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Rencontres musicales d’Évian 2024, Féerie entre lac et sommets

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Les Rencontres Musicales d’Évian 2024 anticipent l’éclat de la programmation à venir, étendue sur toute l’année, en concluant la saison avec l’« Apothéose de l’orchestre », c’est à dire, la  Bacchanale de Daphnis et Chloé

Le dernier accord à peine dissipé, le public debout acclame les musiciens des «  Siècles » et son chef, Louis Langrée. « Le plus beau concert de la Saison ! » commentent les festivaliers ravis. Il faut dire que l’ensemble et le chef français sont rompus aux finesses comme aux rutilances de Ravel. Sous les poutres de l’immense datcha, devant la féerie de bouleaux et de cristaux, les Contes de Ma Mère l’Oye (Cinq pièces enfantines suivis de la Seconde suite orchestrale de Daphnis et Chloé touchent à la perfection. « La grandeur dans le simple » s’exclamait Eric Satie à propos des Contes de Ma Mère l’Oye. Ici, le chef et ses musiciens respirent avec la musique de Ravel soulevant ces houles chatoyantes, caressantes où se glissent avec une infinie délicatesse les plus touchantes émotions (métamorphose de la Bête en Prince par exemple).

En première partie, le jeune violoniste suédois d’origine russe, Daniel Lozakovich donnait une réplique magistrale à la même formation dans le 3e concerto de Saint Saëns, et offrait, en bis , la vertigineuse 3e sonate d’Ysaÿe puis la mélodie de Fauré, « Après un rêve », quelque peu alanguie. Hommage discret à l’heureuse programmation de plusieurs concerts Fauré.

La veille, Alexandra Dovgan, le Quatuor Modigliani et Béatrice Rana parcouraient des terres plus rudes, parfois mélancoliques, voire anguleuses. 

Exemplaire et pétillante version de l’Heure espagnole

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L’audace de l’Heure espagnole étonne encore aujourd’hui, surtout lorsqu’elle est représentée avec clarté et sincérité comme c’est le cas à l’Opéra Comique en deuxième partie de soirée.

A l’époque de la composition, Ravel résumait ainsi l’intrigue : « la femme de l’horloger Torquemada à Tolède attend un amant qui est bachelier (étudiant), et finalement, je vous dis cela rapidement, se donne à un muletier ».

Le sujet et tout le sujet : comment satisfaire le désir féminin.

Incidemment, relevons que l’ensemble de cette comédie en musique y compris les considérations du muletier sur la nature féminine réduisent à néant le soit-disant « mystère Ravel ».

Quant à la musique, mélange d’opéra bouffe italien, blagues, jeux de mots familiers du « Chat noir » fondus dans un humour sonore d’une invention et d’un raffinement inégalés, elle jette ici tous ses feux. L’interprétation ciselée, jamais appuyée « propose et n’impose jamais » comme le veut la règle baroque. Chaque auditeur disposant ainsi de la liberté se placer à la hauteur de compréhension qui lui convient.

D’autant plus naturellement que le sous-titrage pimente les situations sans que la diction des chanteurs les rende indispensables.

Dans un décor de tour-escalier stylisé (Sylvie Olivé), seules deux horloges s’encastrent à droite et à gauche. Le cliquetis des automates et mécanismes égare d’emblée le public qui ne les voit pas sur scène. Le ton est donné.

Parmi les sombres costumes masculins « années 20 », la robe rose de Concepción (la bien nommée !) virevolte et frémit à ravir.

Zémire sauve Grétry à l’Opéra Comique

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L’adaptation libre du conte « La Belle et La Bête » par Jean-François Marmontel pour André-Ernest-Modeste Grétry, musicien bien-aimé de la reine Marie-Antoinette, offre un point de départ assez confus. 

Le poème né de la plume concise et poétique de Madame Leprince de Beaumont, retenu par Ravel pour figurer dans son recueil Ma Mère L’Oye, s’est effacé. Des contes orientaux et un épisode des « Mille et Une Nuits » en ont dilué les thèmes, évoquant aussi bien les abus paternels  (Le roi Lear n’est pas si loin) que la commedia dell’ arte. 

Le ton assez sentencieux avec de fréquentes répétitions  surprend chez l’encyclopédiste et grammairien, Marmontel. Ainsi le serviteur Ali (A. IV) chante-t-il  : « J’en suis encore tremblant !/ C’est comme un char volant/ Ou bien c’est un nuage. / Non c’est un char brûlant / Volant sur un nuage... ».

Certes, cette langue simple et délicate s’accorde avec le tempérament du compositeur – l’air émouvant «  Ah ! Quel tourment/ d’être sensible... » (A. III, Azor) en témoigne – mais la faiblesse dramatique d’ensemble décourage l’attention.

