À Genève, une triomphale Marianne Crebassa
Durant cette saison, le Grand-Théâtre de Genève propose six récitals de chant avec piano. C’est pourquoi, ce dimanche 19 janvier, l’on y a applaudi Marianne Crebassa accompagnée du pianiste-compositeur Fazil Say dans un programme de musique française qui reprend partiellement le contenu de leur dernier enregistrement intitulé ‘Secrets’.
Dans une longue robe rouge vif, la jeune mezzo affiche ce sourire vainqueur et cette bonhommie sympathique qui caractérisaient son Fantasio à l’Opéra-Comique ou sa Cenerentola à la Scala de Milan, tandis que Fazil Say s’impose comme un alchimiste des sons nimbant de teintes vaporeuses le Debussy peu connu des Trois Mélodies de 1891 sur des poèmes de Paul Verlaine : dès les premières mesures de « La mer est plus belle », elle se veut une diseuse soignant son élocution, corsant graduellement les demi-teintes pour s’élancer vers les extrémités de registre et laisser en points de suspension l’onde roulée de cloches déferlant sur « L’échelonnement des haies ». Dans une gestique ô combien maniérée, le pianiste propose ensuite les Trois Gnossiennes d’Erik Satie, comme s’il était en train de les improviser avec un toucher d’une rare finesse qui irise ensuite deux des Préludes du premier Livre de Claude Debussy, une Cathédrale engloutie se profilant dans une brume doucement sonore (comme requis par la partition) avant de faire résonner le grand orgue puis un Minstrels dégingandé par ses rythmes surprenants. Et la première partie s’achève avec deux pages majeures de Maurice Ravel : Shéhérazade, le triptyque de 1903 sur des poèmes de Tristan Klingsor, permet une fois encore à la chanteuse de faire valoir son art de la narration qu’elle sait rendre palpitante en profitant de la largeur des tempi pour susciter de véhéments contrastes de coloris, quitte à rendre l’aigu strident ; et c’est par de judicieux appuis sur les temps faibles que la Vocalise-étude en forme de habanera acquiert son déhanchement suggestif.
En seconde partie, ce même balancement sous-tend la progression dans le legato qui rend intensément expressives deux pages extraites des Mirages op.113 de Gabriel Fauré ; prennent ensuite un relief tragique deux mélodies d’Henri Duparc, tant la célèbre Chanson triste que le saisissant Au pays où se fait la guerre, lamento qui devient dramatique selon les violents revers de situation. Et le programme s’achève par deux compositions de Fazil Say, une Deuxième Sonate op.52 Gezi Park 2 où la main gauche se faufile à l’intérieur du piano, grattant quelques cordes afin d’imiter naïvement un carillon en une complainte aux effets jazzy qui se perd dans un brouhaha à épater le bourgeois ; par contre paraît bien plus convaincant Gezi Park 3 où, sans accompagnement, la voix développe d’abord une incantation sur une tessiture large qui sollicite amplement le grave aux reflets mordorés. En bis, Marianne Crebassa retrouve son espièglerie de garçon manqué avec un Cherubino distillant un Voi che sapete ironique.
Paul-André Demierre
Genève, Grand-Théâtre, le 19 janvier 2020
Crédits photographiques : Simon Fowler