Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908) : Schéhérazade, suite symphonique Op. 35. Bedřich Smetana (1824-1884) : La Fiancé vendue [extraits]. Orchestre symphonique de Saint-Louis, direction : Jerzy Semkow, Walter Susskind. Janvier 1975, mai 1976, rééd. 2024. Livret en anglais. 67’27’’. VOX-NX-3043
Vendredi soir un air chaud emmitoufle la capitale des Flandres et la salle de théâtre du Casino Barrière n’y échappe pas totalement malgré la climatisation maison ; voilà sans doute pourquoi les musiciens de l’orchestre National de Lille se présentent, une fois n’est pas coutume, en bras de chemise d’un blanc impeccable qui tranche harmonieusement avec le noir strict des nœuds papillons et celui, miroitant, des robes légères des musiciennes.
Jean Claude Casadesus, toujours fringant, est à la baguette pour ce concert d’ouverture du vingt- deuxième festival qu’il a créé de toutes pièces il y a 20 ans. Au programme l’ouverture d’Obéron de Carl Maria von Weber à l’écriture aussi ciselée qu’explosive suivi du redoutable Concerto pour piano n°1 de Tchaïkovski au service duquel le virtuose Ouzbek Behzod Abduraimov emploie une technique éblouissante doublée d’une spectaculaire énergie. Belle entrée en matière pour un Week end de folie tous claviers déployés aux quatre coins de Lille avec pas moins de quarante concerts.
On en trouvera ci-après quelques échos très partiels, impressions ressenties lors d’un parcours singulier sur des chemins de traverse.
Les paysages de l’âme
Samedi, petite marche matinale au fil des rues pavées du Vieux Lille, le temps de rejoindre la place du concert et l’accueillant auditorium du conservatoire à la belle acoustique. Fanny Azzuro y interprète l’intégrale des Préludes de Rachmaninov. Une heure trente sans discontinuer à travers « les paysages de l’âme » selon une expression chère à la pianiste qui y emploie une technique irréprochable et une infinie palette de sonorités (elle a été initiée au répertoire et à la grande école russe par sa rencontre avec Boris Tétrushanski). Le public est aux anges !
A l’ombre de la Cathédrale
Le temps de prendre un sandwiche jambon-beurre avec une bière bien fraîche il est vite l’heure de diriger nos pas vers la Cathédrale notre -dame de la Treille, pas loin de là, dont l’imposante façade en marbre bleu est surplombée d’une flamboyante rosace due au talent du peintre Ladislas Kijno.
Un premier rendez-vous est fixé au sous-sol dans la crypte moderne du centre d’art sacré où l’accordéoniste Ukrainien Bogdan Nesterenko s’est fixé le vertigineux défi d’interpréter successivement la Chaconne en ré mineur (Bach-Busoni) et Les Tableaux d’une exposition de Moussorgski. Diplômé du conservatoire supérieur de musique de Kharkiv en accordéon et direction d’orchestre Bogdan Nesterenko a trouvé en 2006 une terre d’accueil dans notre région du Nord de la France où l’accordéon fait partie intime du patrimoine populaire. Il utilise un accordéon « Bayan » fabriqué en Russie dont l’exceptionnelle richesse de timbres et les multiples registres sont mis ici à belle épreuve ; Bach et Moussorgski comme vous ne les avez jamais entendus ! La prestation sera saluée par une Standing ovation.
Tides of Dance. Richard Strauss (1864-1949) : Concerto pour violon et orchestre en ré mineur op. 8. Édouard Lalo (1823-1892) : Symphonie espagnole pour violon et orchestre en ré mineur op. 21. Franziska Pietsch, violon ; Orquesta Ciudad de Granada, direction Jonathan Pasternack. 2025. Notice en espagnol, en anglais et en allemand. 64’ 54’’. Aria Classics 020.
Chef principal de l’Orchestre Philharmonique de Liverpool et directeur musical de l’Opéra de Los Angeles à partir de la saison prochaine, le chef d’orchestre vénézuélien Domingo Hindoyan a fait une halte très remarquée cette semaine à Angers et à Nantes pour le dernier concert de la saison de l’Orchestre National des Pays de la Loire dans un programme propre à exalter sons sens du rythme et de la couleur.
