À Berlin, le Bruckner sans égal d'Herbert Blomstedt

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Associé au pianiste norvégien Leif Ove Andsnes, Herbert Blomstedt dirigeait, ce 16 janvier, l’Orchestre Philarmonique de Berlin dans le 22e Concerto pour piano de Mozart et la 4e Symphonie d’Anton Bruckner. 

Avec ses 92 printemps, Herbert Blomstedt, aujourd’hui doyen de la direction d’orchestre, donnait ce soir-là son cinquantième concert à la tête des Berliner Philharmoniker, couronnant ainsi une collaboration entamée il y a 44 ans. Émotion et admiration se mêlent devant cette haute stature venant prendre place devant l’orchestre d’un pas juvénile et s’apprêtant à diriger debout et sans partition.  Au piano, Leif Ove Andsnes venait poser un nouveau jalon de son itinéraire mozartien, le Mozart Momentum/1785-1786, projet qui amènera le pianiste norvégien à interpréter et enregistrer les œuvres phares de ces deux années particulièrement fécondes. 

Achevé en 1785, le 22e Concerto se caractérise par la singularité du dialogue qui s’instaure entre le piano et le quintette à vent (flûte et paires de clarinettes et bassons).  Ainsi, les deuxième et troisième mouvements, au-delà des échanges purement concertants, incluent des interludes de pure musique de chambre, sérénade pour vents seuls ou quatuor pour piano et vents.  

Dénué d’affectation et tournant le dos à toute surcharge émotionnelle, le piano de Leif Ove Andsnes avance clair et droit. Si l’on admire la limpidité des lignes mélodiques, la précision et la netteté du toucher et des attaques, la franchise rythmique, on ressent, pour ensuite le déplorer, le refus de tout rubato, la linéarité un peu sèche d’un discours guère creusé en nuances dynamiques et avare en couleurs. Voulue humble et marquée par l’évidence, cette objectivité impavide peine à déployer les clairs-obscurs de la partition dans les deux premiers mouvements sauf dans la cadence conclusive du premier, imaginative et pré-beethovenienne. Heureusement débarrassé de cet austère corset expressif, l’Allegro vivace final laisse enfin libre cours à un élan spontané, investi et lumineux. Blomstedt et l’orchestre se montrent attentifs et chaleureux même si on aurait souhaité plus de lumière et de transparence aux cordes. 

Dans la 4e Symphonie de Bruckner, les thèmes narratifs et les motifs descriptifs abondent plus que dans toute autre œuvre du compositeur. Exaltation de la nature, évocations d’un monde médiéval rêvé alternent avec des replis introspectifs et de la pure contemplation. 

Herbert Blomstedt en a souvent témoigné, il vit l’expérience musicale comme une quête et une offrande spirituelle. Dans la 4e de Bruckner, à l’image de Sergiu Celibidache en son temps mais dans une toute autre perspective esthétique, les intentions démiurgiques du chef semblent disparaître devant l’œuvre qui se déploie alors dans sa simple évidence. Dès l’énonciation mystérieuse du thème introductif au cor s’élevant au dessus du frémissement des cordes en trémolo, Blomstedt ouvre un immense espace sonore. La fluidité du discours est magnifiée par le naturel des transitions et la souplesse ductile des articulations rythmiques tandis que l’aération et l’équilibre des plans sonores, la richesse du dialogue entre les pupitres dévoilent une trame d’orchestre lumineuse et transparente. Cette vision  solaire, sensuelle et frémissante, exhale un lyrisme à la fois généreux et decanté. Elle apparaît ainsi aux antipodes du Bruckner wagnerisant, souvent inerte, massif et écrasant, réduit à sa seule dimension monumentale. Blomstedt n’élude néanmoins jamais la dimension spirituelle de l’œuvre comme en témoigne la ferveur recueillie des nombreux chorals qui ponctuent la partition. 

En parfaite osmose et pour se plier aux intentions du chef, l’orchestre se détache de son idiosyncrasie habituelle, puissance et densité, fusion organique des plans sonores, pour mieux mettre en valeur ses exceptionnelles individualités, cor et flûte solo en tête. 

La salle comble ovationne l’orchestre et rappelle plusieurs fois le chef, amené à se présenter une dernière fois, seul devant son public, signe qui marque à la Philharmonie les soirées d’exception.

 Un hommage mérité au plus grand chef brucknerien vivant. 

Berlin, Philharmonie, 18 février 2020

Crédits photographiques : Herbert Blomstedt © Martin Lengemann

Xavier de Larrard

 

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