Rencontres musicales d’Évian 2024, Féerie entre lac et sommets

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Les Rencontres Musicales d’Évian 2024 anticipent l’éclat de la programmation à venir, étendue sur toute l’année, en concluant la saison avec l’« Apothéose de l’orchestre », c’est à dire, la  Bacchanale de Daphnis et Chloé

Le dernier accord à peine dissipé, le public debout acclame les musiciens des «  Siècles » et son chef, Louis Langrée. « Le plus beau concert de la Saison ! » commentent les festivaliers ravis. Il faut dire que l’ensemble et le chef français sont rompus aux finesses comme aux rutilances de Ravel. Sous les poutres de l’immense datcha, devant la féerie de bouleaux et de cristaux, les Contes de Ma Mère l’Oye (Cinq pièces enfantines suivis de la Seconde suite orchestrale de Daphnis et Chloé touchent à la perfection. « La grandeur dans le simple » s’exclamait Eric Satie à propos des Contes de Ma Mère l’Oye. Ici, le chef et ses musiciens respirent avec la musique de Ravel soulevant ces houles chatoyantes, caressantes où se glissent avec une infinie délicatesse les plus touchantes émotions (métamorphose de la Bête en Prince par exemple).

En première partie, le jeune violoniste suédois d’origine russe, Daniel Lozakovich donnait une réplique magistrale à la même formation dans le 3e concerto de Saint Saëns, et offrait, en bis , la vertigineuse 3e sonate d’Ysaÿe puis la mélodie de Fauré, « Après un rêve », quelque peu alanguie. Hommage discret à l’heureuse programmation de plusieurs concerts Fauré.

La veille, Alexandra Dovgan, le Quatuor Modigliani et Béatrice Rana parcouraient des terres plus rudes, parfois mélancoliques, voire anguleuses. 

Babi-Yar, nouveau jalon des symphonies de Chostakovitch par John Storgårds 

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Dmitri Chostakovitch (1906-1975) : Symphonie n° 13 en si bémol mineur op. 113 ‘Babi Yar’. Arvo Pärt (°1935) : De profundis, pour voix d’hommes et orchestre de chambre. Albert Dohmen, baryton-basse ; Estonian National Male Choir ; BBC Philharmonic, direction John Storgårds. 2023. Notice en allemand, en anglais et en français. Textes des poèmes en traduction anglaise. 69’ 31’’. Chandos CHSA 5335.

Wagner d'envergure par Jerzy Semkow 

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Richard Wagner (1813-1883). Ouvertures de Die Meistersinger von Nürnberg, Rienzi, Lohengrin (Actes I et III), Parsifal (Karfreitagszauber, Die Walküre - Acte III - Ritt der Walkären. St Louis Symphony Orchestra, direction : Jerzy Semkow. 1977. Livret en anglais. 52’15’’. VOX-NX-3044CD. 

La grande traversée : William Kentridge à La Luma d’Arles pour le Festival d’Aix-en-Provence

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Le Festival d’Aix-en-Provence est un festival d’opéra. « The Great Yes, The Great No » est qualifié d’« opéra de chambre ». 

En fait, il s’agit d’une œuvre composite typique de son concepteur, le génial touche-à-tout William Kentridge. Oui, il y a de la musique en direct et des chants, mais il y a tout le reste aussi, qui n’est pas simple appareil scénographique subordonné, mais ensemble d’éléments significatifs essentiels.

De quoi s’agit-il ? D’un fait réel : en mars 1941, pendant la seconde guerre mondiale donc, un cargo quitte Marseille pour la Martinique. A son bord notamment, s’exilant, le surréaliste André Breton, l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, l’artiste cubain Wifredo Lam, le romancier communiste Victor Serge et l’autrice Anna Seghers.

Mais Kentridge a décidé d’inviter d’autres passagers à cette traversée pour fuir l’enfer. On reconnaîtra donc Suzanne et Aimé Césaire (dont on entendra pas mal de pages de son « Cahier d’un retour au pays natal »), les sœurs Nardal (fondatrices du mouvement anticolonialiste de la négritude), Léopold Sédar Senghor, Frantz Fanon, Joséphine Baker et Joséphine Bonaparte, Trotsky, et même Staline dans une brève apparition.

Voilà qui nous vaut de belles et intenses prises de parole. Propos politiques, artistiques, sociétaux, décoloniaux, philosophiques, poétiques se succèdent, juxtaposant, combinant les atmosphères, les évocations, les thématiques.

