Boris Berman dans Haydn et Schubert : un interprète probe desservi par la prise de son

par

Joseph Haydn (1732-1809) : Sonates n° 60 en mi bémol majeur, Hob. XVI:52 et n° 61 en ré majeur, Hob. XVI:51 ; Franz Schubert (1797-1828) : Sonate en la majeur, D.959. Boris Berman, piano. 2022. Textes de présentation en français et anglais. 76’15’’.   Le Palais des Dégustateurs PDD025

Avant de traiter des mérites de cette parution, qu’on me permette d’enfoncer une porte ouverte en rappelant qu’une captation sonore n’est pas forcément une copie conforme de l’expérience auditive de l’auditeur dans un lieu donné, mais relève également pour bonne part des choix et options esthétiques du producteur et de l’ingénieur du son qui sont avec le ou les interprètes les co-auteurs du résultat sonore final. Je me permets cette remarque, car le hasard veut que non seulement la salle (Morse Recital Hall de la Yale School of Music à New Haven, Connecticut, Etats-Unis) où le présent disque a été enregistré me soit bien connue, mais que j’y ai également entendu Boris Berman à plusieurs reprises par le passé. Pour ceux qui ne connaîtraient pas l’endroit, la Morse Recital Hall est une salle de musique de chambre d’environ sept cents places à l’acoustique claire et intime, particulièrement adaptée aux récitals de piano comme à la musique de chambre en général. 

Ce paragraphe préliminaire pour expliquer que les partis pris volontaires de la prise de son (on n’est pas ici dans les aléas des enregistrements clandestins effectués depuis la salle par un spectateur sur du matériel de fortune) affecteront pour bonne partie le jugement d’ensemble porté sur la présente publication discographique.

Commençons cependant par saluer les qualités musicales et techniques de ce pianiste de grande classe qu’est Boris Berman -établi depuis longtemps aux Etats-Unis mais formé dans son Moscou natal auprès de Lev Oborine-, interprète de grande classe autant que pédagogue recherché enseignant depuis de longues années à Yale. Saluons également un intéressant programme couplant la plus grande des Sonates de Haydn et l’une des plus belles de Schubert, séparées par la brève -deux mouvements seulement- et techniquement moins exigeante Sonate en ré majeur de Haydn, dans laquelle Stéphane Friédérich (auteur de l’intéressante notice) voit l’inattendue prémonition d’un Impromptu de Schubert.

De la Sonate N° 60, Berman donne une interprétation sérieuse et volontaire, toujours sensible à l’imprévisible fantaisie du compositeur. On apprécie la belle égalité de toucher, l’impeccable jeu en tierces, la belle main gauche, ainsi que la façon dont le pianiste intègre les ornements dans la ligne mélodique. Berman traite l’Adagio central avec beaucoup de tenue et de sérieux, tout en laissant la musique parler en premier. Dans les Presto qui concluent les deux Sonates, il se montre invariablement plein d’esprit. 

Mais avant d’aborder l’interprétation de la Sonate en la majeur de Schubert, il convient de revenir sur la prise de son qui place le piano dans une acoustique très réverbérée et déroutante à plus d’un titre. Non seulement l’auditeur a du mal à saisir la position exacte de l’instrument, mais en outre -ne restituant pas bien les transitoires- l’approche retenue par la production gomme les attaques du pianiste dont le jeu se trouve bizarrement ramolli, un peu comme dans les enregistrements acoustiques de l’époque du 78 tours (voire du cylindre) et du phonographe à pavillon où on pouvait encore blâmer les carences du microphone, du support et de la restitution. Noyé ici dans la réverbération, le jeu de pédale de l’interprète ne peut être pleinement apprécié et on se demande aussi si l’instrument est parfaitement réglé, les étouffoirs semblant par moments présenter quelques problèmes. 

Cette mise en garde ayant été faite (et certains auditeurs seront plus sensibles à cet aspect que d’autres), l’interprétation que donne Boris Berman de cette avant-dernière Sonate de Schubert est de grande qualité. La conduite du récit très sûre, la construction patiente de cette musique dans le temps sans jamais morceler le discours, l’intelligence formelle et harmonique sont la marque d’un pianiste riche de culture et d’expérience et sachant à tout moment où il va. Après avoir conclu l’immense Allegro introductif sur une coda désincarnée, Berman fait de l’Andantino une marche d’une lassitude désolée où se perçoit pleinement -surtout à la fin du mouvement- la parenté avec l’atmosphère glacée et vide d’humanité des derniers Lieder du Voyage d’hiver ou de certains tableaux de Caspar David Friedrich. Après le moment de détente offert par un Scherzo d’une belle tenue (Berman est un musicien ennemi du débraillé), le pianiste nous touche par son talent de conteur dans un Rondo où il fait valoir une intelligente maîtrise alliée à un beau talent de conteur. 

Son 4 - Livret 10 - Répertoire 10- Interprétation 9

Patrice Lieberman

 

 

 

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