Unsuk Chin, compositrice

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La compositrice sud-coréenne Unsuk Chin, dont la musique a été éditée dans le cadre d’un beau coffret des Berliner Philharmoniker,  est lauréate dans la catégorie Musique contemporaine des International Classical Music Awards 2025. Dans cette interview, elle parle de son art et de ses sources d'inspiration. L'interview a été réalisée par Maggie S. Lorelli pour la revue Musica, le membre italien du jury des ICMA.

Votre écriture se fait sur papier, renonçant à la possibilité offerte par l'ordinateur d'éditer vos partitions, qui sont à la fois épurées et créatives, des œuvres d'art en soi. Votre écriture est-elle toujours linéaire, sans arrière-pensée ?

Je compose toujours à mon bureau, sans ordinateur ni clavier. Je ne joue jamais les notes que j'écris sur la portée. J'ai été élevé de cette façon : c'est mon habitude et c'est la seule façon dont je peux composer. Créer une pièce est un travail où je dois prendre de nombreuses décisions à différents niveaux, y compris le contexte dans son ensemble, en me concentrant moins sur le son de chaque note individuelle. Ce processus prend beaucoup de temps, aussi parce que je fais d'abord des croquis. Et, bien sûr, il est toujours possible que j'aie des rechutes ou des doutes, ou que je jette certains éléments et recommence.

Ainsi, même si votre rêve d'enfant était de devenir pianiste de concert, vous ne développez pas vos idées musicales au piano. En jouez-vous encore de temps en temps ?

Bien sûr, j'adore pratiquer différents répertoires, de Bach à Messiaen et au-delà. C'est une expérience formidable pour moi, et un contraste excellent et fructueux avec le difficile processus de composition. Mais pour moi, la composition est un processus qui se déroule entièrement dans mon esprit.

L'une des caractéristiques de votre écriture est de pousser les possibilités expressives des instruments à leurs limites. Lors des phases d'étude et de répétition de vos œuvres, quelle est l'importance de l'interaction directe avec les musiciens ? Ou bien vos partitions disent-elles déjà tout pour vous ?

Pendant le processus de composition, je travaille rarement avec des interprètes ; je leur fais confiance et ils me font confiance. J'ai beaucoup de respect pour les interprètes brillants : c'est merveilleux, et c'est aussi fascinant d'écouter les différentes interprétations qui peuvent naître d'une même partition. De plus, les interprètes, avec leur art de l'interprétation, parviennent à trouver quelque chose auquel je n'avais pas pensé en phase de composition.

L'interprétation de votre musique est une expérience globale, qui nécessite souvent une implication physique...

Je suis obsédé par la virtuosité et l'énergie performative qui se créent lorsqu'un musicien pousse ses possibilités techniques et expressives à leur paroxysme.

Offrande musicale, par Sigiswald Kuijken, qui souffle aujourd’hui 81 bougies

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Solo. Diego Ortiz (1510-1570) : Recercadas. Thomas Baltzar (c1631-1663) : Prélude en sol majeur. Allemande en ut mineur. Heinrich Ignaz Franz Biber (1644-1704) : Passacaglia [Sonate du Rosaire 16]. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Bourrées, Sarabande, Gigue [Sonate pour violoncelle no 3 BWV 1009]. Allemande [arrgmt Sonate pour violoncelle no 2 BWV 1008]. Allemande, Corrente, Sarabande [Partita pour violon no 2 BWV 1004]. Carl Friedrich Abel (1723-1787) : Sonate en sol majeur AbelWV A3. Sigiswald Kuijken, violon, viole de gambe, violoncello da spalla, clavicorde. Livret en anglais, français, allemand. Juin 2023. TT 58’07’’. Accent ACC 24400

Résultats de la Finale de la Troisième édition du Concours International de direction d’Orchestre d’Opéra à Liège

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Le Concours International de Direction d’Orchestre d’Opéra s’est clôturé ce samedi 15 février 2025.

Lors de cette dernière journée, les trois finalistes se sont illustrés dans un extrait d’opéra choisi par le jury. Johann-Sebastian Guzman a dirigé un extrait de Carmen (Bizet), Matteo Dal Maso a dirigé un extrait de la Cenerentola (Rossini) et Sieva Borzak a dirigé un extrait de Rigoletto (Verdi).

Après cette dernière journée musicale riche en émotions pour les artistes et le public, venu en nombre pour assister au dénouement de cette compétition, le jury s’est retiré pour délibérer.