Récital de Manuela Gouveia au Festival de piano Do Oeste  

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 La petite ville médiévale de Óbidos, au Portugal, qui conserve intacts toute son enceinte et une partie considérable de son château, accueille, en plus de ses joyeux touristes, plusieurs activités culturelles dont la plus saillante est la Semaine Internationale de Piano (SIPO), active depuis 1996. De très nombreux pianistes y ont participé selon une formule de « master class », chère à Alfred Brendel, où les étudiants exposent leurs interprétations successivement à différents artistes consacrés, un luxe inouï que prétend éviter le dogmatisme qu’un cours magistral pourrait entraîner et permet aux jeunes interprètes de réfléchir aux divers critères pouvant servir honnêtement une même composition musicale. Parmi les noms illustres qui ont foulé ces cours, on peut citer ceux de Paul Badura-Skoda, (un habitué jusqu’à ses derniers jours…) Dmitri Bashirov, Helena Costa, Jörg Demus, Vitaly Margulis, Luíz de Moura Castro, Mikhaïl Pethukov, Pierre Réach, Boris Bloch, Boris Berman, Josep Colom, Artur Pizarro, Eugen Indjic. Autant dire la crème des pianistes des  XXe et XXIe siècles. Les cours sont ponctués par les performances des professeurs et hier nous avons pu assister à celle de sa directrice artistique et âme tutélaire de cette indispensable initiative, Manuela Gouveia. 

Où s’arrête le progrès ?

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La récente incursion des tablettes tactiles dans le monde de la musique a été saluée comme une curiosité par certains, un progrès par d’autres. Au-delà des questions qu’il est légitime de se poser, notamment comment remplacer le bon vieux crayon (le stylet ?), comment préserver à l’orchestre pupitre par pupitre ses annotations personnelles (doigtés, pense-bêtes…), les avantages sautent aux yeux : finis les coups d’archets ou les corrections à recopier sur toutes les parties identiques, finies les tournes mal placées grâce à une pédale qui vous fait passer d’une page à l’autre, finis aussi les gribouillages que les bibliothécaires s’appliquaient à effacer. Et là je rejoins Du Bellay au rayon des Regrets : des générations de musiciens d’orchestre ont tagué leurs parties, au point de laisser des énigmes à leurs successeurs, comme certains palmiers sur les parties de trompettes de la suite de valses du Chevalier à la rose (cherchez ; pas facile à trouver ; bon, je vous aide : fredonnez « Tahiti » sur le thème principal…). Moins énigmatique le paquet de Camel collé sur une partie de violoncelle des Steppes de l’Asie Centrale. Logique, comment voyageait-t-on en Asie Centrale du temps de Borodine ? Certainement pas en TGV. On murmure même dans les milieux bien informés que pour utiliser ce matériel, il faudrait désormais ajouter la mention « Nuit gravement à la santé ». Jouer Borodine pourrait être assimilé à du tabagisme passif ?

Mais revenons à nos moutons. Le progrès en musique, certains considèrent qu’il date de l’IRCAM avec l’incursion de l’ordinateur dans la création. D’autres remontent aux ondes martenot. Certaines caricatures du XIXe siècle montrent Adolphe Sax avec ses terribles découvertes. En ce qui me concerne, je l’ai vraiment perçu lorsque les chefs d’orchestre ont pu disposer de baguettes en fibre de verre. Comme les sauteurs à la perche, nous avons troqué le bois, trop fragile, contre ce matériau révolutionnaire. Entre sa découverte, dans les années trente, et son exploitation en musique, il aura fallu attendre quarante ans. Quel changement ! Finies les baguettes cassées. Si ces petites tiges blanches de liège coiffées pouvaient parler, que de notes justes et moins justes remonteraient à la surface, que de moments d’émotion, que de tensions, que de plaisirs partagés.

Un peu plus tôt avait surgi le métronome de poche : cette sorte de montre à gousset avait chassé la pyramide « tic-tac » de Maelzel qui trônait sur le piano dans toutes les bonnes familles, et qui se déréglait régulièrement (mais on constate aujourd’hui un retour en force aujourd’hui, relooké et modernisé). Peut-être le métronome aurait-il même totalement disparu sans Ligeti qui a assuré sa postérité avec son Poème symphonique pour 100 métronomes ; ou sans les querelles de musicologues qui se disputent la vérité autour de celui de Beethoven (détraqué ou non ?). Depuis, l’électronique a pris le relais, et même internet puisqu’il est facile de trouver son tempo en ligne. 

