Artyom Dervoed, « le tsar de la guitare », joue Koshkin et Paganini

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Nicolo PAGANINI (1782-1840) : Grand Quatuor, arrangement par Nikita Koshkin de la Grande Sonate en la majeur MS3. Nikita KOSHKIN (1956) : « Megaron », Concerto pour guitare et orchestre à cordes. Artyom Dervoed, guitare ; Alexey Lundin, violon ; Kirill Semenovykh, alto ; Daniil Shavyrin, violoncelle ; Orchestre de Chambre de Kazan, direction : Rustem Abyazov. 2020. Livret en russe et en anglais. 67.30. Melodia MEL 10 02638.

Le guitariste Artyom Dervoed signe un superbe disque dédié à la guitare, qui, au-delà des amateurs de l’instrument, ravira tous les mélomanes, car le programme et l’interprétation sont de premier ordre. Né à Rostov-sur-le-Don en 1981, Artyom Dervoed étudie auprès de professeurs réputés comme Sergeï Annikov, Elena Svetozarova ou Leonid Reznik, se perfectionne avec Nikolay Komolyatov au Collège Schnittke et à l’Académie Gnessine de Moscou, puis en Allemagne, à Coblence avec Aniello Desiderio, et en Italie avec Oscar Ghiglia, qui a été l’assistant d’Andres Segovia en Californie. Artyom Dervoed remporte une série de concours pour la guitare, dont les plus prestigieux : le Concours Michele Pittaluga en Italie en 2006 et le Concours de la Princesse Cristina en Espagne en 2009. En Russie, où il est surnommé « le tsar de la guitare », c’est une vedette médiatique qui participe à de nombreuses émissions de radio et de télévision ; il est aussi très actif dans le domaine de l’enseignement et à l’initiative de plusieurs festivals. Ce surdoué de la guitare, dont le jeu virtuose est particulièrement envoûtant, bénéficie par ailleurs d’une personnalité charismatique qui attire le public. Ses transcriptions du Concerto pour violon de Beethoven ou de Nu Shu de Tan Dun ont été plébiscitées. Sur le plan discographique, il a été mis à l’honneur à travers des CD de compositeurs russes, de partitions de Leo Brouwer et d’un album paru chez Melodia en 2015, qui est un panorama de la guitare espagnole. Cette fois, ce label propose un programme qui réunit Paganini et Koshkin, autre célèbre guitariste et compositeur russe.

La Grande Sonate de Paganini, écrite pour violon et guitare puis transcrite par le compositeur pour guitare seule, date de 1803. Ses trois mouvements s’inscrivent dans un grand flux mélodique. L’Allegro risoluto initial a été comparé aux ondulations d’une embarcation sur l’eau, alors que le final évoquerait des souvenirs de carnaval. La Romance centrale, très expressive et très romantique, a des accents pénétrants. La transcription de Nikita Koshkin pour quatuor est une belle réussite, les instruments conservent les couleurs que Paganini a utilisées, chacun d’entre eux bénéficiant d’un espace sonore valorisant. La guitare, dans ce contexte, est enrichie d’une virtuosité ornementée qui la met en évidence, dans un dialogue chaleureux avec ses partenaires. La Romance est un moment de grande émotion, que le signataire de la notice, le musicologue Boris Mukosey, compare aux pages de Tchaïkowsky épris du soleil d’Italie. L’interprétation est emballante ; les quatre solistes empoignent la partition dans un grand élan complice, soulignant avec expressivité toutes les nuances et toutes les ardeurs que les deux compositeurs lui ont successivement données. Il s’agit d’un enregistrement de studio réalisé en août 2019, dans une acoustique superlative. Les techniciens de Melodia ont effectué un excellent travail de mise en valeur des instruments.

Le Concerto pour guitare et orchestre à cordes de Nikita Koshkin a été capté en public à Kazan, dans la grande salle de concert Saydashev le 9 novembre 2017. Cette partition enthousiasmante est représentative de l’art de son créateur. Elle a fait l’objet d’une commande émanant de Grèce. Megaron, le titre du concerto, évoque la plus grande salle de concert d’Athènes, où la création a eu lieu le 27 mars 2006 avec Elena Papandreou, qui a elle aussi étudié avec Oscar Ghiglia, à la guitare (elle a enregistré des pièces de Koshkin en première mondiale chez BIS). Koshkin est né à Moscou en 1956 et a fait ses classes auprès de Vladimir Kapkayev, un élève de Peter Agafoshin, célèbre guitariste russe de la première moitié du XXe siècle, et puis avec G.I. Emanov. Attiré par la direction et la composition, Koshkin a été très influencé par le jeu du guitariste tchèque Vladimir Mikulka qui a souvent été sur les scènes moscovites dans les années 1970. C’est ce dernier virtuose qui a fait connaître les compositions de Koshkin en l’inscrivant à ses programmes en Tchéquie ou à Paris. En 1989, le Concertgebouw d’Amsterdam consacra un concert entier à Koshkin ; les invitations ont alors afflué de partout. Aujourd’hui, le compositeur est l’un des plus reconnus et les plus populaires dans le domaine de la guitare. Son corpus comprend des sonates, des concertos, des pièces en solo ou avec ensembles de tailles diverses et aussi de multiples transcriptions. Depuis quelques années, il travaille de manière plus intense avec Artyom Dervoed.

Dans la Grèce ancienne, le terme « megaron » désignait une maison rectangulaire munie d’un grand portique à son entrée. Koshkin a voulu créer une interaction entre deux cultures, l’ancienne et la contemporaine. Selon ses propres termes, il s’agit d’un moment de contact, d’influence, de transformation et d’adaptation qui donne au concerto un cadre inhabituel. Construit dans une forme traditionnelle en quatre mouvements, il se développe en grandes vagues intenses au cours desquelles la guitare et les cordes entament un dialogue à la manière d’un poème lyrique et dramatique, mais sans référence littéraire précise. La tension y est quasi permanente et passionnée, assurant à l’ensemble une composante émotionnelle éloquente et envoûtante. Après deux Allegros fougueux, écrits dans un langage personnel qui rappelle la houle de l’océan ou une nature pacifiée, l’Adagio est une longue et intense plage méditative qui voit la guitare faire front aux assauts des cordes, avec une cadence dramatique qui ressemble à une confidence intime. L’œuvre s’achève par un Vivo - Andante qui se déploie avec noblesse dans un grand élan cérémonial. Cette magnifique partition, très inspirée, est interprétée avec maestria par Artyom Dervoed. Pendant plus de quarante minutes, il capte l’attention de l’auditeur par un jeu engagé, très passionné, très virtuose, mais avant tout très maîtrisé. L’Orchestre de Chambre de Kazan, dirigé par Rustem Abyazov, qui a étudié le violon avec Irina Bochkova au Conservatoire de Moscou, est un partenaire chatoyant, imaginatif et d’une complicité permanente. La prise de son de ce concert public est très présente et rend justice aux détails de la partition. Une très belle découverte musicale.

Son : 9  Livret : 10  Répertoire : 9  Interprétation : 10

Jean Lacroix

 

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