L’ouverture de saison de l’Orchestre de la Suisse Romande  

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Pour son ouverture de la saison 2024-2025, l’OSR fait appel au chef russe Tugan Sokhiev qui a été à la fois le directeur musical du Théâtre Bolchoï de Moscou et de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse. Son programme juxtapose Ravel, Saint-Saëns et Rimsky-Korsakov et est présenté pour deux soirs à Genève, pour un seul, à Lausanne. 

Comme souvent au cours de ces derniers mois, le premier concert de Genève donne l’impression d’être la répétition générale de celui que le Théâtre de Beaulieu à Lausanne affiché le 3 octobre. Il faut dire aussi qu’en cette salle reconstruite récemment, la sonorité d’ensemble a une spatialité bien plus fascinante que le manque d’ampleur étriqué produit au Victoria Hall. Et la première page figurant au programme, l’Alborada del Gracioso de Maurice Ravel orchestrée par lui-même en 1918, bénéficie, le deuxième soir, d’un fini au niveau du phrasé qui pallie les errances d’intonation de la veille. Judicieusement, le chef accentue la pulsation dans un tempo moderato qui permet au basson goguenard de livrer ses épanchements lyriques sous les fenêtres d’une belle bien cruelle qui les tourne en dérision. 

Martha Argerich, l’Orchestre de Rotterdam et Lahav Shani enthousiasmants entre Europe et Amérique

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C’est un programme annoncé « autour du thème de l’exil » qui nous était proposé, avec trois œuvres (qui obéissaient au traditionnel triptyque ouverture-concerto-symphonie) de trois siècles différents, dans un ordre chronologique inversé : l’ouverture Con Spirito de Joey Roukens (2024), le Troisième Concerto pour piano de Béla Bartók (1945) et la Symphonie du Nouveau Monde d’Antonín Dvořák (1893). Mais en réalité, de ces trois compositeurs, seul le second a réellement été exilé, quand il a dû fuir, la mort dans l’âme, l’Europe pour les États-Unis en 1940. Le premier, né en 1982, n’a pas été confronté au déracinement. Et si le troisième a, en effet, émigré aux États-Unis, c’était un choix professionnel ; il n’y est resté que trois ans, et a pu finir sa vie, confortablement, dans sa Bohème natale.

Il n’en demeure pas moins que nous avons entendu trois œuvres de compositeurs européens qui sont directement liées à la musique américaine.

Con Spirito est une ouverture pour orchestre, d’une douzaine de minutes, commandée par l’Orchestre Philharmonique de Rotterdam à leur jeune compatriote Joey Roukens. Créée l’avant-veille, elle est, au moins implicitement, un hommage au grand compositeur américain Leonard Bernstein. Avec d’irrésistibles réminiscences jazz, latino et balinaises, elle fait la part belle aux cuivres et aux percussions. Il y a bien quelques moments qui évoquent une atmosphère inquiète, mais la pièce est, dans son ensemble, particulièrement vitaminée. 

Lahav Shani est directeur musical de l’Orchestre Philharmonique de Rotterdam depuis 2018 (il avait alors vingt-neuf ans -le plus jeune de l’histoire de cet orchestre à ce poste). Il le dirige autant par ses déhanchements qu’avec les bras ! Et le résultat est formidable : l’orchestre est libéré, avec des plans sonores très équilibrés, et sonne avec une plénitude réjouissante. 

L'alto en miroir avec Amihai Grosz

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William Walton (1902-1983) : Concerto pour alto (version révisée de 1962) ; Bohuslav Martinů (1890-1959) : Rhapsody-Concerto pour alto et orchestre. Amihai Grosz, alto ; Berliner Philharmoniker, direction : Sir Simon Rattle, Matthias Pintscher.  2017 et 2023. Livret en anglais et allemand. BPHR 24049

