A Genève : enfin une ouverture de saison réussie !

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Guillaume Tell de Rossini
Au cours de ces dernières années, le public genevois a dû se contenter de médiocres levers de rideau avec Le Nozze di Figaro et Rigoletto. Cette fois-ci, le Grand-Théâtre a eu la main plus heureuse en faisant appel à la direction musicale de Jesus Lopez-Cobos et à la mise en scène de David Pountney (en coproduction avec le Welsh National Opera et le Teatr Wielki de Varsovie et inaugurée à Cardiff en septembre 2014).La scénographie de Raimund Bauer consiste en un gigantesque échafaudage tripartite où se juchent tant les forces de l’oppression que quelques-unes de ses victimes. Les costumes de Marie-Jeanne Lecca regardent vers le XXe siècle avec une touche de pittoresque tyrolien. Et la régie de David Pountney réussit à tenir en haleine le spectateur avec, notamment, quelques trouvailles : celle de placer, sur la scène vide, le violoncelle soliste pour le début de l’ouverture et l’accompagnement de l’arioso de Tell « Sois immobile » puis de le hisser, brisé, dans les cintres, tandis qu’un vent de tempête amène les soldats de Gessler ; ou celle de faire passer la flèche par la lenteur des mains tendues des paysans terrorisés. Un seul point noir au tableau : la chorégraphie d’Amir Hosseinpour, frisant la grossièreté et réduisant ses danseurs à des clones spastiques. Sous la baguette de Jesus Lopez-Cobos, rarement aussi inspirée de bout en bout de cette longue partition, l’Orchestre de la Suisse Romande affiche une palette de couleurs d’une extrême richesse et une précision du trait tout aussi remarquable, qualités qu’offre aussi la prestation de tout premier ordre du Chœur du Grand-Théâtre préparé par Alan Woodbridge.
Par rapport à la récente production du Festival de Pesaro, inutilement immortalisée par un DVD, quel bonheur de pouvoir comprendre le français du livret d’Etienne de Jouy ! Le mérite en revient d’abord au baryton canadien Jean-François Lapointe, saisissant de grandeur tragique dans le rôle-titre dont il a la solidité granitique de timbre et la tessiture large. Depuis ses débuts en 2007 à l’Accademia Santa Cecilia de Rome avec Antonio Pappano, John Osborn ‘est’ l’Arnold du moment, par l’intelligence du phrasé et la facilité d’un aigu continuellement sollicité. La Mathilde de la soprano russe Nadine Koutcher peine d’abord à trouver ses marques, peut-être par anxiété d’un soir de première, puis libère ses moyens dans les invectives à Gessler. Doris Lamprecht a la robustesse d’une Hedwige au caractère trempé, alors que le Jemmy d’Amelia Scicolone manque d’ampleur pour dominer les ensembles. Paraissant, Dieu sait pourquoi, en chaise roulante, le Gessler de Franco Pomponi exsude avec une rare conviction la méchanceté du tyran, alors qu’Alexander Milev s’empêtre dans une émission engorgée pour camper à la fois Walter Fürst et le vieux Melchtal. Et Enea Scala sait faire briller la clarté de ses aigus pour dessiner Ruodi le pêcheur.
Paul-André Demierre
Genève, Grand Théâtre, le 11 septembre 2015

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