Avant d’annoncer les résultats, Stefano Pace et Giampaolo Bisanti, ont une nouvelle fois remercié et félicité chaleureusement l’Orchestre, les Chœurs et les solistes pour leur professionnalisme et le talent dont ils ont fait preuve lors de l’ensemble des épreuves du Concours. En outre, ils ont permis au jury de se faire une idée concrète de l'interprétation voulue par les différents candidats. Les équipes techniques ont également été remerciées pour tout le travail fourni mais que l’on ne. voit pas forcément. Pourtant, sans eux, un pareil évènement ne pourrait pas avoir lieu.

Voici le palmarès de la Troisième édition du Concours International de Chefs d’Orchestre d’Opéra :

Le violoncelle de Giovanni Sollima pour le cosmopolitisme de Venise

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Al-Bunduqiyya. The Lost Concerto. Giovanni Sollima (°1962) : Moghul ; Il concerto perduto, d’après Vivaldi ; Cinq Improvisations pour violoncelle seul ; The Family Tree. Antonio Vivaldi (1678-1741) : Concertos pour violon et violoncelle en fa RV 544 « Il Proteo », en la RV 546 « all’inglese », et en si bémol RV 547 ; Dorilla in Tempe RV 709 : Sinfonia ; Concerto pour violon en ré RV 208 « Grosso mogul », extrait. Giuseppe Tartini (1692-1770) Aria del Tasso e gondoliere : « Lieto ti prendo e poi », transciption Sollima. Pages traditionnelles chypriotes et albanaise. Giovanni Sollima, violoncelle ; Federico Guglielmo, violon ; Il Pomo d’Oro. 2022. Notice en anglais. 74’22’’. Erato 5054197917523.

Flagey Piano Days 2025 : András Schiff sublime, Angela Hewitt remarquable

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Chaque année se tiennent au mois de février les Flagey Piano Days, cinq journées passionnantes pour les pianophiles qui se se réjouissent tout autant de retrouver dans le cadre du paquebot des Étangs d’Ixelles aussi bien des grands noms à la réputation établie que de découvrir des talents prometteurs.

Pour cette édition, notre choix s’était porté sur deux pianistes de premier ordre qui, curieusement, ne s’étaient encore jamais produits dans l’acoustique parfaite du Studio 4 de ce qui fut la Maison de la radio. 

Pour ouvrir ces Piano Days, les organisateurs avaient fait appel à András Schiff, un pianiste dont la longue carrière a été l’illustration non seulement de dons musicaux et pianistiques hors du commun, mais aussi d’une volonté d’aborder les oeuvres dans un remarquable mélange de modestie, d’érudition et de volonté d’interroger les textes au plus près sans jamais vouloir briller aux dépens de l’intégrité musicale. (Ceux qui aimeraient en savoir plus sur les conceptions de ce grand artiste pourront liront avec  intérêt le livre La Musique naît du silence publié chez Alma Nuvis en 2018, regroupant des entretiens de Schiff avec le critique Martin Meyer et des textes dûs au pianiste lui-même.) 

Pour ce récital donné devant une salle comble au point que des chaises avaient été rajoutées sur la scène et auquel assistaient également le Roi Philippe et la princesse Eléonore, András Schiff n’avait pas prévu de programme à l’avance et prit chaque fois la parole dans un très bel anglais -on n’est pas Sir András Schiff pour rien- pour annoncer les morceaux interprétés. Le récital s’ouvrit par le Caprice sur le départ de son frère bien-aimé BWV 992 de Bach, compositeur que Schiff a toujours superbement défendu, combinant son impeccable formation pianistique à l’Académie de Budapest avec un apprentissage ultérieur auprès du claveciniste britannique George Malcolm. Dès l’abord, on ne peut qu’admirer la sonorité pleine et riche, l’articulation soignée, le parfait équilibre des voix et la souplesse féline du pianiste. Suit alors la Sonate N° 17 en si bémol majeur K. 570 de Mozart. Dans l’Allegro introductif,  Schiff fait entendre un Mozart sobre et précis, sans joliesse indue. Les traits de virtuosité sont invariablement limpides et d’une irréprochable égalité. Après un Adagio d’une belle et digne simplicité, l'œuvre se conclut sur un Allegretto, abordé avec gaieté mais sans exubérance, montrant à quel point Schiff prend le compositeur au sérieux. 

