Hermann Scherchen, l’Allemand qui ne dirigeait pas comme un Allemand 

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La réédition par DGG d’enregistrements beethovéniens, dont les symphonies, sous la baguette du chef d’orchestre Hermann Scherchen, est une bonne opportunité d’évoquer la carrière de ce musicien exceptionnel. Chef d’orchestre virtuose, pilier de la création contemporaine et même de la musique électronique, il marqua de son empreinte l’art de la direction en dépit d’une notoriété relativement trop confidentielle par rapport aux stars de son époque. 

Hermann Scherchen naît à Berlin en 1891. Altiste, il joue dans l’orchestre Blüthner de Berlin tout en étant musicien supplémentaire lors des concerts du Philharmonique. En 1911, il rencontre Arnold Schönberg dont il est l'assistant pour la création du Pierrot lunaire. Le jeune musicien est fasciné par la modernité et les pistes offertes par cette musique qui dépasse les frontières connues. Schönberg part en tournée à travers l’Allemagne avec son Pierrot Lunaire et Scherchen, encouragé par le compositeur, assure quelques performances de cette oeuvre révolutionnaire. En 1914, il est chef d’orchestre à Riga mais la Première Guerre Mondiale éclate et le musicien est retenu prisonnier par les Russes, il se découvre une sympathie pour la Révolution d’octobre et les idées communistes. De retour à Berlin, en 1918, il se fait un propagateur de la musique de son temps. S’il fonde un quatuor à cordes qui porte son nom, il est aussi l’initiateur de la Neue Musikgesellschaft (Société pour la nouvelle musique) et de la revue Melos (1919) qui oeuvrent pour la défense de la musique contemporaine. Ses activités se complètent par un poste à la Musikhochschule de Berlin et la direction d’une chorale d’ouvriers. En 1921, il est désigné à la tête des concerts du Konzertverein de Leipzig puis au pupitre des Museumkonzerten de Francfort sur le Main où il succède à Wilhelm Furtwangler. 

En 1923, il est l’un des fondateur de la SIMC (Société international de musique contemporaine) dont il va diriger de nombreux concerts et de nombreuses premières mondiales dont les Trois fragments de Wozzeck, Der Wein et le Concerto pour violon à la mémoire d’un ange d’Alban Berg. En 1924, il co-organise un festival Arnold Schönberg à Francfort à l’occasion des 50 ans du compositeur. Sa carrière s’accélère, il est désigné directeur musical à Königsberg puis chef de l’orchestre de la radio Östfunks Orchester. En 1933, il quitte l’Allemagne du fait de l’arrivée aux pouvoirs des nazis. Foncièrement engagé à gauche, il s’opposait l’idéologie fasciste. Il mène alors une carrière itinérante. Il passe par Bruxelles, puis Vienne où il fonde, en 1937, l’Orchestre Musica Viva. Mais ce dernier donne son dernier concert juste avant l’Anschluss en mars 1938. Scherchen se fixe alors en Suisse, pays dont il est proche dès les années 1920 car il y dirige régulièrement, en particulier le Collegium Musicum de Winterthur. Il commence à enseigner la direction d’orchestre dont il sera l’un des grands pédagogues. Les années de guerre sont difficiles, les engagements se font rares et les conditions de vie délicates : il partage avec sa mère un minuscule appartement à Zürich. En 1944, il est désigné à la direction de la phalange symphonique de la radio de Zurich renommée ensuite orchestre radiophonique de Beromünster. Au pupitre de cet orchestre fort modeste, il tire des miracles. 

Au début des années 1950, il quitte son poste suisse alors qu’il traverse une difficile période personnelle. Il fonde les éditions Ars Viva Verlag spécialisées dans l’édition des oeuvres anciennes et modernes oubliées (rachetées par Schott en 1953). Scherchen donne des cours à la Biennale de Venise et à Darmstadt, temple de la modernité. Il se prend d’affection pour la jeune génération de compositeurs radicaux et il donne des premières d’oeuvres comme Il Canto Sospeso de Luigi Nono, Kontrapunkte n°1 de Karlheinz Stockhausen ou Pithoprakta de Iannis Xenakis...Très ouvert, il s’intéresse aux recherches sur la musique électroacoustique et, avec l’aide de l’Unesco, il fonde dans le Tessin le studio de Gravesano centré sur ce domaine musical alors complètement novateur. Résidant quelques encablures de Lugano, il prend ses quartiers réguliers auprès de l‘Orchestre de la Suisse italienne. A la fin des années 1950, il est désigné à la direction de la Nordwestdeutsche Philharmonie avec laquelle il grava une interprétation légendaire d’Erwartung de Schönberg (Wergo). 

Par sa maîtrise des oeuvres de son temps, il est un chef invité régulier auprès des phalanges radiophoniques. En 1954, il dirige l’Orchestre National de l'ORTF pour la création de Déserts d’Edgar Varèse. Programmée entre l’ouverture des Noces de Figaro de Mozart et la Symphonie n°6 de Tchaïkovski, l’oeuvre de Varèse déclenche l’autre grand scandale de l’histoire du Théâtre des Champs Elysées après le Sacre du Printemps

Il signe également un contrat avec la firme Westminster pour laquelle il grave la plupart de ses enregistrements studios dont l’intégrale des Symphonies de Beethoven mais surtout une grande variété de répertoires : des grandes pages chorales baroques de Bach, Vivaldi et Haendel aux oeuvres du XXe siècle, sans oublier les grandes symphonies de Mahler ou le phénoménale Symphonie n°3 de Reinhold Glière. En 1964, il fait ses débuts aux USA au pupitre du Philadelphia Orchestra dans la Symphonie n°5 de Mahler. 

Il décède, en 1966, d’une crise cardiaque alors qu’il venait de diriger à Florence, l’Orfeide du compositeur Gian Francesco Malipiero. Le monde de la musique perdit l’un de ses piliers qui dirigea au long de sa carrière près de 200 premières mondiales. Homme de convictions, ses opinions politiques très marquées lui auront créé beaucoup d’inimitiés. Ce chef qui dirigeait sans baguette fut aussi un professeur de direction d’orchestre des plus recherchés : Igor Markevitch, Edward Downes, Edouard Lindenberg, Rolf Liebermann furent, entre autre, ses élèves. Il est l’auteur de plusieurs livres dont un ouvrage consacré à la direction d’orchestre : Lehrbuch des Dirigierens. 

Sa fille Myriam Scherchen s’est consacrée à faire connaître l’oeuvre de son père, notamment via la maison de disque Tahra qui édita de nombreux inédits du maestro. 

Pierre-Jean Tribot

Crédits photographiques : Archives famille Scherchen

Nous tenons à remercier Alain Pâris pour ses conseils et sa remise en perspective de l’art du chef.

https://www.crescendo-magazine.be/beethoven-par-scherchen/

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