Attention, Musiques Fraîches !, à Arsonic

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Année après année, Attention, Musiques Fraîches ! (les anciennes Dernières Nouvelles de Musiques Nouvelles), s’attache à proposer (à Arsonic, puis à Flagey) de nouvelles partitions, souvent jeunes, souvent de chez nous, toujours enclines à titiller notre curiosité -et cette fibre, sensible, réceptive, tressaille quand le compositeur, humain tel que nous, en plus de livrer le produit de son imaginaire sonore aux mains d’un ensemble de musiciens qui se charge de nous le transmettre (c’est là où l’interprétation prend tout son sens), va sur scène, regarde le public, saisit un micro et tente quelques mots, qui expliquent, situent, contextualisent son point de départ, ses recherches, ses errements, ce qui l’a poussé à tenter l’étrange exercice de la création.

La chose est d’autant plus touchante que le programme réunit fille et père : celui-ci, au pas mal assuré, est de retour dans un de ces lieux de musique perdus de vue (et étrangement hors d’atteinte) depuis des années (la santé, les difficultés, la vie quoi…), hésitant, comme si avoir remis la main sur le papier à musique était déjà ahurissant (quand on n’a plus écrit, va-t-on pouvoir réécrire ?), alors que dire quand on est là, quelques secondes avant de faire face à ce qui s’est retrouvé sur la portée, ce qui a coulé entre les lignes, comme malgré soi ? Les Retouches de Jean-Louis Libert sont celles de la vieille dame qui cousait les ourlets du pantalon offert par la marraine de son frère, souvenir d’un temps de slow fashion où l’on maniait aiguille et fil à la maison, parfois à la Singer, souvent à la lumière d’une 40 watts ; sa pièce émeut, mature, pleine de cet entendement stupéfié que l’épreuve apporte, de cette beauté qui ne fraye pas avec le canon, mais fait appel à cette fibre, sensible, réceptive…

Fanny, la fille, débrouissaille et ouvre la soirée avec un titre, Breloques effilochées, qui me fait surgir l’image de Tintin au marché aux puces de la place du Jeu de Balle, la main sur la maquette de la Licorne qu’il projette d’offrir à son ami Archibald : entre l’instrument (le piano) et la composition, elle ne choisit pas -ou plutôt, elle choisit de cultiver les deux (« ma professeure de piano était compositrice »)-, comme elle ne choisit pas lorsqu’elle effleure les breloques, ces choses qui traînent et qu’on touche du doigt (dans le noir, un doigt immobile sur l’objet ne suffit pas à l’identifier : il faut bouger le doigt ou pousser les autres au contact pour que notre cerveau, sollicitant son référentiel, décide), sans approfondir car on ne sait où donner de la tête, mais qui nous rassurent car elles sont des promesses futures qu’on fantasme, qu’on caresse, qui s’effilochent -il y a des plaintes, des étouffements, des frôlements bien sûr, quelques câlineries, comme un réveil du printemps, sans son cliché pastoral ; avec un final abrupt, accidentel.

Comme une colonne vertébrale qu’on ne voit pas mais qui architecture le tout, la percussion (et donc le rythme) est primordiale dans From Nomads to Nomads de Max Charue, pièce créée par le même Musiques Nouvelles en novembre 2019 sous l’égide de [‘tactus], ce projet de mise à l’eau d’une idée musicale (et de son jeune compositeur), jusqu’à à sa concrétisation orchestrale (à retrouver sur le beau coffret des 60 ans de l’ensemble) : la tribalité du tambour à eau, trois notes au violon qui s’entêtent, l’embouchure du trombone qui martèle (avant de compatir), des rires et des crécelles, l’intervention parlée des téléphones portables, un (bref) solo et les hachures de la guitare électrique… Charue (et son fourmillement d’idées) crée un univers à la fois de découverte et de retrouvailles.

Lui aussi encouragé par [‘tactus], Daan Geysen (absent ce soir pour cause de masterclasse) propose, avec Two Characters, une musique mélodique et plus convenue, à deux têtes : la première, introvertie, se déploie avec lenteur, glissant peu à peu vers sa destination ; la seconde, plus volubile et contrastée, évolue comme une couleuvre dérangée dans sa quiétude.

Entre la gestation d’une œuvre et sa création, il y a parfois un puits de patience -et l’un ou l’autre événement perturbateur-, comme les cinq ans qui s’écoulent entre la commande et la création de Congo Matondi, la nouvelle œuvre de Michel Fourgon -la période Covid se révèle difficile à vivre et allonge inhabituellement la phase d’écriture-, pour laquelle le compositeur plonge son pinceau dans les couleurs de la musique traditionnelle congolaise et (re-)découvre les échantillons récoltés par quelques musicographes occidentaux suffisamment indiscrets et téméraires pour capter sur bande des sons à la transmission très orale (et à la complexité pourtant digne de l’écrit) : la pièce est très convaincante, florissante et surprenante (en son milieu, Jean-Paul Dessy, tout en continuant de diriger, fait face au public, qu’il harangue en lingala).

Si vous n’étiez pas là, écoutez l’édition 2022 sur la chaîne YouTube de Musiques Nouvelles.

Arsonic, Mons, le 30 mai 2023

Bernard Vincken

Crédits photographiques : Jean-Paul Dessy © Hélène Lamblin

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