Han Chen, à propos des Études de Ligeti 

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Le jeune pianiste Han Chen, bardé de prix internationaux, fait l’évènement avec un nouvel enregistrement des Études de Ligeti à l'occasion des célébrations du Centenaire de la naissance du compositeur. Cet enregistrement enrichit la discographie et nous a donné envie d’en parler directement avec ce formidable musicien. 

Quelle est pour vous la place de Ligeti dans l'histoire de la musique pour piano ? 

Ligeti était un compositeur très polyvalent. Ses œuvres monumentales, telles que les Atmosphères et Le Grand Macabre, sont toutes empreintes d'innovation, de sophistication, de rébellion et d'humour. Les trois séries d'Études pour piano, un autre de ses chefs-d'œuvre, héritent de tous ces traits et indiquent une nouvelle direction pour la musique pour piano. Ces pièces sont à la fois novatrices et inscrites dans une perspective de son évolution artistique, Ligeti ayant déjà fait preuve d'une maîtrise magistrale de l'instrument dans ses premières œuvres. La place de Ligeti dans l'histoire de la musique est indéniable et, pour moi personnellement, elle l'est encore plus dans l'histoire de la musique pour piano. 

Qu'est-ce qui vous touche personnellement dans la musique de Ligeti ? 

Les Études pour piano de Ligeti sont à la fois complexes et simples. Elles sont complexes en raison de la structure de leur conception, mais elles sont également simples parce que la conception parle d'elle-même. Il y a un équilibre entre l'austérité mathématique et la sincérité émotionnelle. Cette dualité me fascine et l'immédiateté me touche. Par exemple, dans l'Étude n° 6, "Automne à Varsovie", la pièce entière est une série de soupirs qui construisent une complainte collective. Les soupirs semblent libres et cathartiques, mais ils sont juxtaposés au mouvement perpétuel des doubles croches en arrière-plan, ce qui complique la conception rythmique. En tant qu'interprète, je dois rester à la fois lucide et passionné afin de transmettre la musique avec précision et émotion. L'état d'esprit dans lequel j'interprète les Études de Ligeti est comparable à celui d'une fugue de Bach.

Qu'est-ce qui vous a poussé à enregistrer les Études de Ligeti ? 

Pendant mon adolescence, j'ai toujours essayé d'être différent. Cela vaut également pour la musique que je joue. Je me souviens avoir rencontré la musique de Ligeti pour la première fois dans un magasin de musique à Hong Kong en 2007. Il s'agissait de Parsons Music, l'un des plus grands magasins de musique de la ville. J'y ai fait mes achats, pensant que c'était l'occasion de trouver de la musique que je ne trouvais pas chez moi. J'ai pris au hasard le Livre 3 des Études pour piano de Ligeti, dont je n'avais jamais entendu parler lorsque j'étais collégien, et j'ai aimé le fait qu'il n'y ait pas de vraies barres de mesure dans la musique. J'ai donc acheté la partition, appris l'étude n° 15 "White on White" comme première étude de Ligeti, et j'étais heureux d'avoir joué quelque chose de différent de tous mes camarades de classe lors de l'examen technique. Cette étude, d'abord méditative, se transforme rapidement en une danse animée sur les touches blanches, qui laisse toujours le public ravi et impressionné.

Depuis lors, les Études de Ligeti ont été à la fois un jalon dans la musique pour piano et un défi personnel pour moi. J'en ai appris quelques unes et me suis familiarisé avec les autres grâce à des enregistrements. Pendant le lockdown de 2020, j'étais chez moi en train d'examiner mes partitions tout en communiquant avec Naxos au sujet de projets futurs. Mon adolescence a repris le dessus et j'ai proposé d'enregistrer les Études de Ligeti, ce que Naxos a accepté. Je me souviens de la joie que j'ai ressentie lorsque j'ai reçu l'e-mail confirmant ce projet, tout comme lorsque j'ai trouvé la partition sur l'étagère du magasin de musique.

Pour ces Études, il existe des interprétations historiques par des pianistes qui ont pu travailler avec le compositeur, comme Pierre-Laurent Aimard, avez-vous écouté ces interprétations ? 

Il est toujours fascinant de regarder les conférences d'Aimard sur les Études. Il les joue si bien et les comprend à un niveau si profond. Il y a tellement d'interprétations époustouflantes des Études, et je suis honoré de pouvoir présenter mon interprétation parmi elles.

Votre album comprend également les deux Capriccios, composés par le jeune Ligeti. Qu'est-ce qui vous a poussé à les proposer en complément des Études ? 

Ces deux Capriccios capturent le génie brut de l'écriture pianistique de Ligeti. Ils prédisent en quelque sorte l'utilisation par Ligeti de rythmes complexes et de textures entrelacées. Ils sont légers, amusants et uniques en leur genre. J'ai pensé qu'elles offriraient un contraste intéressant.

Y a-t-il des défis techniques particuliers en termes de style ou de technique ?

Chaque Étude présente son propre défi, tout comme celles de Chopin et de Liszt. Cependant, je suis complètement époustouflé par la sonorité à faire froid dans le dos que crée l'Étude n° 9 "Vertige". Chaque fois que je joue ce morceau, je me sens envoûté, ému et hypnotisé. L'Étude n° 12 "Entrelacs" a un effet similaire sur moi, mais je la décrirai plutôt comme une chaude brume au bord de la mer qui me rend sur le point d'être submergé.

Vous avez enregistré des albums qui vont au-delà du répertoire ordinaire : Liszt (transcriptions d'opéra), Anton Rubinstein, Thomas Adès et maintenant Ligeti. Qu'est-ce qui motive votre choix de répertoire ? 

Enregistrer de la musique est une entreprise publique qui révèle une vulnérabilité personnelle. Tous les albums que j'ai enregistrés sont devenus vraiment intimes pour moi, donc choisir le répertoire, c'est comme choisir le futur partenaire : je dois lui faire confiance, m'identifier à lui et, surtout, l'aimer. 

Les Études de Ligeti sont des partitions essentielles de la seconde moitié du 20e siècle. Envisagez-vous de jouer ou d'enregistrer d'autres "monuments" du piano tels que les sonates de Boulez ou les cycles pour piano de Messiaen ?

J'adore ces "monuments" du piano du XXe siècle, et ils sont définitivement sur ma liste. Nous verrons bien où la vie me mènera ensuite !

Le site de Han Chen : https://www.hanchenpiano.com/

A écouter :

György Ligeti (1923-2006) : Etudes livres 1 à 3 ; Capriccio n°1 - Allegretto capriccioso et Capriccio n°2 - Allegro robusto. Han Chen, piano. 2022. Livret en anglais. 62’27’’. Naxos. 8 574307. 

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot 

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