Rattle au chevet d’une 4° de Bruckner en kit, tout récemment éditée par B.-G. Cohrs

par

Anton Bruckner (1824-1896), Symphonie no 4 en mi bémol majeur : version 1878-81 (édition Cohrs A04B) avec Finale en forme complète et abrégée ; Scherzo (version 1874/1876, édition Cohrs A04B-1) ; Finale « Volkfest » (version 1878, édition Cohrs A04B-2) ; Andante quasi allegretto (1878, version initiale étendue). Sir Simon Rattle, Orchestre Symphonique de Londres.  2021. Livret en anglais, français, allemand. TT 61’30 + 65’03.  LSO0875

On sait que ce compositeur enclin au doute révisa ses partitions, de façon plus ou moins claire et personnelle, quand il n’était pas aidé, infléchi par d’autres. Ces moutures successives, publiées ou non, peuvent constituer un dédale pour le mélomane, du moins susciter une inépuisable industrie pour la musicologie qui depuis un siècle interroge les textes, comme un oracle, en quête d’une vaine vérité. Parmi les dernières contributions à la science pour la Symphonie no 4, on note le regard critique de Benjamin Korstvedt, président de la Société américaine Anton Bruckner, ce qui s’est concrétisé par un coffret de Jakub Hrusa chez Accentus : quatre disques regroupant, outre des inédits et variantes, chacun des trois états successifs (1874, 1878-81, 1888), que résumait l'article de Jean Lacroix. Empruntant également cette toute récente édition de Korstvedt, Markus Poschner chez Capriccio se focalisait sur la strate intermédiaire, la plus abondamment diffusée depuis les éditions de Robert Haas (1936) et Leopold Nowak (1953) qui étayèrent les plus illustres étapes de la discographie, incluant l’enregistrement berlinois de Simon Rattle (Emi, octobre 2006). Pour être précis, mentionnons que cet état médian présenté à la Philharmonie de Vienne le 20 février 1881 s’avère similaire au projet antérieur de décembre 1878, sauf pour le Finale, nouvellement écrit, et qui succéda à celui baptisé « Allegro moderato, Volksfest ». 

Le présent double-album révèle en prémices mondiales le fruit des recherches d’un autre spécialiste de Bruckner, féru d’œuvres inachevées (Schubert, Requiem de Mozart…) : Benjamin-Gunnar Cohrs, docteur de l'Université de Hambourg, dont Rattle avait déjà suivi l'Urtext pour la Symphonie no 6 chez le même label maison. Ses propos dans la notice relatent l’ambition de cette édition intégrative et critique : « rendre possible l’exécution de toutes les différentes phases de travail des mouvements de la symphonie entre 1878 et 1881 », en se référant à la mise au net du copiste Giovanni Noll revue par Bruckner. Le premier disque rassemble une lecture intégrale de cet opus tel qu’on a l’habitude de l’entendre, avec Finale abrégé toutefois. Le second disque complète l’inventaire par quatre mouvements alternatifs : le même Finale non abrégé, le précédent Finale « Volkfest » de 1878, le Scherzo primitif de 1874 (révision 1876, sur lequel s’était déjà penché Leopold Nowak en 1975), et Andante quasi Allegretto de 1878, plus long que son repentir de 1881 (on aurait aimé que la notice en dise davantage à ce sujet). Ne figurent ni l’Allegro moderato conclusif dans sa rédaction originale de 616 mesures (celui qui se distinguait par une certaine complexité rythmique, avec passages à 5/4), ni l’Allegro initial de la même ébauche de 1874.

Guère secourue par une captation plate et exsangue, le témoignage de Sir Simon pour Emi ne nous avait pas laissé bonne impression à sa parution : une vision lisse, émoussée et aseptisée. Le présent avatar londonien réitère la même fluidité, dans un geste encore plus serré qui obtient des cordes anglaises de vibrants trémolos (ingrédient fondamental du lexique brucknérien), qui fait progresser le discours avec toute la finesse requise. Une interprétation cursive, constamment en éveil mais comme malaxée du bout des doigts, dans une sorte d’ébahissement permanent. Et pourtant l’Andante, sans manquer de la magie attendue, nous prive des postures douloureuses qui devraient aussi s’y instiller -qu’on réécoute les vétérans jalons d’Oswald Kabasta, Hermann Abendroth ou Wilhelm Furtwängler pour avoir idée de ce tribut à une pérégrination pas si inoffensive qu’elle n’en a l’air. Le relief du cynégétique Scherzo semble un peu mouché (cuivres pas très saillants) : on n’est pas à Chicago sous la férule de Georg Solti ou même Daniel Barenboim (DG). Le dantesque tableau final nous associe-t-il à tout son potentiel de turbulence ? Mais le brio visionnaire y est. Demeure une approche chaleureuse, lumineuse, svelte voire arachnéenne. Une transfiguration par les chemins du souple et diaphane.

L’on retrouve les mêmes recettes esthétiques dans le second disque, qui par ses voies de traverse accroît l’attrait de ce programme. Lequel en sa proposition principale, et malgré l’exégèse, ne suffit pas à bouleverser l’héritage des grandes baguettes qui s’y sont honorées : liste non limitative que la dramatisation de Karl Böhm (Decca), les architectes Eugen Jochum (DG, Emi) et Günter Wand (RCA, Berlin), le solaire Bruno Walter (CBS), le syncrétique Claudio Abbado, sans oublier Heinz Rögner (Eterna), trapu et abrasif, l'antithèse des coulantes épures que nous entendons ici.

Son : 8,5 – Livret : 9 – Répertoire : 10 – Interprétation : 9

Christophe Steyne

Chronique réalisée sur base de l'édition SACD.

 

 

 

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