Tamara Stefanovich, pianiste

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Fêtant cette année leur dixième édition, les Flagey Piano Days sont chaque année le rendez-vous à la fois des pianistes et des pianophiles curieux d’entendre valeurs confirmées et talents prometteurs de l’instrument classique se produire dans un répertoire souvent inattendu et toujours choisi par les interprètes.

Parmi les récitals les plus attendus figure certainement celui de l’aussi brillante qu’aventureuse pianiste serbe, Tamara Stefanovich qui a accepté de répondre à nos questions depuis son domicile berlinois. 

Votre programme qui fera entendre pas moins de dix sonates en une heure de temps sort résolument de l’ordinaire. Comment l’avez-vous choisi ?

En fait, je travaille un peu comme le ferait un bon cuisinier qui combinerait différentes saveurs. Lors de mes études au Curtis Institute de Philadelphie, je me rendais souvent à la Fondation Barnes -ce lieu extraordinaire où les œuvres ne sont pas montrées par ordre chronologique ou par école, mais par affinités artistiques- et cela m’a beaucoup marquée.

Je suis une passionnée de musique de notre temps et j’essaie ensuite de constituer des familles musicales apparentées par l’esprit plutôt que par la généalogie. Ce programme comportait à l’origine 20 sonates et je l’ai interprété il y a près d’un an au South Bank Centre de Londres. 

En fait, le problème est que les grandes sonates du répertoire sont trop jouées. Et que, trop souvent, on va au concert pour écouter ce qu’on connaît déjà et juger l’interprétation plutôt que l’œuvre. Franchement, je n’aime pas cette idée. Je me vois à la fois comme une détective et une archéologue : j’aime découvrir et faire découvrir des choses, et j’essaie de jouer, même pour mon usage personnel, tout ce qui existe, d’autant plus que j’ai la chance d’avoir une bibliothèque musicale extraordinaire chez moi. 

Pour revenir à votre question, j’ai réfléchi à l’histoire de la sonate, depuis ses débuts à l’époque baroque jusqu’à nos jours, sur une période de près de 300 ans. Comment l’habiter ?

Et ici, j’essaie de trouver une fraternité, des œuvres qui se répondent. On peut par exemple établir des parallèles entre C.P.E. Bach et Busoni (dont la Sonatina seconda est une espèce de fantasme) et le côté amateur et la naïveté de Ives. La Troisième sonate de Hindemith est passionnante, et j’aime retrouver des pièces souvent négligées ou même oubliées et montrer la fraternité qu’elles entretiennent, car ce sont des œuvres fortes qui doivent être entendues et exister.

Vous pensez vraiment que certaines musiques entretiennent entre elles des rapports particuliers à travers le temps et à l’insu des compositeurs ? 

Oui, vraiment. Et même avec des événements tout à fait extra-musicaux. Je peux à ce propos vous donner un exemple à la fois particulièrement précis et totalement imprévu. Figurez-vous que l’an dernier, je donnais à Londres un récital exactement trois jours après le début de l’invasion de l’Ukraine que je n’avais bien sûr pas pu prévoir. J’avais mis à mon programme des œuvres de Scarlatti, Janácek, Scriabine, Roslavets et Ustvolskaya. J’ai alors découvert -car je l’ignorais- que Roslavets était Ukrainien. Mais en plus, le concert se concluait par la Sixième sonate de Galina Ustvolskaya qui est une véritable détonation musicale et illustre presque tragiquement l’impossibilité de s’exprimer. Je crois vraiment que jamais un compositeur ni la musique ne vient de nulle part ou de rien.

-Avez-vous songé à enregistrer ces programmes si particuliers ?

Alfred Brendel, qui est mon ami, me l’a suggéré. Mais pour l’instant, je préfère surtout me consacrer à faire découvrir des artistes contemporains, car je considère que c’est mon devoir. C’est ainsi que j’ai récemment enregistré pour Pentatone un cd consacré à la musique du compositeur chypriote Vassos Nicolaou, dont une pièce pour piano à quatre mains avec Pierre-Laurent Aimard.

Le site de  Tamara Stefanovich (tamara-stefanovich.com)

Crédits photographiques :  Sihoo Kim

Propos recueillis par Patrice Liebermann

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