Ludovic Morlot et l’OBC nous offrent un voyage musical à travers la modernité de Maurice Ravel

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Maurice Ravel (1875-1937) :   Fanfare pour l'éventail de Jeanne, M. 80 ; Menuet antique, M. 7 ; Shéhérazade, M.41 ; Don Quichotte à Dulcinée, M. 84 ; Trois poèmes de Stéphane Mallarmé, M. 64 ; Valses nobles et sentimentales, M. 61. Fleur Barron, mezzo-soprano, Alexandre Duhamel, Baryton, Orquestra Simfònica de Barcelona i Nacional de Catalunya, direction : Ludovic Morlot..2023 et 2024. Livret en : anglais, français, catalan et espagnol. 54'29. L'Auditori LA-OBC-009

Elsa Dreisig à La Monnaie : l’art de la bonne chanson

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Il est des jours où Cupidon ne manque jamais sa cible… En cette veille de Saint-Valentin, il fit aimer la musique même à ceux qui, peut-être, n’en voulaient rien savoir.

Il faut dire que le programme concocté ce 13 février par Elsa Dreisig et Romain Louveau était irrésistible. Fort bien construit, il prenait – qui l’eût cru ? – l’amour comme fil conducteur : Dichterliebe (Les Amours du poètes) de Robert Schumann et La Bonne Chanson de Gabriel Fauré, agrémentés de quelques extraits de Bilitis, poème en douze chants, de Rita Strohl et de deux pièces pour piano du compositeur contemporain Othman Louati.

Outre son charme naturel (qui ne la quitte jamais) et sa voix des grands jours (qui lui fait rarement défaut), la soprano franco-danoise s’était parée pour l’occasion d’une tenue de circonstance : une robe rouge-orangée aux grands cœurs. De quoi faire tomber en pâmoison le public de La Monnaie, que l’on sait pourtant exigeant.  

En première partie, les seize lieder du cycle schumannien défilèrent en l’espace d’un instant qui parut bien trop court. Les vers de Heinrich Heine, on le sait, content les amours déçues du poète avec sa cousine Amalie. Les quatre premiers poèmes relatent la naissance de l’amour, les cinquième et sixième l’éloignement de l’aimée, les trois suivants sa trahison, et les derniers le désespoir du poète. Le compositeur se les approprie pour clamer sa passion à celle qu’il convoite depuis toujours, Clara Wieck. “Je n’ai pas cessé d’être dans la crainte de ne pas arriver à temps auprès de toi”, soupire-t-il ; “une fois, j’ai cru que j’aillais trouver dans les journaux l’annonce de tes fiançailles. J’ai senti alors ma nuque comme tordue vers le sol, au point que j’ai crié tout haut.” Âgé de 30 ans, il peut enfin espérer l’épouser, au terme d’un procès engagé à l’encontre de son futur beau-père et qu’il vient de remporter. 1840 sera l’année la plus productive de sa carrière : outre Dichterliebe op. 48, qui constitue probablement le plus célèbre et le plus accompli des cycles romantiques, citons, parmi d’autres, Myrthen op. 25, les Liederkreise op. 24 et op. 39, et Frauenliebe und- leben (L’Amour et la vie d’une femme) op. 42. 

Voyage enchanté et enchanteur à la Philharmonie du Luxembourg

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Ce jeudi 13 février, le Luxembourg Philharmonic, dirigé par Sir John Eliot Gardiner, nous a proposé un programme envoûtant. Des chaudes nuits arabes aux froides aurores boréales finlandaises, ils nous ont emmenés dans un voyage palpitant et hors du temps. 

Pour débuter ce programme, nous avons pu entendre Le Corsaire, ouverture op.21 H 101B d’Hector Berlioz. Dans la lignée de l’ouverture du Carnaval Romain ou celle du Roi Lear, Le Corsaire est un chef-d’œuvre basé sur une des nombreuses inspirations littéraires du compositeur français. Œuvre bouillonnante d’activité, elle fut l’occasion d’observer l’unité présente dans les cordes de l’orchestre. Les nombreux traits virtuoses tutti furent interprétés avec une précision et une clarté sans faille. Dans le fond de l’orchestre, les cuivres ont également joué leur rôle à merveille, insufflant une puissance et une amplitude majestueuse à l’orchestre entier. C’est un public d’ores et déjà conquis qui a accueilli chaleureusement cette débauche d’énergie à couper le souffle. 

