Musique de chambre du jeune compositeur suisse Fritz Brun
Early Chamber Music. Fritz Brun (1878-1959) : Quatuor à cordes no 1 en mi bémol majeur. Sonate pour piano et violon no 1 en ré mineur. Stefan Meier, György Zerkula, violon. Julia Malkova, alto. Eva Lüthi, violoncelle. Alexander Ruef, piano. Mars 2021. Livret en allemand, anglais. TT 68’05. Prospero PROSP 0026
Contemporain de ses compatriotes Othmar Schoeck (1889-1957) et Ernest Bloch (1880-1959), Fritz Brun lègue dix symphonies et un catalogue de musique de chambre qui couvrent l’ensemble de sa période créatrice. Dès 1896, il étudia au Conservatoire de Cologne, non sans que la ville rhénane dissipe la nostalgie du Valais et de ses Alpes natales. Présenté en concert le 22 juillet 1900, le premier de ses quatre quatuors à cordes remonte à cette époque d’apprentissage, aspire déjà à la couleur orchestrale, avoue ses séductions wagnériennes et l’influence de Brahms, et dut trouver sa voie malgré les conseils parfois castrateurs de son rigoureux professeur Franz Wüllner et d’Albert Meyer, Musikdirektor à St. Gall, qui lui recommanda de gommer les chromatismes de l’Adagio molto. L’éloge le plus apprécié de l’auteur vint de son camarade Volkmar Andrae (chef bien connu des amateurs d’Anton Bruckner), qui entendait dans l’Allegro final des senteurs de foin et l’air de la montagne.
Cette œuvre de prémices, écrite à vingt ans, reçoit ici son tout premier enregistrement, par un Manuel Quartett tout en demi-teintes, en inflexions subtiles, même si l’interprétation ne souligne guère la robustesse polyphonique et les drames que Brun évoquait dans une lettre du printemps 1899, citée dans l’épaisse et très informative notice du CD. Réalisée dans un studio de Zürich, la captation aux nuances de pastel contribue à édulcorer le romantisme de l’expression.
C’est à Cologne que le jeune Fritz fit la connaissance de la violoniste Adele Stöcker, qu’il retrouva à Berne où il enseignait désormais le piano. Selon l’édition de 1920, il lui dédia la première de ses deux sonates, qui conjoignait leurs instruments de prédilection. Esquissé en 1906-1907, cet opus porte des signatures musicales que certains commentateurs relièrent aux initiales (prénom et futur nom marital) de celle qui s’était déjà peut-être promise à Hans Bloesch, qu’elle épousera en 1909. Le discours tendrement passionné du Sehr Leidenschaftlich, les réminiscences du Lansam und sehnsüchtig (une sarabande bruissant en sa section centrale d’une lointaine sérénade en sourdine), l’élan douloureux du Lebhaft, intégrant encore le présumé motif tonal de la dédicataire, et cultivant quelques regrets évanescents avant une farouche conclusion : ces rébus plaident-ils pour un amour secret que Brun lui portât ?
Ignorant les dernières recherches musicologiques et biographiques, le livret du CD signé de Stefan Meier indique que le manuscrit serait perdu, alors qu’il a été récemment retrouvé à la Burgerbibliothek de Berne. La notice mentionne aussi quelques enregistrements de cette sonate, difficilement débusquables voire de diffusion confidentielle, si ce n’est par Brigitte et Yvonne Lang (Gallo), hélas victime de quelques coupures dans la partition. Quelques semaines après cette session de mars 2021, Alessandro Fagiuoli et Alessia Toffanin allaient toutefois graver leur propre témoignage chez le même label national : une vision et une sonorité moins soignées, plus tortueuses, mais le duo italien fait autrement sentir les tourments du cœur qui imprègnent ces pages. Car il faut bien avouer que les transports de Stefan et Alexander Ruef paraissent tant routiniers que pauvres en contrastes, dans cette lecture pâle et néoclassique qui semble renier les amers transports sanguins de ces ruminations psycho-affectives.
Son : 8 – Livret : 9 – Répertoire : 7 – Interprétation : 7
Christophe Steyne