A Salzbourg, bon accueil du nouvel opéra de Thomas Adès

par

Francisco (Iestyn Davies), Silvia (Sally Matthews), Leticia (Audrey Luna),
Leonora (Anne Sofie von Otter), Doctor (John Tomlinson), Salzburger Festspiele/Monika Rittershaus

Le programme des Salzburger Festspiele offre cette année) neuf opéras et un musical (West Side Story de Leonard Bernstein avec Cecilia Bartoli en Maria). Trois opéras sont présentés en version concert et affichent une star : Anna Netrebko pour Manon Lescaut (Puccini), Placido Domingo dans Thaïs (Massenet) et Juan Diego Flores dans Il Templario, un opéra peu connu de Otto Nicolai.Il y a aussi de nouvelles productions scéniques : Die Liebe der Danae (Richard Strauss), Faust (Charles Gounod) et The Exterminating Angel (Thomas Adès). Et la reprise de la trilogie Mozart/Da Ponte : Cosi fan tutteDon Giovanni et Le nozze di Figaro, mis en scène de Sven-Eric Bechtolf, le directeur artistique du festival.
The Exterminating Angel de Thomas Adès est une commande du Festival, en coproduction avec le Royal Opera House Covent Garden de Londres, le Metropolitan Opera de New York et le Kongelige Opera Kopenhagen. Sa création mondiale ouvrait la série. Aux dires du compositeur anglais Thomas Adès (°1971), il avait dès sa jeunesse été fasciné par les films surréalistes de Luis Bunuel et presque obsédé par El Angel exterminador, un film en noir et blanc de 1962 dont le sujet s’apparente, pour lui, à un sujet d’opéra parce que chaque opéra raconte comment sortir d’une situation particulaire.
De quoi s’agit-il ? Après une première à l’opéra, un groupe d’amis dont un chef d’orchestre, une pianiste et la diva du spectacle, Leticia Maynar, se retrouvent dans la demeure d’Edmundo et Lucia de Nobile. Mais il s’y passe des choses étranges. Les serviteurs, sauf un, ont fui la maison et il apparaît que les invités ne veulent ou ne peuvent plus quitter les lieux. L’élégante soirée se mue en quarantaine claustrophobique que même les forces de l’ordre ne peuvent percer. Soif, faim, besoins naturels font perdre au groupe toute civilité ou presque. Si les uns semblent accepter leur sort, d’autres cherchent des solutions et réclament du sang. Au moment où Edmundo, considéré comme le responsable de la situation, se déclare prêt à se sacrifier, Leticia semble avoir trouvé le moyen de faire sortir les survivants car un vieil homme est mort et le jeune couple d’amoureux s’est suicidé.
Faut-il se lancer dans les comparaisons ? Je ne le pense pas. Si le scénario de Bunuel est le point de départ, les deux formes d’expression artistique répondent d’autres règles et exigences. Cairns et Adès n’ont sans doute pas adapté fidèlement le film de Bunuel mais ils ont créé un opéra qui est un thriller macabre qui fascine et tient en haleine, surtout les deux premiers actes. La partition de Adès est riche et vibrante, le son souvent massif, les influences reconnaissables. Adès dirige lui-même l’ORF Radio-Symphonieorchester Wien qui le sert à merveille. Mais il n’y a pas seulement les grandes éruptions orchestrales : Adès fait aussi appel aux Ondes Martenot (jouées par Cynthia Millar) ou une guitare (Michael Kudirka) pour créer des moments plus intimes, des petites îles de son ou des mini-arias qui caractérisent certains personnages. Les parties vocales sont bien écrites mais extrêmement exigeantes pour les sopranos qui se meuvent souvent dans les régions vocales les plus extrêmes. C’est surtout le cas avec le rôle stratosphérique de Leticia qu’Audrey Luna défend vaillamment. Mais toute la distribution (22 rôles et le chœur) a été choisie avec soin et on y retrouve une brochette de chanteurs et comédiens remarquables comme Amanda Echalaz (Lucia de Nobile), Anne Sofie von Otter (Leonora Palma), Sally Matthews (Silvia de Avila), Christine Rice (Blanca Delgado), Sophie Bevan (Beatriz), Charles Workman (Edmundo de Nobile), Frédéric Antoun (Raul Yebenes), Iestyn Davies (Francisco de Avila), Ed Lyon (Edgardo), Thomas Allen (Alberto Roc) et John Tomlinson (Doctor Carlos Conde). Tom Cairns lui-même assure la mise en scène dans un décor simple et habile de Hildegard Bechtler, responsable aussi des costumes : smokings des messieurs et robes élégantes des dames. Dans l’espace défini par un portail de salon mobile, Cairns a construit une action lisible et captivante, merveilleusement servie par un ensemble homogène et pourtant bien individualisé. Un public attentif et enthousiaste a accueilli le chef d’orchestre-compositeur et les chanteurs par une ovation.
Erna Metdepenninghen
Salzbourg, le 8 août 2016

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