Bach, cantates pour soprano, alto ou basse solistes, trois nouvelles parutions

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Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Cantates Gott soll allein mein Herze haben BWV 169, Geist und Seele wird verwirret BWV 35. Heinrich Schütz (1585-1672) : Erbarm dich mein, o Herre Gott SWV 447. Dieterich Buxtehude (1637-1707) : Klag-Lied BuxWV 76b. Iestyn Davies, contre-ténor. Carolyn Sampson, soprano. John Mark Ainsley, ténor. Neal Davies, baryton-basse. Tom Foster, orgue. Arcangelo, Jonathan Cohen. Octobre 2020. Livret en anglais, français, allemand (paroles des cantates en allemand et traduction en anglais). TT 65’02. Hyperion CDA68375

Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Cantates Ich habe genug BWV 82, Ich bin vergnügt mit meinem Glücke BWV 84, Jauchzet Gott in allen Landen! BWV 51. Sonate en trio en sol majeur BWV 1038. Herr Jesus Christ, dich zu uns wend BWV 709. Trio BWV 655. Miriam Feuersinger, soprano. Capricornus Consort Basel. Tomoko Mukoyama, flûte traversière. Katharina Arfken, hautbois. Ute Hartwich, trompette. Peter Barczi, Eva Borhi, violon. Matthias Jäggi, viole. Daniel Rosin, violoncelle. Michael Bürgin, violone. David Blunden, orgue. Julian Behr, théorbe. Mars 2021. Livret en allemand et anglais (paroles des cantates en allemand et traduction en anglais). TT 68’42. Christophorus CHR 77459

Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Cantates Ich will den Kreuzstab gerne tragen BWV 56, Ich habe genug BWV 82, Der Friede sei mit dir BWV 158, Amore, traditore BWV 203. Stephan MacLeod, basse. Emmanuel Laporte, hautbois. Eva Saladin, violon. Bertrand Cuiller, clavecin. Gli Angeli Genève. Mai 2021. Livret en français, anglais (paroles des cantates en allemand et traduction en français). TT 64’23. Claves 50-3049

Voici trois nouvelles parutions consacrées à des cantates pour voix solistes, avec ou sans chœur. Parmi les trois cantates pour alto solo et organo obbligato conçues entre l’été 1725 et l’automne 1726, l’album Hyperion en propose deux (la célèbre BWV 170 se trouve par ailleurs dans un précédent CD de Iestyn Davies chez le même label). Pour faire bonne mesure, elles sont séparées par de poignantes œuvres écrites par deux essentiels représentants de la musique germanique avant Bach : le douloureux Klag-Lied qui fut joué aux funérailles du père de Buxtehude (on y goûtera la maîtrise du registre aigu par un soliste en état de grâce), et le Erbarm dich mein, o Herre Gott sur un choral pénitentiel, tiré des Psaumes de David d’Heinrich Schütz.

Orchestre de noble table, dont Jonathan Cohen depuis son clavecin exprime tous les sucs, orgue pétillant (excellent Tom Foster à la manœuvre, intarissable dans la seconde Sinfonia BWV 35), un Iestyn Davies au timbre charnu et suggestif que saluait récemment Bénédicte Palaux-Simonnet : esprit et émotion soufflent à chaque instant sur cette session captée à St. Jude-on-the-Hill, une église au nord de Londres souvent choisie pour son excellente acoustique (des centaines d’enregistrements y tinrent lieu). Un plaisir sans nuage coule de ce récital, où brille le sourire du Gott hat alles wohlgemacht, radieux à tous les étages, depuis les fondations (Inga Maria Klaucke au basson). Le chœur final (Du süße Liebe) de la BWV 169 est chanté à un par partie, par un renfort de luxe (Carolyn Sampson, John Mark Ainsley, Neal Davies). Un disque qui se laisse écouter en boucle, parachevé par un Ich wünsche nur bei Gott zu leben chaleureusement enluminé.