En solo, en duo : cantates de Bach, avec deux vétérans

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Bach Dialog-Kantaten. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Ich geh und suche mit Verlangen BWV 49. Liebster Jesu, mein Verlangen BWV 32. Christoph Graupner (1683-1760) : Concerto en ut majeur GWV 302. Miriam Feuersinger, soprano. Klaus Mertens, basse. Elisabeth Grümmer, hautbois. Renate Steinmann, Cosimo Stawiarski, violon. Johannes Frisch, alto. Thomas Platzgummer, violoncelle. Armin Bereuter, violone. Johannes Hämmerle, orgue. Janvier 2023. Livret en allemand, anglais ; paroles en allemand et traduction en anglais. TT 61’35. Christophorus CHR 77473

Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Sinfonia [Am Abend aber desselbigen Sabbats BWV 244]. Ich will den Kreuzstab gerne tragen BWV 56. Ich habe genug BWV 82. Am Abend, da es kühle war ; Mache Dich, mein Herze, rein ; Gebt mir meinen Jesum wieder [Matthäus-Passion BWV 244]. Christoph Prégardien, baryton. Friederike Beykirch, soprano. Nanora Büttiker, contralto. Tobias Mäthger, ténor. Oliver Luhn, basse. Stephan Schultz, violoncelle, direction. Leila Schayegh, violon. Le Concert Lorrain. Avril 2021. Livret en anglais, français ; paroles en allemand et traduction bilingue. TT 56’06. Et’Cetera KTC 1704

Ouverture de Saison à la Fondation Victoria de los Ángeles

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Lorsqu’un mélomane visite Barcelone, ses pas le porteront tout naturellement vers ce joyau architectural qu’est le Palau de la Mùsica, où la programmation est incontestablement alléchante. Il y a, cependant, un autre lieu magique et peu connu où la musique peut être magnifiée par la beauté architecturale du lieu : c’est la salle Domènech i Muntaner de l’Hôpital de Sant Pau. Concepteur des deux bâtiments et alter ego du génial « moderniste » Gaudí, Domènech fut un bâtisseur inventif d’espaces et de décors inspirés par la nature ou par des légendes. Qui ont aussi inspiré le Wahnfried, la maison de Richard et Cósima Wagner à Bayreuth. Cette salle ne fut pas conçue pour le concert, mais son acoustique est plus qu’agréable et la Fondation Victoria de Los Ángeles y a trouvé un espace emblématique pour produire ce qui est l’un des buts principaux de cette association : le récital de « Lieder » et la pédagogie qui l’entoure. Ce n’est pas un secret que la grande artiste barcelonaise consacra une part prépondérante de son activité au récital et qu’elle considérait que l’opéra ne devait jamais concentrer exclusivement la démarche artistique d’un bon chanteur. 

Elena Pankratova et Joseph Breinl nous ont offert un récital inspiré par l’activité wagnérienne de Victoria. En effet, elle reste la seule cantatrice espagnole à avoir chanté sur les planches du sanctuaire de Bayreuth. Sous le titre « Mild un leise » -les premières paroles de la scène de la mort d’Isolde- elle commencera par un choix de mélodies parmi les plus émouvantes de Gustav Mahler. Sa voix est robuste : elle est une de grandes wagnériennes actuelles et l’instrument impose par la richesse des résonnances et par la densité du son. Mais c’est un aspect quasi anecdotique de sa prestation : le maître-mot ce sera précisément l’émotion qu’elle parvient à transmettre à l’auditeur. Ce n’est pas banal qu’en finissant son « Ich bin der Welt abhanden gekommen » ses yeux commencent à fondre en larmes… Je sais peu de son éducation et son parcours, mais la précision, la fluidité de sa diction allemande et son à propos stylistique dans Mahler, en passant des phrases raffinées aux élans et tourbillons de « Blicke mir nicht in die Lieder » et trouvant des sommets de concentration affective dans « Um Mitternacht », rompent radicalement avec le vieux cliché des grandes voix d’outre-Oural au style plus ou moins douteux… Suivront les célèbres « Wesendonck Lieder », qui font probablement partie avec le « Sigfried Idyll » des pages les plus inspirées de Wagner. Si l’on ne peut pas considérer l’œuvre de Mathilde Wesendonck parmi les sommets de la poésie allemande, on doit lui reconnaître un langage allégorique, euphonique et chargé d’images très en phase avec la sensibilité fin de siècle de l’époque, et l’on comprend facilement qu’elle ait inspiré la créativité de son amant. Mais, sans vouloir choquer les wagnériens inconditionnels, ce climat poétique épuré contraste avec la platitude littéraire de cette litanie que semble réciter Isolde dans son air final, Liebestod, pendant que la musique véhicule un prodigieux tourbillon d'agitations liées à l’amalgame entre Eros et Thanatos. Le hiatus entre le Wagner poète et le Wagner compositeur est saillant. 

