Zémire sauve Grétry à l’Opéra Comique

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L’adaptation libre du conte « La Belle et La Bête » par Jean-François Marmontel pour André-Ernest-Modeste Grétry, musicien bien-aimé de la reine Marie-Antoinette, offre un point de départ assez confus. 

Le poème né de la plume concise et poétique de Madame Leprince de Beaumont, retenu par Ravel pour figurer dans son recueil Ma Mère L’Oye, s’est effacé. Des contes orientaux et un épisode des « Mille et Une Nuits » en ont dilué les thèmes, évoquant aussi bien les abus paternels  (Le roi Lear n’est pas si loin) que la commedia dell’ arte. 

Le ton assez sentencieux avec de fréquentes répétitions  surprend chez l’encyclopédiste et grammairien, Marmontel. Ainsi le serviteur Ali (A. IV) chante-t-il  : « J’en suis encore tremblant !/ C’est comme un char volant/ Ou bien c’est un nuage. / Non c’est un char brûlant / Volant sur un nuage... ».

Certes, cette langue simple et délicate s’accorde avec le tempérament du compositeur – l’air émouvant «  Ah ! Quel tourment/ d’être sensible... » (A. III, Azor) en témoigne – mais la faiblesse dramatique d’ensemble décourage l’attention.

Quant au choix de Michel Fau pour la mise en scène, sans remettre en cause un talent aussi percutant que singulier, il ajoute à la confusion.

Outre ses apparitions chorégraphiques personnelles en drag-queen-fée- dominatrice tenant en laisse deux hommes- chiens (on pense au « Pornokrates » du peintre Félicien Rops), son traitement du personnage de la Bête (Azor) relève du contresens.

En effet, la métamorphose kafkaïenne de la Bête en cloporte imberbe, bossu, doté de doigts d’acier rend inutilement cruelle la rivalité entre le père et l’amant et, surtout, introduit un hiatus irréparable avec l’esprit du XVIIIe siècle comme avec le pouvoir d’attraction-répulsion de la « Bête » sur l’inconscient féminin.

Les rôles d’Azor (Philippe Talbot pénalisé par sa cuirasse), Sandor (Marc Mauillon autoritaire et sec), Ali (Sahy Ratia gentil et trop sage) comme ceux des sœurs (Margot Genet et Séraphine Cotrez bizarrement costumées) restent peu caractérisés.

Si ce dédain du temps et du sens n’atteint pas la musique, toujours élégante, du compositeur de Richard Cœur de Lion et de La Caravane du Caire, il la met en porte à faux. 

D’autant que la direction précise et volontaire du chef, Louis Langrée surmontant maints dérapages des vents et cuivres, tente de soutenir l’attention sans toujours y parvenir.

De son côté, le décor - une boîte fermée- inspire une certaine claustrophobie autant qu’il contredit les perspectives ouvertes de l’époque. 

Dessins de topiaires stylisés, ciel obturé d’un tapis nuageux d’où ne descend aucune divinité sinon une apparition malfaisante, ombres chinoises... l’ensemble des procédés scéniques fait plutôt appel à la dérision - ressort caractéristique du…. XXI e siècle. 

En définitive, le répertoire de cette période historique, aussi confuse que chaotique, se révèle bien plus exigeant et savant que son format ne le laisserait supposer.

Le charme d’un opéra annoncé comme féerique aurait pu se dissiper irrémédiablement si le timbre nacré, la sensibilité musicale, la candeur de la jeune soprano, Julie Roset (Zémire), ne nous avait transportés au paradis des voix.

Paris, Opéra comique, 28 juin 2023

Bénédicte Palaux Simonnet

Crédits photographiques :  Stefan Brion

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