Beethoven par Scherchen

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Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Intégrale des Symphonies, Wellingtons Sieg oder die Schlacht bei Vittoria, Op.91 ; Ouvertures de Leonore I, Op.138 ; Leonore II, ops 72a ; Leonore III, Op.72b ; Fidelio, Op.72, Coriolan, Op.62 ; König Stephan, Op.117 ; Zur Namensfeier, Op.115 ; Die Geschöpfe des Prometheus, Op.43 ; Die Ruinen von Athen, Op.113 ; Die Weihe des Hauses, Op.124 ; Grosse Fuge (orchestration de Felix Weingartner). Magda László, soprano ; Hilde Rössel-Majdan, alto ; Petre Munteanu, ténor ; Richars Standen, basse. Vienna Academy Chorus, Vienna State Opera Orchestra, Royal Philharmonic Orchestra, English Baroque Orchestra, Herman Scherchen. 1951-1958. Livret en anglais et allemand. DGG.  483 8163. 

DGG remet en boite des enregistrements Beethoven du chef d’orchestre Hermann Scherchen  pour le label Westminster. Aux symphonies et aux ouvertures en monophonie, DGG ajoute le remake stéréo des Symphonies n°3 et n°6 gravées en 1958. 

Ce qui frappe dans l’approche de Scherchen, c’est le tempo ! Si de nos jours diriger Beethoven à toute vitesse est particulièrement tendance, cela n’était pas le cas dans les années 1950, en particulier dans la sphère germanique encore marquée par une lenteur opulente, issue d’une tradition wagnérienne, dont Furtwängler peut être considéré comme le meilleur exemple. Mais Scherchen, nourri à la musique contemporaine, respectait le texte du compositeur et, par extension, il suivait doctement les tempi écrits par Beethoven. Si nos interprètes contemporains peuvent se baser sur le travail magistral de Jonathan del Mar pour son édition chez Bärenreiter dans les années 1950, seule l'édition historique Breitkopf und Härtel était accessible, et le travail sur les sources n’était pas une priorité. Ainsi, les tempi indiqués par Beethoven étaient sujets à remise en cause car réputés injouables. De nombreuses explications des plus farfelues circulaient pour expliquer l’inadaptation de ces tempi : que du fait de sa surdité, le compositeur aurait entendu intérieurement plus rapidement, ou même qu’il aurait eu une pulsation cardiaque trop basse, l’entrainant vers des tempi erronés….Comme Carl Schuricht, autre grand révolutionnaire des symphonies de Beethoven avec son intégrale, gravée dans les années 1950 au pupitre de l’Orchestre de la Société des concerts du Conservatoire pour Pathé (Warner), Scherchen faisait jouer plus court d’archets et, par ricochet, il pouvait faire jouer plus rapidement. 

Même si comparaison n’est pas raison, il n’est sans intérêt de rapprocher le travail de Scherchen avec l’intégrale quasi contemporaine de Furtwangler (Warner). D’autant plus que Scherchen dirige l’orchestre de l’Opéra d’Etat de Vienne dans les Symphonies n°1, n°6, n°7 et n°9) et que son compatriote est au pupitre des Wiener Philharmoniker. La mise en parallèle est d’autant plus pertinente que les Philharmoniker sont une émanation de l’Orchestre de l’Opéra d’Etat ! Le contraste est particulièrement flagrant dans la Symphonie pastorale et son premier mouvement “Eveil d'impressions agréables en arrivant à la campagne” où Scherchen est près de deux minutes plus rapide que le chef légendaire. Ce dernier s’éveille avec allant et joliesse alors que Furtwängler impose une force suprême, tel un ciel qui nous tombe sur la tête, sorte de réincarnation presque christique du message du compositeur. Furtwängler tend la masse orchestrale au maximum, lui conférant une ampleur granitique là ou Scherchen est contrasté et mobile avec un grand soin dans les détails de l’orchestration. Si l’on pousse la comparaison avec la gravure stéréo de 1958, Scherchen est encore plus radical dans ses tempi, et même plus rapide que des chefs de notre temps.  

L’exercice du tempo serait un argument limité si Scherchen n’arrivait pas à imposer une tension dramatique et une énergie électrique tout au long de son parcours. Tout cela pétille quand il le faut et décuple les dynamiques quand c’est nécessaire. Scherchen combine l’horizontalité de la pulsation et de sens du rythme avec la verticalité du soin apporté à l’instrumentation. Sous la baguette, Beethoven est foncièrement révolutionnaire car la modernité de l'écriture apparaît au grand jour. Cette pertinence de l’approche fait de cette somme une référence pour toutes les symphonies. Les deux albums d’ouvertures poursuivent ce bonheur interprétatif. Il en va de même pour la Grande fugue dans l’orchestration de Felix Weingartner dont la densité de la structure sonne avec un naturel rarement égalé.   

Cette parution soignée bénéficie d’un excellent remastering réalisé dans les Studios Emil Berliner de la capitale allemande. On notera juste que ce coffret fait l’impasse sur l’intégrale des concertos avec Paul Badura Skoda au clavier -son ajout aurait composé un coffret intégral des enregistrements beethovéniens du chef- mais ne boudons pas notre satisfaction de voir cette somme essentielle éditée dans des conditions optimales.  

Pierre-Jean Tribot

Son : 9  Livret : 9  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Nous tenons à remercier Alain Pâris pour ses conseils et sa remise en perspective de l’art du chef.  

Hermann Scherchen, l’Allemand qui ne dirigeait pas comme un Allemand 

 

  

 

  

 

  

 

         

 

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