Clara Levy, Hildegarde Von Bingen et Pauline Oliveros : 13 Visions énigmatiques

par

Clara Levy (1991-) : 13 Visions. Clara Levy, violon et voix. 2022. Livret en  anglais -  Discreet editions. discreet004. 

Parfois le charme d’une musique est si intimement liée au lieu, aux circonstances dans lesquelles on la découvre, à l’environnement d’écoute, aux vibrations acoustiques, palpables, accueillies comme autant de phénomènes physiques qui traversent la peau, pénètrent les nerfs et s’écartent de la seule audition pour envahir tout le champ de la perception et dépasser nos sens, parfois le phénomène est si intensément implicite qu’on en vient à redouter la redécouverte, des mois plus tard, de sa résurgence enregistrée (ici, en France et en Suisse – Discreet editions est établi à Bâle), chez soi, un autre lieu, d’autres circonstances, un salon aux fauteuils de cuir noir, un peu froid, au tapis gris clair recouvrant partiellement une quinconce de carrelage anthracite, mais non, la grâce est intacte et les 13 Visions de Clara Levy s’installent chez moi comme elles avaient pris possession de la chapelle Saint Jean-Paul II de la Maison de Lorette pendant l’été (au festival Superspectives de Lyon), dont je revois sans effort la pénombre, la pierre et les bancs disposés en ailes d’Airbus -et les yeux le plus souvent clos de la violoniste, corps lié à l’instrument, made by Savine Delaporte (Saint-Nazaire).

L’originalité du projet tient à la rencontre orchestrée par Levy (bientôt dans le métavers, pour l’instant dans son imaginaire) entre deux compositrices que près d’un millénaire sépare : Hildegarde Von Bingen (chants liturgiques, hymnes et séquences) et Pauline Oliveros (pièces électroniques et minimalistes) se trouvent sur le terrain de la méditation, de la transe et de la temporalité non linéaire ; la sensibilité du projet tient à l'âme que la compositrice-instrumentiste-improvisatrice insuffle dans l’arrangement créatif (l’exercice n’est pas une composition au sens propre mais outrepasse largement la citation) : à partir des consignes poétiques d’Oliveros (la partition-texte de Thirteen changes, pièce pour violon de 1986, inspiré d'événements terrestres ou cosmiques), qu’elle transforme en contraintes d’écriture, liées à des techniques spécifiques de jeu et de préparation de l’instrument, Clara Levy conçoit treize univers sonores, dans lesquels s’emboîtent autant de monodies médiévales de Von Bingen, trames mélodiques indirectes, comme en négatif  -cette antédiluvienne notion de photographie argentique.

A quelques interventions vocales (ou de bol) près (comme dans A singing bowl of steaming soup), c’est le violon qui occupe l’espace sonore (ici, celui de mon salon), seul mais jamais solitaire, y compris dans Rollicking monkeys landing on Mars (où l’instrument entretient avec le silence un singulier colloque), une de mes pièces préférées d’un album atypique, enveloppant et inspiré.

Son : 8 – Livret : 6 – Répertoire : 9 – Interprétation : 9

Bernard Vincken

 

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