Quant au choix de Michel Fau pour la mise en scène, sans remettre en cause un talent aussi percutant que singulier, il ajoute à la confusion.

Outre ses apparitions chorégraphiques personnelles en drag-queen-fée- dominatrice tenant en laisse deux hommes- chiens (on pense au « Pornokrates » du peintre Félicien Rops), son traitement du personnage de la Bête (Azor) relève du contresens.

En effet, la métamorphose kafkaïenne de la Bête en cloporte imberbe, bossu, doté de doigts d’acier rend inutilement cruelle la rivalité entre le père et l’amant et, surtout, introduit un hiatus irréparable avec l’esprit du XVIIIe siècle comme avec le pouvoir d’attraction-répulsion de la « Bête » sur l’inconscient féminin.

Une couleur locale technico-technologique : Les Noces de Figaro à l'Opéra de Paris

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Au Palais Garnier, la metteure en scène Netia Jones installe Les Noces de Figaro dans ce que j’appellerais une couleur locale technico-technologique. Louis Langrée, avec l’Orchestre et les Chœurs de l’Opéra National de Paris, et les solistes, propose un Mozart inspiré.

Les Noces sont mises en abîme, comme on dit : nous assistons en effet à leurs répétitions, à la façon dont leurs interprètes vivent ce temps-là, avec tout ce qui les unit-désunit, tout ce qui les caractérise, en strict parallélisme avec l’œuvre travaillée. Avec aussi quelques références plutôt soulignées aux harcèlements dont sont victimes de jeunes interprètes de la part de quelques solistes confirmés. Me Too est passé par là. Pourquoi pas. Mais cela n'ajoute pas grand-chose à ce que l’œuvre dit déjà de façon plus subtile.

Surtout, et c’est un imposant dispositif scénographique, Netia Jones envahit l’espace scénique d’images vidéo ne nous cachant rien des données techniques de la représentation, avec aussi quelques-uns des textes à chanter. Nous n’ignorerons rien des longueurs-largeurs-hauteurs des différents dispositifs. De temps à autre, ce sont des ombres qui sont projetées, nous suggérant la réalité plus crue des attitudes plus ou moins contrôlées vécues sur le plateau. 

Le problème est que tout cela, qui est sans doute techniquement virtuose, n’a guère d’impact dramaturgique. Régulièrement, les interprètes se retrouvent coincés en file au bord du plateau à cause d’un panneau informatif descendu des cintres, ou éloignés l’un de l’autre parce que chacun est dans une « loge » différente. Ce qui, par exemple, prive de toute sa force comique la fameuse scène de la reconnaissance : « sua madre, suo padre ». 

Elsa Dreisig se confronte à Mozart 

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Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : airs d’opéra extraits de Idomeneo, rè di Creta,  Lucio SillaLa clemenza di Tito, Così fan tutte, Le nozze di Figaro, Don Giovanni. Elsa Dreisig, soprano : Kammerorchester Basel, Louis Langrée. 2022. Livret en anglais, français, allemand. Texte chanté en italien. 58’27.  Erato 01902964412257 

Fortunio d’André Messager en DVD : un divertissement inspiré et raffiné

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André Messager (1853-1929) : Fortunio, comédie lyrique en quatre actes. Cyrille Dubois (Fortunio), Anne-Catherine Gillet (Jacqueline), Franck Leguérinel (Maître André), Jean-Sébastien Bou (Clavaroche), Philippe-Nicolas Martin (Landry) et six autres rôles. Chœur Les Eléments ; Orchestre des Champs-Elysées, direction Louis Langrée. 2019. Livret en anglais et en français. Sous-titres en français, en anglais, en allemand, en japonais et en coréen. 119.00. Un DVD Naxos 2. 110672. Aussi disponible en Blu Ray.

Hamlet : opulence sonore et rigueur visuelle

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Ambroise THOMAS (1811-1896) : Hamlet.  Stéphane Degout, Hamlet ; Sabine Devieilhe, Ophélie ; Laurent Alvaro, Claudius ; Sylvie Brunet-Grupposo, Gertrude ; Julien Behr, Laërte ; Jérôme Varnier, Le Spectre ; Kevin Amiel, Marcellus, Deuxième fossoyeur ; Yoann Dubruque, Horatio, Premier fossoyeur ; Nicolas Legoux, Polonius. Chœur Les éléments - Joël Suhubiette, dir. Chœur - Orchestre des Champs-Elysées - Louis Langrée, dir. - Cyril Teste, mise en scène - François Rousillon, image. 2019-171’-NTSC 16:9-AC32.0 and DTS5.1- DVD 9- chanté en français- sous titres en français, anglais, allemand, japonais, coréen, chinois. Capté en direct les 19 et 21 décembre 2018 à l’Opéra Comique.