Ce qui frappe d’emblée à la sortie de ce concert exceptionnel, c’est la capacité qu’ont certains chefs à modifier considérablement le profil sonore d’un orchestre en quelques répétitions seulement. Sous la baguette chaleureuse, convaincante et précise de Domingo Hindoyan, l’ONPL a acquis une profondeur insoupçonnée du pupitre des cordes, avec un sens du legato idéal et une puissance décuplée pour la totalité de l’orchestre.
La soirée a démarré sur les chapeaux de roues avec Fandangos, une pièce du compositeur portoricain Roberto Sierra résultant d’une commande de l’Orchestre Symphonique de Washington qui l’a créée en 2001. Sierra s’est, en quelque sorte, emparé du célèbre Fandango du Padre Antonio Soler pour lui tailler un habit propre aux grandes formations symphoniques d’aujourd’hui en mêlant assez habilement les rythmes populaires avec des clusters proches des séquences aléatoires fréquemment utilisées en Europe dans la musique des années 1970, le tout culminant dans une sorte d’accumulation instrumentale frénétique faisant penser à la fin du Boléro de Ravel. Une entrée en matière royale pour Domingo Hindoyan qui a bâti une puissance grandiose à la tête d’un ONPL visiblement conquis par son hôte.
On se demandait ce que pouvait bien faire le magistral Gloria de Francis Poulenc au milieu de ce programme après un tel déferlement sonore et avant la magie instrumentale de Rimski-Korsakov attendue en seconde partie. Menée tambour-battant par un Domingo Hindoyan survolté, l’oeuvre chorale de Poulenc sonnait d’une manière particulièrement frappante grâce à la participation du Chœur de l’ONPL magnifiquement préparé par Valérie Fayet. Par sa direction enjouée et son sens des demi-teintes, le chef a bien montré combien la vision mystique de Poulenc était finalement proche du monde profane et joyeux qui était celui de sa jeunesse baignée par la musique des Ballets russes. La puissance vocale des interventions de la soprano Melody Louledjian était en parfaite cohérence avec la volonté du compositeur qui souhaitait de grandes voix opératiques pour chanter sa musique.
Ce concert faisait partie de la série « Philhar’Intime », qui permet au public d’entendre les musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Radio France (« Philhar’ », donc, pour... les intimes) en musique de chambre. Pour la circonstance, ils étaient quatre, représentant les quatre instruments à cordes de l’orchestre : Amandine Ley au violon, Clémence Dupuy à l’alto, Nicolas Saint-Yves au violoncelle, et Yann Dubost à la contrebasse. Notons que, si le dernier est l’un des solistes de l’orchestre, premier solo du pupitre de contrebasse, les trois premiers jouent « dans le rang », sans être, le plus souvent, exposés devant leurs collègues. Même si l’on peut constater, en effet, que Yann Dubost fait preuve d’une remarquable aisance, nous pouvons nous réjouir de ce que de « simples » tuttistes de notre cher Philhar’ jouent à ce si haut niveau !
Le concert commençait par deux œuvres pour trio à cordes.
Si le nom de Michael Haydn est encore connu de nos jours, c’est principalement, d’une part, grâce à son frère aîné Joseph ; et d’autre part grâce à son amitié avec Mozart (qui n’a pas hésité, alors que Michael n’avait pu livrer à temps une commande de six duos pour violon et alto, à écrire les deux derniers et à les laisser présenter par son ami au commanditaire comme s’ils étaient de sa plume !). Il nous laisse une musique religieuse qui ne manque pas de grandeur (et notamment un Requiem, qui a servi en partie de modèle à Mozart pour le sien).
Il nous était proposé un Divertimento pour alto, violoncelle et contrebasse (en mi bémol majeur, MH 9 – et non celui qui était indiqué sur le programme de salle, qui du reste était avec violon et non avec alto), dont l’originalité tient surtout en cette formation quelque peu inusuelle. Il commence par un Adagio con Variazioni qui, par définition, devrait apporter de la variété ; son manque d’inspiration peine cependant à nous tenir en haleine, notamment à cause des reprises. Toutes observées par les interprètes, elles induisent une certaine monotonie, même s’ils y proposent quelques ornements. Suit un Menuetto, agréablement écrit, et tout aussi agréablement joué. Et, enfin, un Presto particulièrement brillant et volubile, dans lequel les musiciens du Philhar’ nous offrent quelques très jolis moments.