Dans l’album Christophorus, la notice de Michael Maul interroge les circonstances dans lesquelles Bach écrivit pour la tessiture de soprano. Garçons à Weimar ou à la Thomaskirche de Leipzig où des adultes s’aventuraient peut-être en falsetto dans les parties aiguës (les chanteuses n’étaient pas autorisées à se produire en public) ; rencontre de la jeune Anna Magdalena à Köthen. Les trois œuvres ici réunies datent de 1727-1730. La Ich bin vergnügt mit meinem Glücke BWV 84 était alors certainement confiée à un des deux juvéniles primus inter pares de l’église Saint-Thomas. La célèbre Ich habe genug BWV 82 est présentée dans sa version non pour basse mais pour soprano, transposée en mi mineur. Et la glorieuse Jauchzet Gott in allen Landen! BWV 51 avec trompette : était-ce un virtuose petit Thomaner qui devait rivaliser avec ces rehauts cuivrés, ou cette brillante cantate fut-elle accouchée en pensant à la voisine Cour du Duc Christian à Weißenfels où le compositeur briguait un poste de Kapellmeister ?, sachant que le père d’Anna Magdalena y comptait comme musicien et que ses deux beaux-frères figuraient comme trompettistes dans l’orchestre de la chapelle ducale.

Portée par un Capricornus Consort Basel pulpeux et amplement spatialisé, grassement saucé, Miriam Feuersinger nous emmène dans un décor exempt d’austérité comme de sécheresse, où le contentement des BWV 82 et 84 n’offre rien de résigné mais prodigue une généreuse plénitude, -même si le Ich leb indes in dir vergnüget appelant un chœur ici se voit réduit à la portion congrue. Les trois cantates sont séparées par deux intermèdes instrumentaux : une sonate en trio, et deux pages d’orgue transcrites par Peter Barczi : Herr Jesus Christ, dich zu uns wend sous deux moutures, empruntés aux dix-huit « chorals de Leipzig » et au recueil Kirnberger. Notons la somptuosité de la réalisation, saturée d’âme, et l’opulence de la prise de son, vibrante et vivante comme jamais (dans la première aria Ich bin vergnügt, on entend tout des clés du hautbois de Katharina Arfken !)

Je veux bien porter la croix, Siméon qui attend la venue du Christ avant d’expirer, l’adieu au monde et la vision de l’agneau sacrificiel pour la lacunaire BWV 158 : l’anthologie de Stephan MacLeod est dominée par l’image de la mort, et se trouve complétée par la quatrième cantate (fût-elle bien de sa plume !) que Bach consacra à la voix de basse. Cet atypique BWV 203 évoquant la trahison amoureuse est ici accompagné par le fin clavecin de Bertrand Cuiller, hélas oublié par les micros qui le privent de substance ; quel dommage tant le clavier luit d’intelligence, dans la réalisation des parties non écrites comme dans les élans virtuoses. Le chanteur helvète y déploie une prestation pure, sobre d’effet et d’affect, mais un peu courte (souffle, timbre) qui aurait pu davantage se plier au brio latin de cette page.

Par ailleurs, la voix se distingue par sa saine ventilation, son impeccable linéarité (Ich freue mich auf meinen Tod), et sa modération. À la tête de Gli Angeli qu’il assembla en 2005, et qui s’est déjà distingué dans La Passion selon Saint Mathieu ou la Messe en si (nomination aux ICMA 2022), Stephan MacLeod guide un ensemble aux effectifs ajustés, d’une dizaine de cordes, aux interventions peaufinées : le délicat hautbois d’Emmanuel Laporte dans Endlich, endlich wird mein Joch, le petit chœur pour le Der Friede sei mit dir. Le disque vaut par son opportun couplage et son interprétation d’irréprochable facture, dans une veine transparente et aux décantations puritaines.

Christophe Steyne

Hyperion = Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : 9-10 – Interprétation : 10

Christophorus = Son : 9,5 – Livret : 9 – Répertoire : 9-10 – Interprétation : 9,5

Claves = Son : 8,5 – Livret : 9 – Répertoire : 8-10 – Interprétation : 6 (BWV 158) à 8,5

 

 



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