Louis Langrée, transatlantic et lyrique 

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Le chef d’orchestre Louis Langrée, directeur musical de l’Orchestre de Cincinnati, sort un album qui propose les versions originales d’Un Américain à Paris de George Gershwin et d’Amériques d’Edgar Varèse. Cet album nommé Transatlantic est nominé aux légendaires Grammy Awards. Alors qu’il dirige Fortunio d’André Messager à l’Opéra Comique, il revient sur son travail avec son orchestre étasunien et sur son amour de la musique d’André Messager. 

Vous sortez un album nommé Transatlantic, avec la version originale d’Un Américain à Paris de George Gershwin dont vous avez donné la première à la Seine musicale avec votre orchestre de Cincinnati. Qu’est-ce qui vous a mis sur la piste de cette édition Urtext ? 

J’avais lu, comme beaucoup de mélomanes, l’article du New York Times, publié en 2016. Cet article évoquait la question des klaxons dans cette oeuvre et il se demandait si on joue les bonnes notes avec ces “instruments”. Le texte était illustré par une photo de Gershwin à Cincinnati en discussion avec le percusionniste solo de l’orchestre, on le voyait avec les klaxons qu’il avait acheté avenue de la Grande Armée à Paris. Il faut rappeler que Gershwin était un ami du chef d’orchestre Fritz Reiner, directeur musical de la phalange, et qu’il était déjà venu à Cincinnati jouer ses oeuvres comme soliste avec l’orchestre. Cette photo avait été prise alors qu’il était venu assister à la deuxième exécution d’Un Américain à Paris, après la création à New-York. J’ai commencé à fouiner dans notre bibliothèque mais je n’ai pas trouvé grand chose d’autre que des programmes et des critiques du concert ; je n’ai pas trouvé de matériel musical. 

Vous connaissez l’histoire de l’oeuvre : après la mort du compositeur, elle a été éditée et arrangée par F. Campbell-Watson et pendant 75 ans, c’est cette version qui a été jouée partout dans le monde. Nous n’avions pas de comparaison entre cette édition et le texte musical d’origine. J’ai fait des recherches et je suis entré en contact avec le musicologue Mark Clague de l’Université du Michigan qui dirige l’édition Urtext des oeuvres de Gershwin avec le soutien des héritiers du compositeur. Il était en train de travailler sur l’édition de l’Américain à Paris.  Nous avons pu donner la première mondiale à la Seine Musicale à l’été 2017 ! Cela avait un écho particulier : une salle parisienne, un orchestre étasunien et un chef d’orchestre ex-parisien !  

Une question classique : qu’est-ce que cette nouvelle édition apporte à la connaissance de l’oeuvre ? 

Elle change énormément d’aspects. La version de Campbell-Watson était véritablement un arrangement et non une édition respectueuse du texte : tout sonne épais et hollywoodien. En revenant au texte original, on découvre une clarté très française dans l’orchestration. Je ne vais pas faire la liste complète des changements mais c’est complètement différent ! En plus des considérations liées au texte, il faut recontextualiser le style. Quand on écoute les grandes versions dirigées par Leonard Bernstein ou James Levine, ça swingue avec générosité. En discutant avec Mark Clague, il m’a rappelé que le swing apparaît dans les années 1940... Dans les années ‘20, époque de la composition, c’est la grande période du ragtime dans le jazz, et donc swinguer est un contresens historique ! Cet aspect participe également au changement de la perception de l’oeuvre.   

« La Marseillaise des concerts modernes » : le Bolero de Ravel revu par Ravel Edition

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Maurice Ravel (1875-1937) : Bolero, versions de 1928 et 1929

Tombé dans le domaine public depuis le 1er mai 2016, le Bolero de Ravel, dont on vient de fêter les 90 ans, continue de faire parler de lui ces derniers mois par des rebondissements judiciaires incessants. Malgré tout, cette exclusivité mondiale affranchie -que la maison Durand (Universal) possède néanmoins toujours aux États-Unis jusqu’en 2025- il est aujourd’hui permis à de nombreux éditeurs de publier leur version de cette œuvre mythique commandée à Maurice Ravel par la danseuse russe Ida Rubinstein.

Dans cette mouvance nouvelle naquit la « Ravel Edition » dont l’équipe, composée de chefs d’orchestre et musicologues français, s’est attelée à offrir un travail d’analyse inédit sur les manuscrits et toutes sources susceptibles d’éclairer la commande et la création de ce ballet d’une exceptionnelle modernité en son temps.