Les flamboyances violonistiques de Leclair

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Jean-Marie LECLAIR (1697-1764) : Concerti per Violino, vol. II : Concerti op. 7 n° 1 et n° 3 ; Concerti op. 10 n° 1 et n° 3. Leila Schayegh, violon et direction ; La Cetra Barockorchester Basel. 2019. Livret en anglais, français et allemand. 58.50. Glossa GCD 924204.

Après un premier volume consacré aux concerti n° 2 et n° 6 des mêmes opus 7 et 10 (Glossa GCD 924202), Leyla Schayegh et La Cetra Barockorchester Basel poursuivent leur exploration du répertoire de Jean-Marie Leclair, ce violoniste français qui « a cherché à repousser toujours plus loin les limites du possible, tout en développant un style intimement personnel. Sa légendaire technique lui permettait de surmonter n’importe quelle difficulté : accords, doubles cordes, staccatos, bariolages, passages aigus jusqu’à l’extrême limite de la touche… ». Cet extrait de l’excellente notice du livret, due à Leyla Schayeg elle-même, détails sur l’utilisation des instruments et le choix du diapason compris, est une invitation à vivre un moment de flamboyance musicale avec un compositeur à la destinée tragique.

Après avoir pratiqué le métier de dentellier avec son père à Lyon où il naît en 1697, Leclair, qui a en même temps appris le violon et la danse, entre à l’Opéra de sa ville natale comme danseur et se marie très jeune. Tout en exerçant à Turin comme maître de ballet, il publie à Paris en 1723 un recueil de sonates qui le fait remarquer. Il se produit dans la capitale française, à Londres, à Kassel où il joue avec Locatelli. Malgré sa déjà grande virtuosité, il se perfectionne à Paris. Il se remarie après le décès de sa femme ; sa nouvelle épouse, la graveuse de musique Louise Roussel, sera la productrice des publications de ses œuvres, dans des éditions de qualité. Il devient violon solo à la Chapelle Royale de Louis XV mais n’y demeure que deux ans. Il se rend à Amsterdam où il retrouve Locatelli, retourne à Paris et est engagé au service de l’Infant d’Espagne. Son unique opéra Scylla et Glaucus est représenté en 1746. Il divorce en 1758 et poursuit son existence dans un quartier considéré comme dangereux. Il y est assassiné en 1764, dans des circonstances jamais élucidées. 

Leclair « l’aîné », issu d’une famille de sept enfants (un frère, prénommé comme lui Jean-Marie « le cadet », fera aussi carrière de violoniste et sera directeur de l’Académie des Beaux-Arts), avait une fascination pour le style italien. Considéré comme le père de l’école française de violon, il réussit à marier les deux courants, donnant à son instrument une place prépondérante, empreinte de liberté, de haute technique, de netteté expressive et de flux rythmique, inculqué par son expérience de la danse. Le présent CD en est un témoignage des plus évidents. Dans les opus à l’affiche, Leclair établit un équilibre entre l’approche brillante à l’italienne et la manière française de donner au chant de l’archet toute sa plénitude. Il accorde aussi à l’orchestre et aux autres violons un rôle de véritable partenaire, ne les limitant pas à une présence de faire-valoir. Dans l’opus 7, on admire les solos à la fois rutilants et lumineux, les ensembles précis et l’entrelacement des séquences harmoniques. Comme c’est le cas aussi dans l’opus 10, l’archet se révèle généreux, avec un côté exaltant qui respire la joie mais aussi un lyrisme inspiré qui trouve sa meilleure évocation dans l’Andante du n° 3. Chez Leclair, le théâtre est toujours en toile de fond, les couleurs changent avec une subtilité qui les rend savoureuses et la définition du caractère de chaque mouvement est traduite avec une grande science des possibilités du violon. Le compositeur nous entraîne dans un monde enchanteur dont on sort ravi et heureux !

Leila Schayegh, soliste radieuse, est à la tête d’un Cetra Barockorchester Basel en grande forme. Le travail d’équipe est étincelant, qualificatif à attribuer en même temps au jeu personnel de la virtuose, d’une grande cohérence et d’une attractivité qui n’est jamais prise en défaut. Tout est soigné : la technique, la musicalité, le sentiment poétique, la vitalité, la rêverie, la joie comme la mélancolie. Du grand art, servi par une prise de son à la présence chaude, effectuée en mai 2019 à la Martinskirche de Bâle. La notice incline à penser que ce second volume est un jalon d’une future intégrale des concertos de Leclair. La suite est donc attendue avec une patiente impatience !

Son : 10.  Livret : 10.  Répertoire : 10.  Interprétation : 10

Jean Lacroix 

 

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