Alexander Sitkovetsky, violoniste

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Crescendo Magazine rencontre le violoniste Alexander Sitkovetsky à l’occasion de la parution d’un album Bis qui confronte le Trio de Maurice Ravel et le Trio n°2 de Camille Saint-Saëns. Cette parution est accompagnée d’un trailer innovant sous forme de dessin animé qui nous plonge dans l’univers de la Belle époque.   

Votre nouvel album  propose le Trio de Maurice Ravel et le Trio n° 2 de Camille Saint-Saëns. Pourquoi un tel choix ? 

Nous nous étions lancés dans un projet d'enregistrement de l'intégrale des trios avec piano de Beethoven (le volume 1 est sorti en avril 2020), mais nous ne voulions pas les faire tous en même temps, alors nous avons fait un plan pour diviser chacun des enregistrements de Beethoven par quelque chose de complètement différent. Nous avons pensé que cette alternance nous serait positive en tant qu’ensemble de chambre. Nous souhaitions ne pas nous  immerger complètement dans un seul compositeur pour les 3 à 5 prochaines années mais être capable de garder nos esprits frais avec beaucoup de répertoires différents. Nous jouions les trios de Ravel et de Saint-Saëns depuis plusieurs années déjà et nous les avions associés à plusieurs reprises dans le même programme de concert. Ils vont très bien ensemble et nous avons pensé que ce serait un ajout idéal pour un enregistrement.. 

Cette année, nous célébrons le centenaire de la mort de Camille Saint-Saëns, que représente ce compositeur pour vous ? 

Il me semble que Saint-Saëns s'est senti un peu délaissé et isolé de ses collègues musiciens en vieillissant. La musique et l'art en général évoluaient à un rythme effréné vers la fin du XIXe siècle et Saint-Saëns ne voulait pas suivre le courant. Je pense que c'est un compositeur merveilleux qui était un maître fantastique de son art et c'est une honte qu'il soit toujours un peu sous-estimé.  

Existe-t-il un " son français " pour rendre le style de ces œuvres ? Si oui, quelles en seraient les caractéristiques ?

Je ne crois pas vraiment qu'il existe un son français, ou allemand, ou russe. Il y a le "son" qui convient à la musique. Il est important de savoir que, bien que les trios de Saint-Saëns et de Ravel n'aient été écrits, de façon surprenante, qu'à vingt-deux ans d'intervalle, ils appartiennent à des univers sonores complètement différents et il serait complètement contre-productif et contraire aux intérêts de la musique de rechercher un son "français" unifié pour ces deux œuvres. L'intérêt pour l'interprète, c'est de découvrir le bon type de tonalité, qui correspond le mieux aux intentions du compositeur. Ravel a peint de si belles couleurs dans sa musique, à la fois lucides et transparentes, et incroyablement brillantes, riches et exubérantes, tandis que Saint-Saëns a une texture unique dans sa musique, probablement due au fait qu'il était joueur d'orgue, ce qui exige un type de son complètement différent.

La sortie de cet album est accompagnée d'une vidéo promotionnelle réalisée sous forme de dessin animé. Pourquoi ce choix d'un dessin animé ?  

Au début de cette année, alors que nous étions tous au milieu d'un deuxième lockdown complet, nous avons sincèrement commencé à nous interroger sur la possibilité que les concerts ne reviennent pas avant longtemps. Nous savions que l'album allait sortir en été, alors nous avons commencé à réfléchir aux moyens de faire quelque chose de créatif pour soutenir la parution de cet album au cas où nous ne serions toujours pas en mesure de nous produire le jour de la sortie.

Il y avait déjà eu tellement de concerts, d'interviews et d'autres documents en ligne depuis le début de la pandémie que nous avons pensé qu'il serait intéressant de faire quelque chose que nous n'avions pas vraiment vu. Nous avons fait quelques recherches, nous avons trouvé quelques courts-métrages d'animation magnifiques mis en musique et nous étions convaincus que cela pourrait fonctionner très bien.

On nous a recommandé un jeune animateur merveilleux vivant en Allemagne, Pavel Hudec. Il est en fait un contrebassiste professionnel qui travaille à la Neue Philharmonie Westfalen, mais il adore créer des animations et des courts métrages. Nous avons vu certaines de ses réalisations et les avons adorées. Nous lui avons alors demandé de créer un court-métrage autour du Trio Ravel.

Nous avons discuté avec Pavel de quelques idées et thèmes liés à Ravel et à la composition du trio. Le mouvement que nous avons choisi est le "Pantoum", qui s'inspire du rythme d'une structure de poème malais qui était devenu de plus en plus populaire en Occident au début du 20e siècle et était utilisé assez souvent par les poètes britanniques et français à cette époque. Nous voulions également aborder d'autres thèmes comme les origines basques de Ravel (sa mère était originaire de la région de Saint-Jean-de-Luz, dans le sud-ouest de la France) et le début de la Première Guerre mondiale, qui a poussé Ravel à terminer la pièce plus rapidement que prévu.

