre de fédérer de nouveaux publics. J'ai eu l’occasion de remarquer une chose, c'est que quand on fait du jouer-diriger, c'est très spectaculaire pour le public. De nos jours, le niveau des orchestres et des solistes est tellement élevé que l’on peut aller plus loin dans ce répertoire. J'ai déjà dirigé des concertos de Brahms et Schumann avec l’Orchestre de Chambre de Paris avec lequel j'étais en résidence pendant 5 ans. On a même commandé à Aurélien Dumont, un jeune compositeur français, un concerto que je pourrais diriger du piano. Cette œuvre, Écoumène, j’ai d’ailleurs pu la créer en 2019 avec l’Orchestre de l'Opéra de Limoges.

Depuis le début de votre carrière, vous prêtez une attention particulière à la musique contemporaine. Quel lien pouvez-vous faire entre la musique classique / romantique et la musique moderne ?

J'essaie toujours de dire qu'il n'y a pas de différence entre les deux. Certes, il y a la bonne et la mauvaise musique mais c'est à chacun d'en juger, bien que l’histoire fasse souvent le tri. La musique doit m’apporter l’audace, la nouveauté, l’énergie et la beauté. Si ces quatre éléments sont réunis, alors je suis heureux sur scène et cela est valable aussi bien pour les œuvres classiques et romantiques que contemporaines. Quand je joue une sonate de Beethoven, une œuvre de Brahms ou encore les Préludes de Debussy, je retrouve ces quatre facettes qui me sont chères. J’ai eu l’occasion de jouer presque l'intégralité de l'œuvre de Tristan Murail, dont je respecte beaucoup le travail. Il vient d'ailleurs d'obtenir le plus prestigieux des prix attribués à des compositeurs couronnant l'ensemble de sa carrière, le Prix Sibelius. Sa musique est belle et audacieuse tout en étant maîtrisée. Il est dans la continuité de Liszt et je sais qu’il adore Chopin. J’ai pu créé au festival Présent sa dernière pièce avec orchestre, Fantaisie Impromptue. La référence à Chopin est présente, même si elle est cachée. Tristan Murail est dans la lignée de la grande musique après Liszt, Scriabine, Debussy ou encore Messiaen. Ce n’est pas de la musique expérimentale qu’il écrit. Lorsque j’entends un compositeur, je veux entendre sa plénitude, c’est ce qui m'intéresse même quand ils sont très jeunes comme Aurélien Dumont par exemple. J'ai toujours été investi dans cette création. Cependant, je me rends compte que certains jeunes ne sont pas aussi audacieux qu'il pourraient l’être, peut-être par confort ou par nécessité. L’époque est aussi différente. Lorsque l’on pense à la musique contemporaine, on pense à la radicalité des années cinquante puisqu’il fallait composer après une politique de la terre brûlée. Maintenant, c’est peut-être plus apaisé et l’on peut aimer Boulez et Chostakovitch. N’oublions pas Xenakis qui fut un défricheur avec des sonorités inouïes avec sa fabuleuse pièce Metastasis par exemple. Pour finir, guider le public à travers ce répertoire est aussi notre mission.

Le site de François-Frédéric Guy : www.ffguy-pianist.com

Propos recueillis par Thimothée Grandjean

Crédits photographiques : Lyodoh Kaneko

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