Anna Radziejewska et Justyna Reczeniedi : duos romantiques

par

Romantics Duets.  Jan Karłowicz (1836-1903)  : Łzy serca / Do Niemna ; Mieczysław Karłowicz (1876-1909)  : Upływa dzień ; Władisław Żeleński (1837-1921) : Tędy leciał ptaszek, Op. 4 / Barkarola. Józef Wieniawski (1937-1912)  : 6 Gesänge, Op. 47 (3 extraits). Félix Mendelssohn (1809-1847)  : Abendlied, WoO 11. Gabriel Fauré (1845-1924) : 2 Duets, Op. 10 : Puisqu’ici-bas tout âme /Tarantelle. Ernest Chausson (1855-1899) : Deux Duos, Op. 11 : La Nuit / Réveil. Gioacchino Rossini (1792-1868)  : La pesca / La regata Veneziana. Pauline Viardot-García (1821-1910) : Habanera. Anna Radziejewska, mezzo-soprano ; Justyna Reczeniedi, soprano ; Krzysztof Trzaskowski, piano. 2021. Livret en polonais et anglais. DUX 1813.

Compte tenu de l’heureux résultat prévisible de la combination de deux voix féminines avec le piano, on devrait s’étonner du relatif manque de répertoire reprenant une telle formule. Certes, Mendelssohn ou Schumann nous ont laissé des chefs-d'œuvre bien connus mais on ne les entend que trop rarement en récital. Le programme proposé ici par ces deux excellentes cantatrices polonaises nous permet de découvrir des compositions de ces auteurs slaves qu’on cite volontiers dans les traités, mais dont personne ne connaît en réalité la musique, dans un heureux voyage qui nous mènera, en passant par Rossini, au florissant Paris musical de la fin XIXe. Jan Karłowicz, philologue et musicien amateur, est le co-auteur du premier Grand Dictionnaire de la langue Polonaise et père du violoniste et compositeur mieux connu Mieczysław. Amateur ne voulant surtout pas dire ignare, ses compositions de très belle facture ici présentes reprennent des sujets bien romantiques : chagrins de cœur ou louanges de la nature. Son fils Mieczysław Karłowicz est l’auteur d’une vingtaine de mélodies, pratiquement inconnues hors de son pays bien que sa musique symphonique ou son concerto pour violon ne soient pas totalement absents des pupitres orchestraux. Władisław Żeleński nous a laissé de la musique pour orgue et piano, ainsi qu’une centaine de mélodies. Il avait fondé et dirigé le Conservatoire de Cracovie à la fin du XIXe siècle. Il est l’auteur de plusieurs opéras tombés, de nos jours, dans le plus profond oubli. Józef Wieniawski, grand pianiste et frère du violoniste bien connu en Belgique, vécut aussi plusieurs années à Bruxelles. Il est curieux qu’on passe ici à travers les vers de Goethe, en guise de voyage vers Paris et ses étoiles. Dans une transition qui rend évidente la malléabilité stylistique des trois complices de cet album, évidemment très à l’aise dans la musique de leur pays. Ce qui est moins prévisible c’est leur à-propos dans tous les styles que parcourt ce programme-patchwork : leur français est irréprochable, mais j’ai été surpris d’écouter la délicieuse  Habanera de Viardot-García sans le moindre écart ni dans la prononciation de ma langue maternelle ni dans le voluptueux déhanchement rythmique qu’elle demande…

Il faut dire que le soprano (et violoniste) Justyna Reczeniedi pourrait à elle seule nous délecter de son chant pendant des heures sans fin : elle ne nous offre pas seulement des ravissants sons filés dans l’aigu, mais tout son discours musical est varié, riche de nuances et de couleurs, mélancolique, joyeux ou espiègle au besoin. La mezzo-soprano Anna Radziejewska n’est pas en reste : son timbre est soyeux et parfaitement défini dans toute la tessiture, avec des graves tellement chaleureuses qui sont un véritable baume pour l’oreille. Et son discours est d’une intelligence musicale supérieure : quelquefois elle reprend des phrases superbement chantées par sa collègue et parvient encore à trouver un je ne sais quoi de différent, de créatif… Un vrai régal. Et c’est aussi un miracle de complicité parmi les trois interprètes : on sent le bonheur de faire de la musique ensemble, un principe interprétatif élémentaire qui trop souvent passe à la trappe par des élucubrations créatives. Dans la charmante Tarantelle de Fauré, par exemple, elles arrivent à garder la légèreté et le raffinement ironique du propos même si leurs voix sont assez charnues. Krzysztof Trzaskowski est un pianiste délicat et inventif, son jeu miroite d’innombrables couleurs et il sait trouver toujours la nuance et la place juste de son instrument. Je l’aurais imaginé un rien plus discret par moments, mais sa vision est imprégnée d’honnêteté et jamais la sonorité n’est ni trop dure ni trop en avant. Il faut aussi souligner le beau travail de prise de son : sa transparence est inhabituelle et les perspectives impeccables. Il n’est pas fréquent de trouver la biographie de la directrice artistique et preneuse de son, Julita Emanułow, auprès de celles des artistes, mais la beauté de son travail mérite bien qu’on innove à ce propos. Car l’ingénieur du son a une importance capitale dans la réussite d’un projet : son écoute technique, mais aussi celle de l’état d’âme des interprètes pendant les séances, est déterminante.

Son : 10  Livret : 8  Répertoire : 8 Interprétation : 10

Xavier Rivera

 



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