The Line #3 : un certain art de la programmation

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Troisième de sa propre saison, le concert de l’Ensemble Hopper, ce soir au Mom, dont la scène est fendue de lignes vertes fluorescentes qui, tels les néons mauves de discothèque soulignant de leur fantasmagorie obscure dents blanchies et pellicules sur vestes noires, accentuent l’éclat des bretelles jaunes de Rudy Mathey (clarinettes) ou des lacets de Roxane Leuridan (violon), prend le nom de la pièce-phare du programme, Lichtbogen, réservée au final, alors que l’ouverture du bal (et plus puisqu’il apporte trois oeuvres) est aux mains de Zeno Baldi (1988-), jeune compositeur italien invité par l’ensemble.

Décalage, commande de l’ensemble créée en 2019, pour laquelle un décompte sur écran guide François Deppe qui guide Hopper, est tendue sur une électronique pulsatile, irréelle et ferroviaire, sur laquelle se greffent, comme par attouchements incertains, les 8 instrumentistes : le ton est métallique, résonne comme dans l' espace clos et démesuré d’un atelier de maintenance. Du même Baldi, pour une durée similaire, Bonsaï, tout aussi accrocheur mais replié sur une dimension restreinte, s’intéresse, son titre lève toute ambiguïté, au soin, patient et précis, que requiert un arbre petit pour un temps infini : tremblements comme sur ressorts, frottements des balais sur la timbale, les sons naissent, croissent, ploient et se replient, contraints par un volume avare. Après la pause (le bar est ouvert), l’émouvant Principio di Archimede, troisième pièce de Zeno Baldi, succède au Wasserklavier de 1965 de Luciano Berio (1925-2003) -dont le piano accole modernité et nostalgie, et cotoie, dans le cycle Six Encores, les éléments frères, air, feu et terre-, aborde aussi le concept de l’eau, de la mémoire submergée, mais avec cinq instruments et sous l’angle tragique du noyé en passe d’immigrer, dont l’absence de vie se brouille du flux infini de la haute mer.

Hommage à Catherine Collard chez Erato

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Catherine Collard. The Complete Erato, EMI Classics & Virgin Classics Recordings. Robert Schumann (1810-1856) Fantaisie en Ut Majeur, Op.17 ; Davidsbündlertänze, Op.6 ; Sonate pour piano n°1 en n fa dièse mineur opus 11 ; KInderszenen, Op.15 ; Sonate pour piano n°2 en sol mineur, Op.22 ; Arabeske, Op.18 ; 3 romances, Op.28 ; Papillons, Op. 2 ; Sonate pour violon n°1 en la mineur, Op.105 ; Sonate pour violon n°2 en Ré mineur ; Guillaume Lekeu (1870-1894) : Sonate pour violon en sol majeur ; César Franck (1822-1890) : Sonate pour violon en la majeur, FWV 8 ; Serge Prokofiev (1891-1953) : Sonate pour violon n°1 en fa mineur, Op.80 ; Sonate pour violon n°2 en ré majeur, Op.94bis ; Vincent d’Indy (1851-1931) : Symphonie sur un chant montagnard “Cévenole” en sol majeur, Op.25 ; Erik Satie (1866-1925) : 3 Morceaux en forme de poire pour piano à 4 mains, La Belle Excentrique pour piano à 4 mains. Catherine Collard et Anne Queffélec, pianos ; Catherine Courtois, violon ; Orchestre philharmonique de Radio-France, direction : Marek Janowski.1973-1990. Livret en français, anglais et allemand. 7 CD Erato 5 0544197 962639