Cédric Tiberghien et les Variations de Beethoven, en interface avec le baroque et le modernisme américain 

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Variation[s], volume 2. Ludwig van Beethoven (1770-1827) : 32 Variations en do mineur WoO 80 ; 24 Variations sur ‘Venni amore’ de Righini en ré majeur WoO 65 ; 5 Variations sur ‘Rule, Britannia !’ de Arne en ré majeur WoO79 ; 6 Variations WoO 77 en sol majeur ; 9 Variations sur une marche de Dressler en do mineur WoO 63 ; 14 Variations sur le ‘Menuet à la Viganò’ d’après un ballet de Haibel en do majeur WoO68 ; 7 Variations sur ‘God Save the King’ en do majeur WoO 78. Jan Pieterszoon Sweelinck (1562-1621) : 6 Variations sur ‘Mein junges Leben hat ein End’ en la mineur SwWW 324. Jean-Sébastien Bach (1685-1750) : Aria varia alla maniera italiana en la mineur BWV 989 ; Chaconne de la Partita pour violon n° 2 BWV 1004, transcription pour la main gauche de Brahms. Morton Feldman (1926-1987) : Last Pieces. John Cage (1912-1992) : 7 Haiku ; In a Landscape. George Crumb (1929-2022) : Processional. Cédric Tiberghien, piano. 2023. Notice en français, en anglais et en allemand. 154 minutes. Un album de 2 CD Harmonia Mundi HMM 902435.36.

Baroque méridional : un récital haut en couleurs par le Oman Consort

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La Suave Melodia. Œuvres de Salomone Rossi (c1570-c1630), Maurizio Cazzati (c1620-1677), Paolo Quagliati (c1555-1628), Marco Uccellini (1603-1680), Bernardo Storace (c1637-c1707), Diego Ortiz (c1510-c1570), Andrea Falconieri (1586-1656), Antonio Vivaldi (1678-1741), Giovanni Girolamo Kapsberger (c1580-1651) & anonymes. Michael Oman, flûte à bec. Austrian Baroque Company. Thomas Boysen, théorbe, guitare baroque. Charly Fischer, percussion. Johannes Hämmerle, clavecin, orgue. Daniel Oman, colachon, guitare baroque. Martina Oman, orgue. Christoph Urbanetz, viole. Livret en allemand et anglais. Juillet 2003. TT 59’41. Fra Bernardo FB 2401574

Ryan Wang en récital

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Situé entre Nice et Antibes, Cagnes sur Mer est célèbre pour son Hippodrome qui  se transforme depuis trois ans en un lieu accueillant un festival de musique classique "Les Nocturnes de piano". Le lieu peut sembler insolite, mais l'acoustique est remarquable. La programmation exigeante réunissant des pianistes éminents a séduit le public qui assiste en grand nombre aux sept récitals, sur une période de dix jours. Nous assistons au récital de Ryan Wang, qui a remporté le Concours International de piano Samson François il y a deux ans et qui est aussi  vainqueur  du Concours International Jeune Chopin de Lugano en 2023.

Doté de moyens pianistiques superlatifs, ce jeune pianiste de 16 ans est aussi un authentique musicien.Ryan propose en première partie du récital les Préludes n°13 à n°24 de Chopin. Il a une palette de couleurs infinies tout en étant sensible à l’art du rubato. Il apporte à la musique de Chopin son compositeur de prédilection, cette élévation qui touche au-delà des notes. L’artiste  s’y fait poète ; il dépeint chaque prélude avec sensibilité et touche le cœur et l'âme de chacun.  Il a étudié ces Préludes avec le grand Marian Rybicki, à partir du manuscrit tout en les jouant sur des pianos de l'époque de Chopin, afin de mesurer la difficulté que les interprètes ressentirent pour exprimer toute la richesse et la complexité de cette musique. Ryan Wang est un poète ; il dépeint chaque prélude avec sensibilité et touche le cœur et l'âme de chacun.Après l'entracte il s'attaque à la Sonate n°2 en si bémol mineur de Chopin. C'est une performance incroyable. Son interprétation est captivante, pleine de passion, de feu, de limpidité, de nuances. Il fait ressortir toutes les mélodies intérieures avec une technique hors du commun.