Avec son côté de conte moral et magique, le livret d’Emmanuel Schikaneder, auquel a peut-être collaboré Mozart, peut se prêter à toutes sortes de lectures, c’est ce qu’a si bien compris le metteur en scène Mathieu Bauer pour cette production très réjouissante de la Flûte enchantée (Die Zauberflöte) présentée par Angers Nantes Opéra. Très influencé par le cinéma américain, il nous propose une scénographie assez hollywoodienne, à mi chemin entre le cirque et la comédie musicale, dans une ambiance que ni Orson Welles, Stanley Donen ou Woody Allen n’aurait reniée.
Loin de s’éloigner de Mozart et de son librettiste, la mise en scène de Mathieu Bauer rejoint parfaitement au contraire l’esprit d’une oeuvre utopiste présentée comme un conte pour petits et grands, avec une musique sublime décrivant la variété infinie des comportements et des sentiments humains. Son travail n’est pas une transposition puisque les personnages, les situations, les lieux et l’époque sont universels et intemporels. Dès lors, l’ambiance de fête foraine peut tout suggérer entre le rêve et la réalité.
Si les allusions racistes du livret, notamment celles du personnage trouble de Monostatos ont été effacées, les réflexions assez misogynes sont bien là, dénonçant le machisme ordinaire des conversations de bistrot. L’esprit maçonnique qui sous-tend tout l’opéra est très habilement représenté par cette confrérie dirigée par un Sarastro dont on ne sait s’il est le chef d’une compagnie de pompiers ou de sécurité interne dans cet improbable Luna Park situé dans notre mémoire quelque part entre Coney Island et Vienne, à moins qu’il s’agisse d’un service de nettoyage particulièrement soucieux de paix et d’humanité.
Luise Adolpha Le Beau (1850-1927) : Cinq Mélodies op. 4 ;Trois mélodies op. 11, arrangement pour quatuor à clavier et mezzo- soprano par Henrik Ajax ; Trois mélodies op. 18 ; Trois mélodies op. 39 ; Trois mélodies pour alto, violon et piano op. 45 ; Quatuor à clavier en fa mineur op. 28. Le Beau Ensemble. 2024. Notice en allemand et en anglais. Textes chantés non insérés. 60’ 42’’. Oehms OC1732.
Marin Marais (1656-1728) : Deuxième Livre de Pièces de Viole [extraits]. Monsieur de Sainte-Colombe (c1640-c1700) : Tombeau « Les Regrets ».Robert de Visée (c1650-1730) : Chaconne en sol majeur. La Rêveuse. Florence Bolton, Emily Audoin, basse de viole. Carsten Lohff, clavecin. Benjamin Perrot, théorbe, guitare. Livret en français, anglais. Novembre 2022. 66’46’’. Harmonia Mundi HMM 905356
Ce vendredi 13 juin dernier, l’Arsenal de Metz donnait un concert Brahms et Rimski-Korsakov pour les amateurs de musique classique lorrains.
La première partie du concert était consacrée au Concerto pour violon de Brahms avec le célèbre violoniste Thomas Zehetmair. Cheval de bataille du répertoire de tous violonistes, ce concerto leur permet de montrer l’excellence de leurs jeux, tout en étant soutenus par un orchestre élégant, aristocratique et aux couleurs veloutées. Le violoniste autrichien utilisa bien peu ce soir une grande virtuosité digitale, nonobstant, sans doute à cause de sa grande célérité, son jeu semblait sec et manquait autant de rondeur que de souplesse. Le deuxième mouvement du concerto, allegro, notamment, durant lequel la tendresse et l’humanité de Brahms doivent sonner, semblait presque froid, sans cœur et pour tout dire très expédié. Cette vitesse excessive forçait également l’orchestre à le suivre plutôt qu’à accompagner et à dialoguer avec le soliste, et endommagent ainsi ses qualités pourtant évidentes dès le tutti initial, comme l’équilibre entre ses pupitres, le legato de ses graves et l’acidité des aigus des cordes. Comme quoi, il ne faut surtout pas confondre vitesse et précipitation en musique.