La conception du film est entièrement due à Pavel et nous la trouvons magnifique. Ses palettes de couleurs et l'esthétique de Paris capturent si bien l'esprit de la Belle Époque, tandis que la commune de Saint-Jean-du-Luz incarne la beauté naturelle et la tranquillité des villages de pêcheurs français au bord de la Méditerranée. Nous avons tous pensé qu'il serait bon de donner un air plus jeune à Ravel. Nous avons donc recherché sur Internet des photos de lui plus jeune et nous avons eu la chance de trouver une image qui nous semblait convenir. De plus, nous savons que Ravel a assisté à la première représentation, donc si vous regardez jusqu'à la fin, vous verrez que nous nous sommes tous beaucoup amusés avec ça !

 

Vous êtes un musicien curieux qui n'hésite pas à défendre des œuvres rares comme le Concerto pour violon de Panufnik (récompensé par un International Classical Music Awards). Qu'est-ce qui vous pousse à défricher des pans inconnus du répertoire ? 

Je viens d'une famille de musiciens très curieux, donc je pense qu'ils seraient très déçus de moi si je n'étais pas curieux moi-même ! Je sais que je ne suis pas le seul à interpréter un répertoire moins connu, il y a beaucoup de grands musiciens qui interprètent un répertoire en dehors du courant dominant. Dans le cas de Panufnik, j'ai eu la chance que le concerto me soit présenté lorsque j'étais étudiant à l'école Yehudi Menuhin. Maintenant que je suis plus âgé et que j'ai la possibilité de le proposer à d'autres musiciens et à des orchestres, j'essaie de le faire. Mais je pense que cette pièce n'a pas besoin d'être défendue. C'est une œuvre vraiment magnifique, très belle, très intéressante et qui, je l'espère, continuera à être ajoutée au répertoire courant pendant de nombreuses années.

Vous vivez à Londres et, en tant qu'artiste, vous êtes soumis à de nombreuses démarches administratives pour obtenir un visa suite au Brexit. Sur Facebook, vous avez posé à côté des innombrables documents nécessaires pour aller vous produire en Espagne. Quel est votre point de vue sur les conséquences du Brexit pour les artistes ? 

Je ne veux pas me tromper sur les faits et je n'ai pas examiné comment la nouvelle situation affecte tous ceux qui veulent travailler à l'étranger, surtout pour une longue période. Je ne peux parler que de mon expérience personnelle et, pour moi, les répercussions n'ont pas été aussi graves qu'elles auraient pu l'être, de nombreux pays de l'UE autorisant toujours le travail à court terme sans nouvelles restrictions, mais, bien sûr, il y a aussi les pays qui vous demandent d'aller chercher un visa en bonne et due forme et, honnêtement, cela me semble être un tracas absolument inutile. 

Pour moi, l'aspect BEAUCOUP plus inquiétant de cette situation est la perception à l'étranger que les musiciens britanniques ne sont plus intéressants à inviter pour des concerts à cause du Brexit. C'est la partie la plus effrayante, car je peux imaginer que l'UE et le Royaume-Uni finiront par trouver un accord sur l'exemption de visa mais, avec la pandémie qui retarde tout, d'ici là, les musiciens britanniques auront déjà été oubliés. Pour moi et pour beaucoup d'autres musiciens, jouer en Europe a toujours représenté la majorité de nos concerts au cours d'une saison et je ne veux pas que cela soit compromis, pour aucun d'entre nous. Il est également important que les promoteurs sachent que pour beaucoup d'entre eux, rien n'a changé et qu'ils peuvent toujours nous inviter !

Le statut de Londres comme l'une des grandes capitales européennes de la musique (avec Berlin ou Vienne) pourrait-il être menacé ?

Je pense que Londres restera toujours Londres, une grande ville pour les arts et la culture, mais il est inquiétant de constater que certains musiciens de premier plan ont pris la décision difficile de quitter le Royaume-Uni après le Brexit. Il est important que Londres et le Royaume-Uni restent une destination où les artistes peuvent vivre et pas seulement visiter. Je pense que nous réévaluerons la situation une fois que la pandémie aura, espérons-le, pris fin et que nous comprendrons mieux les répercussions réelles du Brexit.

Le site d’Alexander Sitkovetsky : https://alexandersitkovetsky.com/

  • A écouter : 

Maurice Ravel & Camille Saint-Saëns :  Trios avec piano.  The Sitkovetsky Trio. Bis 2219.  https://smarturl.it/sitkovetskytrio2021

Propos receuillis par Pierre-Jean Tribot

 

Crédits photographiques : Vincy Ng / Bis Records

 

 

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