Robert le Diable à Bordeaux, une production diaboliquement entrainante

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Cela fait longtemps que Robert n’a pas exercé son pouvoir diabolique en France ; en cette fin septembre, il réapparaît pour la première fois depuis plus de 35 ans. Ceux qui y avaient assisté en parlent toujours. Lors de la première de la présente production à l’Auditorium de l’Opéra National de Bordeaux, le 20 septembre 2021, de rares témoins nous ont livré, comme si c’était hier, le ravissement éprouvé à une des représentations à l’Opéra de Paris en 1985. Pour l’ouverture de la saison, mais aussi pour sa dernière saison, Marc Minkowski, Directeur Général de l’institution, dirige lui-même l’orchestre pour trois soirées.

La force de l’orchestre
Ce qui frappe tout au long du spectacle, c’est la grande force accordée à l’orchestre qui joue son propre rôle. Fabuleuse est la partition de Mayerbeer, surtout son orchestration : des solos de timbales jouant la mélodie (!) de certains airs en guise de leur prélude, des ensembles de cuivres, de bois ou des harmonies en entier donnant des couleurs inattendues, des cordes massives, ou encore différentes combinaisons d’instruments créant des effets surprenants… On perçoit en filigrane une filiation avec la Symphonie Fantastique de Berlioz créée un an plus tôt, et par là, le goût pour le grandiose qui dominait cette époque.
Tous ces effets sont sublimés par la baguette de Marc Minkowski qui exalte les musiciens d’orchestre au plus haut niveau. Tous les détails sont attentivement interprétés, si bien que chaque pupitre est justement mis en valeur. En revanche, les choristes masqués, placés sur les balcons en arrière-salle avec une grande distanciation entre eux, ne réussissent pas à se faire entendre comme la partition le suggère. On attendra une véritable mise en scène pour que le chœur joue lui aussi son personnage selon l’esthétique du grand opéra.

Plateau vocal convaincant
Le plateau vocal est tout simplement beau, et convaincant. À commencer par John Osborn dans le rôle de Robert. Le ténor américain est au sommet de son art avec les aigus impressionnants ; chaque phrasé est chanté sans aucune constrution. À quoi s’ajoute son français parfaitement intelligible. La soprano égyptienne Amina Edris (lauréate du Concours Bordeaux Médoc Lyrique en 2018, le Premier Prix féminin la même année ainsi que le Prix du Public au Grand-Théâtre de Bordeaux) offre un chant fascinant au timbre chaud et sensuel, grâce au maintien solide et aux expressions sensibles. Si dans son rôle d’Alice elle est amoureuse de Robert, elle forme un très beau couple vocal avec John Osborn en conjuguant leurs couleurs très différentes pour cette histoire invraisemblable.
Nicolas Courjal semble être abonné aux rôles de diables. Après Méphisto dans La Damnation de Faust de Berlioz à Strasbourg (et en CD), il affine le caractère maléfique dans un contraste saisissant entre l’ombre et la lumière, aussi bien dans sa manière de chanter que dans son jeu d’acteur. Il met en avant le très large éventail de sa force dramaturgique pour ravir le spectateur et domine ainsi la scène. Erin Morlay est une Princesse de Sicile émouvante, extrêmement à l’aise dans la sphère de la colorature, mais aussi dans le médian où elle excelle pour le récit chanté. Nico Darmanin, alias Rimbaut, a la difficile tâche d’ouvrir l’histoire avec un air déjà chargé. C’est bien compréhensible s’il est quelque peu tendu au début malgré une lancée assez réussie, mais il reprend sa forme au cours de la représentation. Dommage que son personnage n’apparaisse que ponctuellement.

La mise en espace comme une mise en scène
Les mouvements des chanteurs réglés par Luc Birraux s’approchent de ceux d’une mise en scène et font souvent oublier qu’il ne s’agit que d’une mise en espace. En effet, les déplacements des chanteurs sur le devant de la scène ainsi que sur les allées et au balcon dans la salle sont bien éloquents pour l’évocation de tels ou tels sentiments et de telle ou telle scène. Au point que la tablette que tient John Osborn donne une impression assez étrange… Et c’est précisément à ce moment-là qu’on se rend compte à nouveau que c’est une version de concert ! Les didascalies et commentaires (très personnels… de qui ?), affichés sur le mur au fond de la scène (1re et 3e parties) et sur l’écran rectangulaire suspendu prévu habituellement pour le livret (2e partie) sont efficaces à un certain point de vue -pour ceux qui ne connaissent pas le grand opéra, ou pour ceux qui ne sont pas encore familiers au genre d’opéra tout court, cela peut leur permettre de se l'approprier plus facilement, d’autant que les commentaires sont souvent amusants et piquants. Les textes font « passer le temps » aussi. Mais d’un autre côté, cela disperse l’attention et on ne peut pas apprécier pleinement la musique (car justement, le temps passe en les lisant !), ce qui est fort dommage.

Cette production entrainante à l’image du protagoniste, fait l’objet d’un enregistrement en direct pour la collection « Opéra français » du Palazzetto Bru Zane. Pourvu que le beau Livre-CD fasse connaître largement la force dramatique et musicale de ce grand opéra qui, pour de nombreux compositeurs du XIXe siècle, était un modèle en la matière.

Bordeaux, Auditorium, le 20 septembre 2021

Photos ©  Pierre Planchenault

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