Des concerts publics inédits et un premier roman pour Mikhail Rudy

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Edvard Grieg (1843-1907) : Concerto pour piano et orchestre en la mineur op. 16. Richard Wagner (1813-1883) : La Mort d’Isolde, transcription de Franz Liszt. Frédéric Chopin (1810-1849) : Nocturne op. 27. Claude Debussy (1862-1918) : Étude pour les huit doigts. Alexandre Scriabine (1871-1915) : Étude op. 42 n° 3. Serge Prokofiev (1891-1953) : Prélude op. 12 n° 7 ; Concerto pour piano et orchestre n° 2 en sol mineur op. 16. Mikhail Rudy, piano ; Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg. Années 1990. Notice en français et en anglais. 76’01’’. Le Palais des Dégustateurs PDD038.

Mikhail Rudy : Le Disciple. Les Presses de la Cité, ISBN 978-2-258-20701-1, 2024, 238 pages, 20 euros.

Louis-Victor Bak, Debussy et Chaminade en perspectives

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Le jeune pianiste  Louis-Victor Bak fait ses débuts au disque avec un premier album consacré à des oeuvres de Claude Debussy et Cécile Chaminade pour Indésens Calliope Records. Ce phonogramme est une grande réussite et Crescendo Magazine est heureux de s’entretenir avec ce pianiste installé à Londres.  

Votre nouvel album propose des œuvres de Cécile Chaminade avec la Sonate pour piano et l’Impromptu des Six études de concert. Qu’est-ce qui vous a orienté vers cette compositrice au point de lui consacrer une partie de votre disque ?

Lorsque j’ai découvert Cécile Chaminade, sa musique m’a immédiatement parlé et je me suis alors intéressé à son histoire. C’était une véritable star de son époque, jouant ses propres œuvres en concert dans le monde entier, de la France en passant par l’Angleterre où elle était particulièrement appréciée, jusqu’aux Etats-Unis. Surnommée “mon petit Mozart” par Georges Bizet, et proche de la reine Victoria, elle est même invitée à rencontrer le président Roosevelt lors de sa tournée américaine. C’était sans aucun doute une figure importante du paysage musical au tournant du XXème siècle ; c’est pourquoi j’ai souhaité lui consacrer une partie de ce disque.

Quelles sont les qualités esthétiques et techniques de sa musique ?

Cécile Chaminade a composé dans un style romantique tardif et a perpétué la tradition romantique. C’était une excellente pianiste, ces œuvres en témoignent ; elle avait un sens de la mélodie saisissant, un langage harmonique riche et coloré, et c’était une grande virtuose. On retrouve cette virtuosité dans sa Sonate pour piano au service d’un caractère passionné, tumultueux et parfois tragique. Cécile Chaminade excelle également dans les pièces de caractères, plus légères, avec toujours beaucoup de raffinement et de délicatesse.

Pourquoi mettre en regard Chaminade et Debussy ?

On pourrait croire que Claude Debussy et Cécile Chaminade n’ont pas grand chose en commun hormis le fait d’être tous les deux français et d’avoir vécus à la même époque. Et effectivement, ils ont chacun un style très différent qui leur est propre. Néanmoins il y a une chose qu’ils ont en commun et qui les relie, c’est le fait d’avoir été tous les deux des ambassadeurs de la musique et de la culture française, et ce dans le monde entier.

De Debussy, vous avez sélectionné les  2 livres des Images. Pourquoi ce choix d'œuvres et pas d’autres partitions ?

Si dans sa jeunesse Claude Debussy compose dans un style encore assez romantique, il va très rapidement s’en éloigner, s’aventurer vers de nouvelles sonorités et développer un langage unique. Les deux livres d’Images, et les six pièces qui les composent, sont la représentation parfaite de son style novateur. Pour les composer, Claude Debussy s'inspire de la nature, des paysages, du monde qui l’entoure ; il y a beaucoup de poésie qui émane de ces œuvres.