Concours Reine Elisabeth, mardi après-midi

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Mardi 1er mai 14 heures, le Concours Reine Elisabeth session Chant "nouvelle mouture" a pris son envol en présence de la Reine Mathilde et du Prince Emmanuel accueillis par Jan Huyghebaert et Yvan de Launoit.

"Nouvelle mouture", puisque l'âge limite des concurrents est passé à 32 ans et que la première épreuve ne comporte plus que deux pièces au choix du candidat (airs d'opéra, d'oratorio, Lieder ou mélodies) de langues et d'époques différentes interprétées avec accompagnement de piano. Dans la nouvelle organisation, la première épreuve est concentrée sur deux jours (aujourd'hui et demain). Il en va de même pour les demi-finales (les 4 et 5 mai) et les finales au Palais des Beaux-Arts se dérouleront en trois soirées (les 10, 11 et 12 mai). Sans doute cet allègement de la durée du concours est-il pour partie au moins à l'origine du nombres d'inscriptions puisque le jury de présélection s'est penché  cette année sur 312 dossiers (214 en 2014) dont 64 ont été retenus. Finalement, 55 chanteurs sont venus à Bruxelles et ont participé dimanche soir au tirage au sort déterminant leur ordre de passage.
Les premiers d'entre eux ouvraient le feu cet après-midi.
La mezzo-soprano allemande Annika Schlicht (29 ans) ouvrait la séance avec Richard Strauss, un peu impacté par le trac, puis Tchaikovski où, plus détendue, elle s'investissait davantage et développait une voix puissante. Plus Zerline que Comtesse, la soprano chinoise Yulan Piao (30 ans) surprend d'emblée par la puissance vocale qu'elle développe. Sa voix rayonnante propose Mozart avec beaucoup de vibrato et quelques problèmes de justesse, suivi d'un Charpentier convaincant et d'une remarquable diction. Contrairement à ce que laisse penser son nom, la contralto russe -la seule contralto de cette session- Ekaterina Romanova (29 ans) a fait toutes ses études au Koninklijk Conservatorium Brussel avec Lena Looten. Au programme : Rossini et Wagner. La voix est large, parfaitement maîtrisée dans tous les registres ; d'une diction parfaite et très expressive, elle impose l'écoute. La mezzo allemande Vero Miller (24 ans) proposait un Schumann rare (Belsazar op. 57) après un air de Dorabella. La tessiture est large et bien gérée mais on aurait aimé davantage de poésie. Vint ensuite la basse française Bertrand Duby (32 ans) dans un programme qu'il défend remarquablement : un air de Sarastro et l'Air de la calomnie. Des quatre années de travail avec José Van Dam, il a retenu le charisme naturel, le sens de la scène, l'intériorité du rôle, l'attachante présence. Et le public ne le lui cache pas ! Lui succéder n'est pas simple mais le baryton canadien Iain MacNeil (27 ans) relève le défi avec brio : il est à l'aise et joue bien son Rivolgete a lui lo sguardo K. 584 de Mozart ; la voix est convaincante, le public est séduit avant même qu'il aborde Britten, contraste surprenant, en toute intériorité. Troisième homme de l'après-midi, la basse chinoise Ao Li (30 ans) propose d'abord un air de Pizzaro (Fidelio) d'un cynisme redoutable puis, de l'ivresse au désespoir, il se donne à fond dans Ralph de La jolie fille de Perth. La scène est sa patrie, il a fait siens la langue et les codes occidentaux. Puis la soprano polonaise Justyna Wieruszewska-Biniek (29 ans) fait une entrée en scène "à l'ancienne" et propose un Mozart vocalement propre mais dur avant d'offrir un Moniuszko maniéré, au premier degré. En fin de première partie, le baryton argentin German Enrique Alcantara (30 ans) nous vient tout droit de l'Escuola Superior de Musica Reine Sofia de Madrid avec Puccini et Korngold. Il a de l'abattage, une voix claire et souple, beaucoup de conviction, mais il ne bouleverse pas.

Après la pause, nous écoutons le premier des trois contre-ténors de cette session. Le Coréen Taekyu Kim (25 ans) propose un air de Jules César de Haendel et un extrait du Winterreise de Schubert. La puissance n'est pas son premier souci et le piano tend parfois à le couvrir, mais quelle délicatesse, quelle belle sensibilité, quelle belle intériorité servies par un voix limpide et lumineuse. Un vitrail de cathédrale. Vient alors la soprano coréenne Sooyeon Lee (29 ans), souriante et décidée. Elle propose d'abord un air de Nanette (Falstaff) qu'elle offre avec une grande souplesse vocale et de magnifiques aigus puis, dans le style "j'ai plus d'un tour dans mon sac", elle se lance dans une Fille du Régiment tour à tour friponne et franchement canaille. Sooyeon Lee s'amuse... le public aussi. Le baryton ukrainien Danylo Matviienko (27 ans) la suit avec un air de Billy Budd de Britten et un air des Troyens de Berlioz. Très attentif à l'accompagnement de qualité dont il bénéficie, il offre une prestation tout en pudeur, presque ascétique, d'une voix sûre qui distingue difficilement les deux compositeurs. La lumière vient alors d'Espagne avec la soprano Rocio Perez (27 ans). Une sacrée nature, plus passionaria que soubrette, que l'on retrouve dans Haendel et Mozart. Le timbre est clair, la présence indiscutable, même si les aigus sont parfois incertains. Elle bouleverse quand elle dit la déchirure et l'on se prend à évoquer Natalie Dessay avec qui elle a d'ailleurs travaillé. Troisième Coréenne de l'après-midi, Irina Jae-Eun Park (30 ans) est assez déroutante. Dans l'air de Mimi et un autre de Menotti, elle propose un discours éthéré et sensible basculant sans raison dans des vibratos importuns. La voix peut aussi être puissante et solide mais stylistiquement uniforme. La soprano Martha Eason (28 ans) est la première Américaine de la session. Etait-ce un mauvais jour ? Le timbre est dur, la voix ne donne pas l'impression d'être contrôlée, la respiration n'est pas maîtrisée, le style est indécis dans Mozart. Arrive alors la soprano américaine Shoushik Barsoumian (31 ans). Un cas ! Flamboyante, comique, tragique, coquine, séductrice, Shoushik Barsoumian est cela tout à la fois et cette expressivité lui est naturelle tant elle trouve sa source au plus profond de l'être. Pour servir ces qualités, une extraordinaire souplesse vocale et une impeccable justesse dans tous les registres, conférant à chaque moment son intime substance. Elle chantait Britten et Donizetti. La soprano coréenne Hyejin Lee (24 ans) clôturait la séance de ce mardi après-midi. Très souriante, tout à la fois sérieuse et réservée, elle propose Apparition de Debussy et un air de Linda di Chamounix de Donizetti. Avec ses grandes qualités vocales, Hyejin Lee garde toujours "les pieds sur terre" : même dans les moments les plus diaphanes, elle garde le sens de l'armature ; tout est solide, bien construit et d'une souriante amabilité.
Bernadette Beyne et Michelle Debra
Flagey, le 1er mai 2018

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