Arto Noras souverain dans Penderecki et Chostakovitch

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Krzysztof Penderecki (1933-2020) : Suite per violoncello solo ; Jeajoon Ryu (°1970) : Sonata per cello e pianoforte n° 2 ; Dmitri Chostakovitch (1906-1975) : Sonate pour violoncelle et piano, Op. 40. Arto Noras, violoncelle ; Ralf Gothóni, piano. 2021-Textes de présentation en polonais et anglais - 66’22. Dux 1709

On sait le rôle que joue depuis des années le dynamique label Dux pour promouvoir aussi bien les compositeurs que les interprètes polonais, mais pour cet enregistrement -déjà paru en 2021 mais qui ne nous est arrivé que récemment- le label varsovien a eu la main particulièrement heureuse en confiant ce beau programme au brillant violoncelliste finlandais Arto Noras ainsi qu’à son non moins remarquable compatriote, le pianiste Ralf Gothóni.

On sait que la production de Penderecki après son tournant stylistique vers un néo-post-romantisme inattendu de la fin des années 1970 a parfois été fraîchement accueillie hors des frontières de son pays, mais ici le doute n’est pas permis : cette Suite pour violoncelle seul est une oeuvre majeure et certainement l’un des plus beaux exemples de ce genre au XXe siècle. Si on placera cette oeuvre après ce chef-d’œuvre absolu qu’est la Sonate de Kodály et les rigoureuses trois Suites néo-bachiennes de Reger (un nom qui n’apparaît que trop rarement au programme des concerts), elle se situe certainement au niveau de la Sonate pour violoncelle solo de Hindemith ou de celle, inachevée, de Prokofiev.

Ecrits sur une période de 19 ans (!), les 8 mouvements de la Suite peuvent se voir à la fois comme un tout mais aussi comme des entités isolées. Qui plus est, ces huit parties offrent en comme un résumé du parcours stylistique du compositeur, avec des évocations de sa période avant-gardiste mais également une mise en évidence de son penchant pour les formes baroques et classiques et de son néo-romantisme.

Dès le "Preludio", la musique agrippe l’auditeur et ne le lâchera plus avant la fin du "Notturno", dernière partie de l’oeuvre. Dédiée à Jean-Sébastien Bach, toute de lyrisme et de profondeur, la "Sarabande" (troisième mouvement) est le coeur émotionnel de l’oeuvre. Dans le "Tempo di valse" qui suit, le compositeur surprend par une ironie qu’on n’attend pas forcément chez lui. Venant en sixième position, "l’Aria" touche par son lyrisme chaleureux. Après un "Scherzo" hyperactif et virtuose, l’oeuvre se conclut sur un "Notturno" qui prend à la gorge, glaçant et désolé.

Dédicataire du Prélude, ami de Penderecki et défenseur de longue date de son oeuvre, Arto Noras offre ici une interprétation de toute grande qualité. Faisant fi des difficultés techniques considérables de l’oeuvre, il creuse sans cesse et avec une brûlante conviction tous les aspects de la partition. En outre, il parvient à faire chanter son instrument à tout moment, ne se départissant jamais d’une exceptionnelle beauté de sonorité.

Ce disque nous propose également une découverte, à savoir la Deuxième sonate pour violoncelle et piano du Coréen Jeajoon Ryu. Il est intéressant d’apprendre qu’il fut l’élève de Penderecki à Cracovie, car sa musique -toujours élégante et bien faite, mais modérément captivante- est beaucoup plus traditionnelle que celle de son maître et semble avoir bien plus d’affinités avec celle de Chostakovitch dans son mode ironique et tempéré qu’avec le geste ample du compositeur polonais.

Ceci apparaît avec d’autant plus d’évidence que l’oeuvre de Ryu précède ici la Sonate de Chostakovitch dont Noras et Gothóni nous offrent ici une version de tout premier ordre qui -dans le même esprit de ce que faisait le regretté Heinrich Schiff en son temps- met justement l’accent sur la finesse et la subtilité de l’oeuvre en l’abordant sans la véhémence qu’on associe si souvent au compositeur russe. Dans le grand "Allegro non troppo" introductif, ce sont le lyrisme, la simplicité et la fine ironie des interprètes qui enchantent : rien ici n’est surjoué, et la poignante fin du mouvement ("Moderato con moto") est toute en douceur et demi-teintes. De même, le "Largo" -bien loin de dévoiler tous ses sortilèges à la première audition- est marqué par une retenue qui fait paradoxalement encore davantage ressortir l’expressivité de la musique. Mais les interprètes sont tout aussi sensibles à l’ironie et l’humour dont sait faire preuve Chostakovitch, comme dans ce deuxième mouvement -qui est bien un "Scherzo" même s’il n’en a pas le nom- abordé avec un côté pince-sans-rire, une fine ironie et une exquise légèreté plutôt que le côté grinçant attendu. Et les mêmes caractéristiques se retrouvent dans le "Finale" qui couronne une superbe version.

Son 10 - Livret 7 - Répertoire 10 (Penderecki, Chostakovitch) / 7 (Ryu) - Interprétation 10

Patrice Liebermann

 

 

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