Music for Trees, libre et éclectique
L’ouverture, l’absence de hiérarchie, Garrett List, compositeur, chanteur et tromboniste américain (de Phoenix, Arizona), débarqué à Liège en 1980 à l’initiative d’Henri Pousseur (après son étape romaine dans Musica Elettronica Viva), y tient beaucoup : il fonde, en 2006, à sa retraite du Conservatoire, World Citizens Music, l’association chargée de diffuser sa conception d’une musique sans frontières et intégrative et, dès 2010 avec Orchestra Vivo!, le groupe instrumental le plus abouti de sa carrière, il réduit la frontière entre interprétation et composition – la trentaine de musiciens (cordes, vents, section rythmique, chant – Lynn Cassiers – et récitation) évoluent sans chef, s’emparant de la musique comme on lui donne vie, les oreilles grandes ouvertes, concentrés pour prendre des repères autrement et avec une force nouvelle.
Jusqu’à sa mort, en 2019, Music For Trees, son projet monumental (24 pièces écrites entre 1986 et 1989, chacune dédiée à un arbre du monde – il habite près du Jardin Botanique – et identifiée par le nom de l’arbre, le lieu et l’heure), est joué partiellement, par le Garrett List Ensemble ou l’Orchestre National de Belgique (List en adapte les partitions pour différentes formules : soliste, orchestre de chambre ou symphonique), mais jamais comme un ensemble – ce à quoi s’attellent alors Adrien Lambinet et Manu Louis (co-directeurs artistiques), qu’ils proposent finalement, dans une formule réaliste et scindée (4 heures de musique, c’est beaucoup et ça mobilise un peu trop de moyens), mise en scène par Denis Mpunga et scénographiée par Werner Moron.
Au Centre Culturel de Huy, ce dimanche soir ensoleillé, c’est la dernière – remerciements et nostalgie saisissent Marie-Pierre Lahaye, la cheville ouvrière de World Citizens Music qui perpétue l’héritage de List –, après un apéritif musical au kiosque du jardin (les deux premières pièces, à l’ombre des tilleuls), pour un public agréablement surpris par cette musique difficilement classable, mélange sans préférence de classique, de jazz, de chanson et de contemporain, affranchie des limites entre musiques savante et populaire, guidée par la mélodie et le groove retrouvés (après les inhibitions de l’avant-garde) et inspirée par l’engagement, politique, de désembourgeoiser.
Dès la première pièce (en salle), Le baobab, Afrique, 9 heures du matin, bientôt suivie de Le magnolia, Asie, minuit (j’ai une préférence pour Le peuplier, Toscane, 19 heures), l’impact est libérateur et installe une complicité, avec et entre les spectateurs, pas tous férus de programmes classiques, au point de déclencher deux rappels, chaleureux et émouvants (les mots d’Adrien Lambinet, les fleurs de Marie-Pierre Lahaye), concrétisation du souhait constant de Garrett List : rencontrer les autres, inventer une musique ensemble.
Huy, Centre Culturel, le 25 juin 2023
Bernard Vincken
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