A Genève, que de perles noires pour le pauvre Bizet !  

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Curieuse époque que la nôtre où à l’opéra, un metteur en scène ne se contente plus de redonner vie à un ouvrage sans l’orienter vers le cinéma ou la télévision ! Ainsi, à la Scala de Milan, un Davide Livermore se réfère à un thriller de science-fiction pour le Macbeth d’ouverture de saison, alors qu’à Genève, la jeune régisseuse Lotte de Beer regarde du côté de la téléréalité de l’émision Koh Lanta pour Les Pêcheurs de Perles de Georges Bizet.

Certes, de cet ouvrage de début de carrière créé au Théâtre-Lyrique de Paris le 30 septembre 1863, la trame est bien mince : Zurga, devenu chef des pêcheurs dans l’île de Ceylan, y retrouve fortuitement Nadir, son ami d’enfance. Tous deux ont aimé la même femme qui, comme par enchantement, apparaît pour officier en tant que prêtresse. Amour-passion pour l’un, jalousie démente pour l’autre qui finira par sacrifier sa propre vie pour sauver l’union de Leïla et de Nadir. Lotte de Beer est persuadée que le public d’aujourd’hui ne se contente plus d’une intrigue aussi mal ficelée. En est-elle si  sûre, quand le spectateur peut considérer l’œuvre comme un mélodrame aux parfums exotiques ? A sa décoratrice Marousha Levy, elle demande, en fond de scène, un gigantesque écran ovale où sont projetés les paysages et les visages des protagonistes en gros plan ; mais parfois, les éclairages d’Alex Brok le transpercent pour faire apparaître les appartements sur plusieurs étages d’où les choristes prennent  part à l’action. Du reste, chapeau bas devant le Chœur du Grand-Théâtre de Genève (préparé méticuleusement par Alan Woodbrige) qui réussit à éviter le moindre décalage par rapport à la fosse d’orchestre ! Dans des costumes de Jorine van Beek qui n’ont aucun cachet oriental, les quatre premiers plans arpentent un promontoire en escalier et les marches d’un temple hindou en tentant d’exprimer leurs sentiments. Mais leurs péripéties sont englouties sous le fatras des caméras et des perches d’éclairagiste qui phagocytent l’intrigue jugée inintéressante. L’agitation insensée de la meute télévisuelle prend le dessus… Et l’attention du spectateur s’émousse au point de sombrer dans l’ennui. Assurément, ce n’est pas le documentaire-interview intitulé The Challenge, figurant en début de seconde partie, qui va l’émoustiller, tant il paraît ridicule !

Malheureusement la musique lui emboîte le pas avec un Orchestre de la Suisse Romande ô combien terne sous la direction de David Reiland qui, pas une seconde, ne se soucie de faire miroiter une orchestration qui recèle des pépites sous un coloris exotique qui peut paraître convenu. Sur scène, déçoit grandement le Nadir de Frédéric Antoun à la sonorité aussi nasale que pointue, peu sûr  de son intonation mais tentant de produire des contrastes de coloris. Sans déranger les mânes d’un Vanzo ou d’un Gedda, comme l’on voudrait que la romance «Je crois entendre encore » eût une ligne de chant appuyée sur le souffle qui lui concéderait quelques aigus filés. Face à lui, le Zurga du baryton norvégien Audun Iversen exhibe force carences au niveau du legato dès le duo « Au fond du temple saint » ; néanmoins, il finit par trouver meilleure assise et une diction parfaite dans sa scène de l’Acte III, « L’orage s’est calmé ». Le Nourabad de Michael Mofidian possède l’autorité et la déclamation péremptoire du grand-prêtre. Et finalement le rôle le mieux tenu est celui de Leïla confiée à la soprano russe Kristina Mkhitaryan qui est éblouissante dans les traits vocalisés de « Ô Dieu Brahma », avant de passer au grand lyrisme de sa cavatine « Comme autrefois » et des deux duos avec ténor et baryton.  Au rideau final, un sentiment d’ennui mêlé d’une irrépressible déception…

Genève, Grand-Théâtre, le 15 décembre 2021

Paul-André Demierre

Crédits photographiques : GTG-Magali Dougados

 

 

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