Éblouissant florilège de grands chefs d’orchestre chez Decca

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Galerie de chefs d’orchestre DECCA. Ernest Ansermet (1883-1969), Eduard van Beinum (1900-1959), Anthony Bernard (1891-1963), Leo Blech (1871-1958), Sergiu Celibidache (1912-1996), Albert Coates (1882-1953), Piero Coppola (1888-1971), Roger Désormière (1898-1963), Georges Enesco (1881-1955), Grzegorz Fitelberg (1879-1953), Wilhelm Furtwängler (1886-1954), Hamilton Harty (1879-1941), Paul van Kempen (1893-1955), Erich Kleiber (1890-1956), Hans Knappertsbusch (1888-1965), Clemens Krauss (1893-1954), Jean Martinon (1910-1976), Willem Mengelberg (1871-1951), Victor de Sabata (1892-1967), Malcolm Sargent (1895-1967), William Walton (1902-1983), Henry Wood (1869-1944), Carlo Zecchi (1903-1984). Édition 2023. Livret en anglais. 1 coffret 21 CD Decca « Eloquence » 4842117.

Par quel miracle ces génies de la restauration sonore que sont Ward Marston et Mark Obert-Thorn sont-ils parvenus à faire sonner ces vénérables 78 tours Decca de la première heure comme d’excellents enregistrements mono sur bande des années 50 ? Nous rendons-nous compte vraiment de la chance que nous avons d’apprécier ces gravures comme jamais mélomanes de leur époque n’ont pu les entendre ?

Bien sûr, lors de son enregistrement du 29 mai 1929 (Sea Drift de Frederick Delius par Anthony Bernard), Decca était toujours dans la prime enfance de son épopée discographique initiée le 11 février aux Chenil Galleries de Chelsea, et Mark Obert-Thorn a fait le maximum pour le rendre audible ; bien sûr, les transferts par Andrew Hallifax des pages de Haendel dirigées par Malcolm Sargent en 1946 et 1948 (CDs 14 et 15) sont regrettablement entachés d’un pleurage qui, pour léger qu’il soit, est audible et heurtera les oreilles les plus sensibles ; mais, pour le reste, que de merveilles sonores !

Car dès la deuxième œuvre de ce coffret (Portsmouth Point, ouverture de William Walton gravée le 11 octobre 1929 également sous la baguette compétente d’Anthony Bernard), le résultat sonore est déjà remarquable, alors que la fameuse technique FFRR (Full Frequency Range Recording) de Decca ne sera appliquée qu’à partir de 1944. Très vite, le label anglais va s’attirer les grandes pointures de la baguette (parfois au détriment des principaux concurrents anglais HMV et Columbia) dont ce coffret présente une sélection exhaustive de la première heure.

Il est remarquable de constater que plus de la moitié des chefs d’orchestre ici présents écrivaient de la musique, dont plusieurs se considéraient d’ailleurs comme compositeurs-chefs d’orchestre, à une époque où ce n’était pas l’exception mais la règle. À cet égard, Georges Enesco, Grzegorz Fitelberg et Hamilton Harty pouvaient considérer Richard Strauss comme un collègue. Toutefois William Walton ne dirigeait que sa propre musique, tandis qu’à l’opposé, Ernest Ansermet, Leo Blech, Sergiu Celibidache, Wilhelm Furtwängler, Jean Martinon et Victor de Sabata ont vu leur activité de chef d’orchestre l’emporter sur celle de composition.

Caractéristiques d’une époque, Grzegorz Fitelberg, Hamilton Harty, Willem Mengelberg, Malcolm Sargent et Henry Wood furent des arrangeurs convaincus d’œuvres de compositeurs baroques alors rarement ou pas jouées en concert, les révélant au public en les mettant prétendument au goût du jour sous forme de suites orchestrales aux sonorités somptueuses, avec plus ou moins de bonheur…

Vingt-trois chefs d’orchestre et une centaine d’œuvres sans aucun doublon, que voilà un tour de force ! De cette corne d’abondance de merveilles gravées, l’une est particulière, célèbre et n’a jamais quitté le catalogue Decca : la Symphonie n° 2 en ré majeur op. 73 de Brahms en mars 1948 par les Wiener Philharmoniker sous la baguette toujours inspirée de Furtwängler. Selon Mark Obert-Thorn, toutes les rééditions de cet enregistrement sont issues du premier transfert sur bande, problématique, des 78 tours originaux ; ce coffret en présente un tout nouveau report absolument convaincant tant au niveau artistique que technique.

Il convient également de surtout retenir certaines gravures capitales, autant de premières mondiales de l’histoire discographique : la Symphonie n° 2 « London » de Vaughan Williams dans sa troisième et définitive version (1933/36), superbement interprétée par Henry Wood (avril 1936), créateur des célèbres Proms ; la Symphonie n° 1 en si bémol mineur (1935) de William Walton, ici portée à incandescence par un Hamilton Harty particulièrement inspiré (décembre 1935), aux côtés du Concerto pour alto (1928) et d’extraits de Façade (1922) de Walton, cette fois dirigés par le compositeur (respectivement décembre 1937 et juillet-novembre 1929).

Parmi de nombreuses autres merveilles, on notera également une très poétique Symphonie n° 3 en ré majeur « Polonaise » op. 29 de Tchaïkovski, gravée en avril 1946 par une ancienne gloire polonaise, Grzegorz Fitelberg, qui a tant fait pour défendre non seulement la musique de son pays, mais également la musique russe ; on est ainsi étonné que cette symphonie, un temps délaissée au profit de ses autres consœurs, ait connu à l’époque du 78 tours pas moins de trois autres versions : celles d’Albert Coates en février 1932 (chef que l’on retrouve d’ailleurs ici dans une bouillonnante Pathétique d’avril-juillet 1945) ; celle d’Hans Kindler en novembre 1940, et celle bien connue de Sir Thomas Beecham en avril 1947.

Notons enfin que parties de ce coffret avaient déjà fait l’objet de publications antérieures chez Eloquence Australie, tels que les 78 tours de l’album Roger Désormière Complete Decca (4840416), le beau disque Ravel, Debussy: The Decca 78s par Ansermet (4825007), et le double CD Erich Kleiber, Jean Martinon - The Decca 78s (4829386), où brillent les gravures de Martinon, notamment celle, rayonnante, de la Suite Pastorale de Chabrier !

Son : 9 - Livret : 10 - Répertoire : 10 - Interprétation : 9

Michel Tibbaut

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