Kaija Saariaho: l’âme en son château n’est plus

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C’est une figure fondamentale de la scène musicale contemporaine qui s’en est allée le 2 juin dernier, emportée par un cancer. 

Depuis l’annonce de son décès, la presse évoque le parcours étoilé de Kaija Saariaho en soulignant à l’envi qu’elle était l’une des compositrices les plus en vue du moment. C’est un brin réducteur, pour peu que l’on entende ainsi la cloisonner dans le cercle musical, encore relativement restreint, de la gente féminine. D’aucuns se plairont sans aucun doute à en faire la deuxième compositrice finlandaise de tous les temps, à la suite d’Ida Moberg (1859-1947), généralement considérée comme la première. D’autres encore jugeront opportun de ne la mesurer qu’à ses compatriotes masculins, tels Magnus Lindberg, Joonas Kokkonen, Einojuhani Rautavaara, Esa-Pekka Salonen, sans oublier Sibelius.

À la vérité, c’est une place au Panthéon des compositeurs des cinquante dernière années, toutes nationalités et tous genres confondus, que mérite cette immense artiste. Ni plus, ni moins. Cette place, Saariaho la doit à la fois à la maîtrise exceptionnelle de son art et au pouvoir qu’ont ses oeuvres de nous émouvoir -même si elle-même se disait, étrangement, incapable d’être émue à leur écoute. De la rencontre qu’elle nous a accordée en 2019 à Bruxelles, en compagnie de son mari, nous gardons le souvenir impérissable d’une personnalité magnétique, au regard pénétrant, d’un calme olympien, d’une culture et d’une noblesse d’esprit qui n’avaient d’égales que l’humilité et la discrétion -sans oublier, bien sûr, le talent, titanesque. 

Née à Helsinki le 14 octobre 1952, Kaija Saariaho se passionne dans son jeune âge pour la gravure, non sans déjà s’essayer au violon. Elle étudie ensuite la composition avec Paavo Heininen à l’Académie Sibelius et à la Musikhochschule avec Klaus Huber et Brian Ferneyhough à Fribourg-en-Brisgau. Moderniste dans l’âme depuis ses débuts, elle fonde, en 1977, le cercle “Korvat auki” (“Ouvrez vos oreilles”) avec Magnus Lindberg, Jouni Kaipainen, Esa-Pekka Salonen et d’autres compositeurs, musiciens et musicologues finlandais, en vue de sensibiliser ses compatriotes aux avant-gardes musicales européennes et de contrer le conservatisme ambiant de la scène musicale finlandaise de l’époque. En 1980, elle suit les cours d’été de Darmstadt. En 1982, elle s’établit à Paris, où elle fréquente régulièrement les ateliers et studios de l’Ircam, ce dont témoigne, deux ans plus tard, sa première œuvre électroacoustique, Jardin Secret I. À l’Ircam, Saariaho rencontre Jean-Baptiste Barrière, chercheur et compositeur. Il deviendra son partenaire dans la vie -affective comme artistique. 

Montreux ovationne Tugan Sokhiev et l’Orchestre du Capitole  

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Le Septembre Musical à la fin mai début juin, tel est le fait surprenant auquel est confronté le public des habitués du Festival de Montreux-Vevey ! Il faut mentionner qu’au terme du Montreux Jazz Festival qui aura lieu en août, l’Auditorium Stravinsky fermera ses portes pour de longs mois de travaux. C’est pourquoi Mischa Damev, directeur du Septembre Musical, a été contraint d’anticiper la série de manifestations.

Pour la 77e édition comportant dix concerts, la France est à l’honneur, ce qui occasionne la venue de deux de ses grandes phalanges symphoniques, l’Orchestre National du Capitole de Toulouse et l’Orchestre Philharmonique de Radio France. La première de ces formations ouvre les feux les 31 mai et 1er juin sous la direction de celui qui a fait sa renommée internationale de 2008 à 2022, Tugan Sokhiev. 

Le premier soir, le programme est intégralement dédié à la musique française et commence par Prélude à l’après-midi d’un faune de Claude Debussy, plongé dans un pianissimo étrange d’où se dégagera la lente mélopée de la flûte à laquelle répondra le hautbois enveloppé par les cordes langoureuses. De cette torpeur naîtra une ascension vers un tutti où s’étalera une sensualité débordante qui finira par retomber, alors que le chef prend soin de détailler chaque note de la péroraison.

