Ascension - Assomption
Au Grand Théâtre de Luxembourg, c’est devenu une tradition : l’année s’achève sur les fastes d’une comédie musicale aux nombreuses représentations. Une idée bienvenue pour clôturer l’année en une fête du spectacle (très) vivant.
Après « West Side Story », « Kiss me, Kate » ou encore « Mamma Mia », « Evita » est à l’affiche. Un « musical » qui, depuis presque quarante ans – il a été créé en juin 1978 à Londres – multiplie les succès, amplifiés en 1996 par un film avec Madonna et Antonio Banderas. Une de ses chansons l’a inscrit dans toutes les mémoires : « Don’t cry for me, Argentina ».
C’est cependant une comédie musicale un peu particulière dans la mesure où elle n’est pas, justement, une de ces comédies multipliant coups de théâtre, quiproquos et scènes de farce ainsi que des épisodes spectaculairement chorégraphiés, typiques du genre. Elle n’est pas non plus, comme « West Side Story », une tragédie aux antagonismes et dilemmes haletants. « Evita », c’est, en un long flash-back, l’histoire d’une petite jeune fille de province devenue l’incarnation d’un grand pays, l’Argentine, littéralement sanctifiée, objet de culte : « Santa Regina Evita ». Le livret est fait d’une succession de séquences qui permettent de suivre cette ascension, jusqu’à, pour poursuivre dans le registre religieux, l’assomption. La première partie du spectacle est comme une longue scène d’exposition, animée de quelques airs et pas de danse qui peu à peu suscitent de belles résonances chez le public. Le spectateur s’attache au personnage et à sa destinée, dans une adhésion qui culmine lors de la seconde partie de la représentation. La réalité humaine de la « femme providentielle » nous touche (sainte ou manipulatrice ?), sa vie scénique prend toute son ampleur.
Pareille existence est fascinante, mais pour contrecarrer cette fascination, Tim Rice et Andrew Lloyd Webber ont eu l’excellente idée d’imaginer un personnage inattendu, un personnage narrateur-commentateur – le Che ( !) - qui installe une distance bienvenue par rapport au processus hagiographique.
Mais ce qui réjouit le spectateur et le convainc, c’est le « spectacle » qu’on lui propose. Les habilleuses, les maquilleuses et les coiffeuses ne manquent pas de travail avec les changements-minute de vêtements et d’apparence, les décors bougent et se combinent comme les pièces d’un jeu de construction - manuellement, on est dans une production qui « tourne ». Des effets de lumière font vraiment « apparaître » sainte Evita. Les épisodes chorégraphiés sont les bienvenus, certes toujours un peu les mêmes d’un musical à l’autre, mais toujours séduisants dans leur emportement-emballement collectif.
A cause de son sujet, « Evita » est davantage « lyrique ». Tim Rice et Andrew Lloyd Webber ont trouvé la « bonne mesure » pour composer quelques chansons aux pouvoirs indélébiles (ah ! « don’t cry »). Des intermèdes orchestraux très habilement instrumentés ménagent de belles atmosphères. Bob Tomson et Bill Kenwright, les deux metteurs en scène, ont surtout veillé à installer des images scéniques significatives, des tableaux révélateurs des situations chantées.
Comme toujours, les jeunes danseurs-chanteurs ne ménagent pas leurs efforts – ils vont d’ailleurs, c’est la loi du genre, enchaîner quatorze représentations, et même deux fois deux représentations le même jour – pour donner belle vie à l’ensemble. Nous nous arrêterons un instant sur une petite fille, « recrutée locale », qui a si bien chanté son air de vénération à sainte Evita. Mais il convient de saluer plus particulièrement Gian Marco Schiaretti, le Che : quelle aisance, quelle présence dans le jeu et dans la voix. Quant à Madalena Alberto, elle impose son Evita, ses modulations vocales nuancées épousant subtilement les partitions de ses chansons et le sens de leurs paroles.
Stéphane Gilbart
Grand Théâtre de Luxembourg, le 19 décembre 2017