D’un compositeur français à un autre, changement radical d’atmosphère pour la deuxième pièce de la soirée, Shéhérazade de Maurice Ravel. Cette pièce est d’une douceur extrême et en complète opposition avec l’ouverture du concert, ce qui installe une atmosphère tout à fait particulière, le calme plat après la tempête. Pour interpréter cette œuvre, l’orchestre luxembourgeois fut rejoint par la soprane égyptienne Fatma Said. Dans une tenue brillante aux reflets d’or et d’argent, Fatma Said nous a envoûtés dès sa première intervention. Avec une diction très claire et un jeu théâtral très à propos, elle a rendu l’œuvre très lisible. Cette lisibilité fut également apportée par Sir John Eliot Gardiner qui maintint une balance parfaite entre l’orchestre et la chanteuse, mais aussi dans l’orchestre en lui-même. Chaque minuscule intervention perlée des harpes, chaque effet délicat à la percussion, chaque apparition timide d’un bois enchanteur fut parfaitement audible et dans une nuance réfléchie et maîtrisée. 

Pour le grand bonheur du public présent en nombre, la soprane nous a offert en bis l’œuvre Aatini Al Naya Wa Ghanni, en français Donne moi la flûte et chante. Composée par Najib Hankash, l’œuvre fut interprétée dans un arrangement orchestral très épuré, dans la lignée de Shéhérazade. Les passages les plus calmes, dans lesquels Fatma Said n’était plus accompagnée que par la harpe, furent d’une beauté à couper le souffle et des applaudissements nourris du public ponctuèrent ce bis très émouvant. 

En deuxième partie, nous avons pu entendre la Symphonie No. 5 en mi bémol majeur de Jean Sibelius. Fruit d’un long labeur et de plusieurs révisions parfois drastiques, c’est l’une des œuvres les plus abouties du maître finlandais, reconnaissable par ses 6 accords finaux tout aussi stupéfiants qu’énigmatiques. Naviguant avec aisance d’une atmosphère à l’autre, d’un paysage ouvert à un recoin plus reculé du pays, l’orchestre luxembourgeois nous a emmené en voyage à travers la Finlande grandiose et attirante que dépeint Sibelius. Les passages nous ayant procuré des frissons sont innombrables tant les musiciens furent brillamment guidés par Sir John Eliot Gardiner et ce sont de très longs applaudissements fournis qui ont ponctué cette belle soirée de voyage au pays des contes et légendes.

Philharmonie du Luxembourg, 13 février 2025.

Alex Quitin, Reporter de l’IMEP

Crédits photographiques :  Inês Rebelo de Andrade.

Orgue et danse à la Philharmonie de Paris, pour une hybridation réussie ?

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Spectacle Plenum / Anima à la Philharmonie de Paris le 8 février 2025

La Passacaille et fugue pour orgue en do mineur de Bach, interprétée par Olivier Latry et chorégraphiée par Benjamin Millepied. Les Danses polovtsiennes de Borodine, interprétées à l’orgue par Shin-Young Lee et chorégraphiées par Jobel Merdina. Et enfin, Le Sacre du printemps de Stravinsky, interprété par nos deux organistes et chorégraphié par Idio Chichava.

Voilà un programme inédit, bigarré et intriguant. Pour n’en rien rater, Claire l’organiste et Maïa la danseuse ont assisté de concert à cette soirée, dans le décor majestueux de la Philharmonie de Paris. Voici leur compte-rendu, rédigé à quatre mains.

Quand une rédactrice “Danse” et une rédactrice “Musique” décident d’écrire ensemble un compte-rendu de spectacle, force est de constater qu’elles ne prennent pas leurs notes au même moment ni sur les mêmes choses ! Si l’une est focalisée sur ce qui se passe devant, à l’intérieur d’un carré délimité par de grands néons blancs, l’autre a souvent la tête tournée vers la droite, pour observer comment Olivier Latry et/ou Shin-Young Lee domestiquent la large console blanche du grand-orgue Rieger de la Philharmonie de Paris, avec ses 4 claviers, son pédalier et ses 91 jeux. Quand l’une note “ trémolo au pédalier en double octave” l’autre relève “de très beaux fouettés sautés en ligne qui se croisent”. Et elles se demandent si, d’une part, l’orgue va réussir le test de sortir d’un édifice religieux (et d’un répertoire sacré) et si, d’autre part, les chorégraphies proposeront quelque chose de nouveau.

Première équipe à s’avancer sur scène : 8 danseurs de la compagnie LA Dance Project, du chorégraphe Benjamin Millepied, habillés en noir et blanc, dans des matières fluides. À leur droite, vêtu d’un strict costume de ville et chaussé de souliers en cuir, Olivier Latry, qui s’installe à la console de l’orgue de la Philharmonie.