Au Regio de Turin, un TROVATORE captivant

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Un million sept cent mille euros de coupe dans le budget, tel est le montant astronomique qu’annonce, au lever de rideau, un délégué syndical devant l’orchestre amassé sur le plateau. Mais par respect pour le public n’est proclamée aucune grève ; et le spectacle se déroule sans encombre. A méditer !

Pour l’ouverture de saison, a été choisi Il Trovatore, absent de la scène depuis mars 2005, donc depuis treize ans. L’on reprend la production que Paul Curran avait proposée au Teatro Comunale de Bologne en 2012, mais qui semble dater de 2005. Selon ses dires, maintenir la trame à l’époque médiévale crée une distance avec le spectateur d’aujourd’hui ; c’est pourquoi il la transfère aux années de la composition, entre 1851 et 1853, en plein Risorgimento, persuadé que Giuseppe Verdi avait choisi le XVe siècle en Aragon pour échapper à la censure.

Sous la lune se déroule l’action qui est tenue à bout de bras par le seigneur de Biscaye, il Conte di Luna (le Comte de Lune), capable de tout quand il porte ses gants de cuir, alors que, à mains nues, il devient timide, voire même couard. Et c’est aussi sous l’astre de la nuit que Leonora trouvera la force d’avaler le poison.

Dans un fascinant jeu de lumières dû à Bruno Poet, le décor de Kevin Knight consiste en un imposant escalier flanqué de deux tourelles qui peut s’entrouvrir pour nous faire voir l’intérieur de la forge des bohémiens, le portique du couvent, l’entrée de la forteresse et le cachot ; et ses costumes passent d’un rouge lie de vin au noir pour Luna et ses sbires, au gris perle pour Leonora et sa suivante, tandis que les Tziganes arborent le bariolage le plus hétéroclite. Pour Paul Curran, cet univers clos est caractérisé par une violence sanguinaire dont la représentation frise souvent le ridicule, lorsque les soldats du Comte veulent violenter les religieuses du Couvent de Castellor ou qu’ils torturent sadiquement deux ou trois malheureuses dont ils finiront par abuser. Mais il y a au moins une belle image, celle de quelques moines portant de pâles lumignons qui s’avancent sur le chemin de ronde d’Aliafiera tandis que le chœur psalmodie le miserere.

Le principal artisan de la réussite est néanmoins le chef d’orchestre Pinchas Steinberg : dès les roulements de timbales du début, il réussit à insuffler une indomptable énergie à un ouvrage composite déployant, à son avis, une densité d’idées stupéfiantes. Et tant l’Orchestre du Teatro Regio que le magnifique effectif choral, préparé par Andrea Secchi, habitué de longue date à sa direction, répondent admirablement à la moindre de ses exigences.

Sur scène, l’attention se porte d’abord sur les protagonistes masculins. Car le ténor mexicain Diego Torre, de petite stature comme un taurillon lâché dans l’arène, a la trompette dans le gosier et l’endurance du lirico spinto ; mais sa tendance à chanter continuellement forte le disqualifie dans l’élégie d’un « Ah sì, ben mio » dont il n’a ni le legato ni le trille lent (n’est pas Bergonzi qui veut !). Le Comte de Massimo Cavalletti possède l’élégance du baryton racé qui peut faire valoir une ligne de chant en jouant de ses moirures. Le soprano de Rachel Willis-Sörensen surprend par le grain rocailleux du timbre qui s’éclaircit au fur et à mesure que l’action progresse, ce qui lui permet de filer les pianissimi aigus de « D’amor sull’ali rosee » et de négocier les passaggi virtuoses de la cabaletta « Tu vedrai che amore in terra ». Dans le même sillage s’inscrit l’Azucena d’Anna Maria Chiuri, affichant le medium et le grave d’un véritable contralto et canalisant son vibrato large pour livrer de stupéfiantes demi-teintes. Encore un peu raide, le Ferrando d’In-Sung Sim arbore le coloris de la basse noble en se jetant à corps perdu dans son racconto. De bonne qualité, l’Inès d’Ashley Milanese, le Ruiz de Patrizio Sardelli, le vieux Tzigane de Desaret Lika. Donc face à cette réussite d’ensemble, le public turinois ne boude pas son plaisir en le manifestant bruyamment.

Paul-André Demierre

Turin, Teatro Regio, le 18 octobre 2018

Crédit photographique : Edoardo Piva

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