Haendel sous le signe du plaisir et du jeu
« Eternal Heaven ». Oeuvres de George Frederic Haendel (1685-1759). Léa Desandre, mezzo soprano ; Iestyn Davies, contre ténor ; Ensemble Jupiter, direction musicale et luth : Thomas Dunford. 2022-Livret et textes en français, anglais, allemand. 86’25’’ Erato 5054197196775
Vêtus de blanc dans un décor d’alpages, trois musiciens secondés par le petit ensemble « Jupiter », proposent un récital de 86 minutes consacré à Haendel. Une succession d’extraits d’oratorios divers, créés dans la période anglaise, (Semele en tête avec 6 airs, suivie de Theodora, Susanna, Esther, Hercules, Solomon, notamment) font alterner duos et solos en anglais accompagnés d’un continuo réduit à géométrie variable.
Le mélange d’une voix de mezzo léger avec celle d’un « countertenor » venu de York, formé dans les chœurs d’enfants du St John’s collège à Cambridge, excellent connaisseur du répertoire anglais (Purcell et Britten entre autres), pouvait surprendre. Mais le timbre clair de Iestyn Davis met en valeur les couleurs plus ombrées de celui de Léa Desandre tandis que l’évanescence de l’un et la légèreté véloce de l’autre se fondent jusqu’à donner l’impression de voix « en miroir » ou, même, de voix-jumelles.
La sensibilité affleure plus volontiers dans les airs solistes grâce à l’intimité d’une projection chambriste. Le format se prête tout autant à une virtuosité aérienne qui semble se rire de ses propres exploits. Car ce sont bien le jeu, la joie et l’aisance qui irradient ce programme. Sous la direction virevoltante de Thomas Dunford, également au luth, affleure une complicité musicale de chaque instant qui emporte l’adhésion.
Adhésion non dénuée de regrets. Ainsi de la transposition de l’Ode for the Birthday of Queen Anne qui modifie l’équilibre sonore voulu par le compositeur ou de l’arrangement pour luth de la Sarabande de la Suite en ré mineur rendue célèbre par le film Barry Lyndon. La prévalence de sonorités droites parfois tendues dans les aigus (No, no I’ll take no less, extrait de Semele) évoque une esthétique « baroqueuse » révolue, sans compter ornementations frugales, da capo évasifs ou réverbérations intempestives.
Ajoutons encore l’exaspérant violon (fiddler ?) qui introduit le duo Joys of Freedom auquel ne manque que la cornemuse voire intempestif dans l’air d’Athanas (Despair no more shall wound me) déjà pénalisé par des vocalises sur la syllabe « Wou-ou-ou » -.
Quant aux effectifs restreints, même ingénieusement agencés, ils répondent au choix d’une esthétique épurée « à l’os » qui ne manque pas de charme mais relève de goûts plus personnels que fidèles au compositeur du Messie.
Pour conclure on s’attardera sur les interventions aussi belles qu’éloquentes du hautbois (Neven Lesage) culminant avec l’air de la Reine de Saba (Solomon A. III), Will the sun forget to streak - moment belcantiste où la voix s’épanouit dans sa tessiture naturelle tandis que les violoncelles, hautbois et autres instruments conversent, s’enlacent et se répondent. De son côté Iestyn Davies prête à l’air de Saul, O Lord, whose mercies numberless (David), une pureté retenue qui flotte en apesanteur. Dans le même élan, les phrasés caressants presque chuchotants du duo final Theodora-Didymus (II, 5) suscitent un climat quasi extatique.
Ce n’est pas tout ! Un petit clin d’œil folk-pop se glisse en bis qui en dit long sur l’entente et le plaisir des musiciens.
Son 9 - Livret 9 - Répertoire 10 - Interprétation 10
Bénédicte Palaux Simonnet