A Londres, un savoureux Candide de Bernstein mené par Marin Alsop

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Leonard Bernstein (1918-1990) : Candide, opérette en deux actes. Leonardo Capalbo (Candide), Jane Archibald (Cunégonde), Anne Sofie von Otter (The Old Lady), Sir Thomas Allen (Pangloss/Narrateur), Thomas Atkins (plusieurs rôles, dont le Gouverneur et Vanderdendur) et sept autres solistes aux rôles multiples. London Symphony Chorus ; London Symphony Orchestra, direction Marin Alsop. 2018. Notice en anglais, en français et en allemand. Livret complet, mais uniquement en anglais. 116.43. 2 SACD LSO Live LSO0834.

Rares sont les compositeurs capables d’élaborer des partitions ou des formes de danses européennes telles que la gavotte, la valse, la mazurka et la polka puissent faire si bon ménage avec le bel canto, Gilbert et Sullivan, le grand opéra, et le « tango juif » si cher à Bernstein : et presqu’aucun autre que Leonard Bernstein ne saurait le faire avec autant de brio et de sincérité. Ainsi s’exprime la cheffe d’orchestre Marin Alsop qui signe le texte d’introduction de cette version live de Candide, captée les 8 et 9 décembre 2018 au Barbican de Londres. Pour elle qui a été l’élève et la collaboratrice de Leonard Bernstein, il coule de source que le fait qu’il n’ait jamais perdu sa capacité à croire en la bonté inhérente de l’humanité, c’était son cadeau au monde

L’idée de mettre en musique le Candide de Voltaire a débuté en 1953, à l’initiative de la dramaturge Lillian Hellman (1905-1984). A cette époque, Bernstein et elle-même figuraient sur une liste de cent cinquante personnalités du monde culturel considérées comme susceptibles de faire partie d’un mouvement subversif favorable au communisme. Le maccarthysme sévissait. C’est dans ce contexte lourd et dangereux que le compositeur, d’abord hésitant, commence à travailler la partition à l’été 1954. Avec pas mal de difficultés et des interruptions dues à l’écriture de la musique pour le film On the Water Front, puis bientôt par celle de West Side Story, mais aussi en raison de remaniements, révisions, coupures ou refontes ; au fil du temps, les changements de paroliers ne faciliteront pas les choses non plus. Bernstein se remet néanmoins activement à la tâche. L’œuvre est créée à New York le 1er décembre 1956 et ne rencontre qu’un accueil mitigé. Le spectacle ne reste que deux mois à l’affiche, mais l’enregistrement sur disques est un succès. Toujours insatisfait, Bernstein apportera maintes modifications. Une version « définitive » est jouée à Glasgow en 1988 et, en décembre 1989, le compositeur la dirige au Barbican de Londres, ce qui a fait l’objet d’une captation en vidéo, avant un enregistrement en studio pour DG. Depuis, Candide semble voué aux adaptations : plusieurs ont eu lieu. C’est le cas en partie pour la présente production, dont l’Acte I est celui de Bernstein, mais l’Acte II est allégé, avec la suppression de deux ou trois numéros, comme Quiet ou Words, words, words.

Le roman de Voltaire faisant partie des classiques les plus fréquentés, nous ne reviendrons pas sur une intrigue qui, pour la partition de Bernstein, a été adaptée par Hugh Wheeler et a vu se succéder, au fil du temps et des remaniements, des paroliers comme Richard Wilbur, Stephen Sondheim, John Latouche, Lillian Hellman et Leonard Bernstein lui-même. Ici, il s’agissait de célébrer le centenaire de la naissance de « Lenny », né le 25 août 1918, et la fête a été au rendez-vous de cette production, comme le montre une série de photographies en couleurs reproduites dans le livret. Couleurs chaudes et brillantes, atmosphère débridée, ironique et satirique, le contexte de Marin Alsop est placé sous le signe de la souplesse. Ce qui ne réussit qu’à moitié pour une ouverture que l’on aurait voulue plus enlevée, plus ludique peut-être. Mais les mélodies vont être convaincantes, les paroles bien en place, et l’échauffement orchestral progressif s’inscrit dans un optimisme plein d’esprit. On soulignera d’emblée la qualité sonore de ce concert : aucun bruit extérieur ne vient troubler l’écoute, comme si le public avait été soumis au silence. 

Cela permet d’apprécier un plateau vocal qui a belle allure, le mélange des générations étant une incontestable réussite. Le rôle de Candide est attribué à Leonardo Capalbo, au prénom bernsteinien prédestiné. Ce ténor italo-américain, que l’on a pu découvrir à la Monnaie de Bruxelles dans Powder Her Face de Thomas Adès en 2015, se révèle touchant, mais un léger vibrato altère parfois un peu la transmission. La soprano canadienne Jane Archibald est Cunégonde ; sa voix de colorature a de belles inflexions (impeccable Glitter and be gay), et son duo We are women, avec The Old Lady, brillamment interprétée par Anne-Sofie von Otter (quel abattage !) est succulent en termes d’exubérance. Que dire alors de Sir Thomas Allen, Pangloss inimitable (un Dear Boy ineffable) et Narrateur charismatique ? On peut vraiment dire que les années -il est né en 1944- n’ont pas altéré ses qualités. Celles d’Anne Sofie von Otter non plus (°1955), à laquelle il faut bien revenir pour son irrésistible I am easily assimilated. On y ajoutera le ténor Thomas Atkins pour sa Sérénade du Gouverneur, et pour les autres fonctions qu’il remplit, ce qui est le cas des autres solistes, tous bien en place.

Les chœurs et l’orchestre londoniens sont en forme optimale, dans le délassement mais aussi dans la satire, faisant de cette production un savoureux moment de plaisir pour lequel on n’a qu’un regret : qu’elle n’ait pas été filmée, les quelques images que nous avons évoquées mettent en effet l’eau à la bouche. Marin Alsop se révèle digne de cette partition que Bernstein, comme elle le rappelle, concevait comme une déclaration d’amour à la musique européenne. Tout en conservant la précieuse version donnée en fin de vie par le créateur, on placera à ses côtés le fruit de ces soirées de 2018 marquées du sceau du rayonnement et de l’esprit ludique.

Son : 10  Livret : 10  Répertoire : 9  Interprétation : 9

Jean Lacroix

 

 

 

 

 

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