Intervient ensuite Renaud Capuçon qui aurait dû interpréter le 3e Concerto en si mineur op.61 de Camille Saint-Saëns mais qui se voit contraint de solliciter un changement de programme. En coulisse court la rumeur que ses trop nombreuses obligations l’ont empêché de se rendre à Toulouse pour répéter… En lieu et place, il propose le Poème op.25 d’Ernest Chausson écrit pour le grand violoniste Eugène Ysaye qui en assura la création à Nancy le 27 décembre 1896 puis à Paris le 4 avril 1897. D’une introduction orchestrale tirant sa gravité de la profondeur des basses, le violon se détache lentement en un pianissimo déchirant qui s’anime de pathétiques élans rendant expressives les doubles cordes. Le discours s’exacerbe, l’aigu devient tranchant en un paroxysme tumultueux masquant avec peine le manque de répétitions. Mais la section finale est dominée par une sonorité radieuse corsée par le trille avant de trouver l’apaisement rédempteur.

D’autres facettes de Stanisław Moniuszko : sa musique sacrée

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Stanisław Moniuszko (1819-1872) : Litanies d’Ostra Brama ; Sub tuum praesidium ; Ecce lignum crucis ; Marche funèbre d’Antoni Orlowski ; Requiem aeternam. Ingrida Gápová, soprano ; Marion Eckstein, alto ; Sebastian Mach, ténor ; Maximilian Argmann, basse ; Goldberg Baroque Ensemble ; Gellert Ensemble, direction Andrzej Szadejko. 2022. Notice en anglais, en français et en allemand. Textes chantés en latin. 62.38. SACD MDG 902 2278-6.

La musique de chambre avec piano d’Artur Malawski : premières gravures mondiales 

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Artur Malawski (1904-1957) : Conte de fée pour violon et piano ; Burlesque pour violon et piano ; Trois Chants d’enfants pour voix et piano ; Sonate sur des thèmes de Feliks Janiewicz ; Trio pour piano, violon et violoncelle, et autres petites pièces. Sylwia Michalik, piano ; Malgorzata Wasiucionek-Potera et Kamila Wasik-Janiak, violon ; Adam Krzeszowiec, violoncelle ; Inga Poskuté, soprano ; Iga Polonska, mezzo-soprano. 2022. Notice en polonais et en anglais. 80.05. Un album de deux CD Dux 1831/32.

À quatre ou en duo, les violons dans l’arène : Imaginarium réveille l’imaginaire de Telemann

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Georg Philipp Telemann (1681-1767) : Concerto con 4 violin en sol majeur TWV 40:201. Zwangiste Lection des Music-Meisters en sol majeur TWV 40:111. Concerto a 4 violini senza basso en ré majeur TWV 40:202. Duetti en sol majeur, la mineur, si mineur TWV 40:124-126. Sonata à IV violini en ut majeur TWV 40:203. Canons mélodieux ou VI Sonates en duo : Sonata I en sol majeur TWV 40:118, Sonata III en ré majeur TWV 40:120. Sonata I en ré majeur TWV 40:103. Imaginarium Ensemble. Enrico Onofri, Alessandro Tampieri, Boris Begelman, Maria Cristina Vasi, violon baroque. Août 2022. Livret en anglais, français, allemand, italien. TT 63’29. Passacaille PAS 1126

Attention, Musiques Fraîches !, à Arsonic

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Année après année, Attention, Musiques Fraîches ! (les anciennes Dernières Nouvelles de Musiques Nouvelles), s’attache à proposer (à Arsonic, puis à Flagey) de nouvelles partitions, souvent jeunes, souvent de chez nous, toujours enclines à titiller notre curiosité -et cette fibre, sensible, réceptive, tressaille quand le compositeur, humain tel que nous, en plus de livrer le produit de son imaginaire sonore aux mains d’un ensemble de musiciens qui se charge de nous le transmettre (c’est là où l’interprétation prend tout son sens), va sur scène, regarde le public, saisit un micro et tente quelques mots, qui expliquent, situent, contextualisent son point de départ, ses recherches, ses errements, ce qui l’a poussé à tenter l’étrange exercice de la création.

La chose est d’autant plus touchante que le programme réunit fille et père : celui-ci, au pas mal assuré, est de retour dans un de ces lieux de musique perdus de vue (et étrangement hors d’atteinte) depuis des années (la santé, les difficultés, la vie quoi…), hésitant, comme si avoir remis la main sur le papier à musique était déjà ahurissant (quand on n’a plus écrit, va-t-on pouvoir réécrire ?), alors que dire quand on est là, quelques secondes avant de faire face à ce qui s’est retrouvé sur la portée, ce qui a coulé entre les lignes, comme malgré soi ? Les Retouches de Jean-Louis Libert sont celles de la vieille dame qui cousait les ourlets du pantalon offert par la marraine de son frère, souvenir d’un temps de slow fashion où l’on maniait aiguille et fil à la maison, parfois à la Singer, souvent à la lumière d’une 40 watts ; sa pièce émeut, mature, pleine de cet entendement stupéfié que l’épreuve apporte, de cette beauté qui ne fraye pas avec le canon, mais fait appel à cette fibre, sensible, réceptive…